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nagements. Cette société possède d'ailleurs une organisation et des attributions qui équivalent, sur bien des points, aux avantages dont elle aurait joui sous le régime de la pleine autonomie.

A sa tête sont quatre ministres (Ammänner) tirés de son sein, parmi lesquels figurent les noms de Stauffach et d'Ab Iberg, et qu'il est difficile de ne pas envisager, sauf le principal fonctionnaire, comme des hommes de son choix. De ces quatre ministres, trois président très-probablement à l'administration des districts de Steinen, de Schwyz et du Muottathal, entre lesquels se divisait alors tout le pays. Le quatrième, ou Landammann (le juge dont il a été question plus haut), dirige la communauté entière des hommes libres et représente, plus peut-être qu'il ne les défend, les droits de souveraineté des Habsbourg. Réunis dans leur assemblée de commune, les Schwyzois répartissent les taxes, et, de même qu'à Uri, ils les imposent aux couvents de leur territoire, en dépit des inhibitions des autorités supérieures. Ils interviennent comme garants dans les transactions privées; ils accordent des récompenses à ceux qui se sont employés au service de la communauté, ce qui dénote de la part de celle-ci la libre gestion de ses affaires; ils possèdent un sceau commun, ce qui, nous l'avons vu, est un signe d'indépendance; ils prennent dans leurs actes publics le titre d'universitas et de communitas, et ils conservent celui « d'hommes libres 28. » Ils sembleraient, en un mot, jouir d'une indépendance égale à celle qu'avaient acquise leurs voisins d'Uri, n'était le revers de la médaille, où, au lieu du nom de l'Empire, se lit celui de l'Autriche.

L'Autriche, voilà quel était pour Schwyz le véritable et

dangereux ennemi. Depuis que Rodolphe avait fait entrer ce duché dans sa famille et en avait doté ses enfants (1282), le titre de duc d'Autriche fut porté en première ligne par les Habsbourg, et il prit place à côté et au-dessus de leur nom patronymique. Nous avons vu déjà l'un des fils de Rodolphe intervenir, comme duc d'Autriche, à Schwyz, et ce sera dorénavant de la maison d'Autriche que nous aurons à parler, quand il s'agira des adversaires des Waldstätten. Plus s'agrandissait la puissance de cette maison, plus les Schwyzois avaient à craindre que leur indépendance municipale n'en fût amoindrie et compromise, et qu'aux ménagements personnels du roi Rodolphe ne succédât l'impérieuse domination d'un de ses enfants. Cette crainte était surtout justifiée par la perspective de voir se perpétuer dans la même dynastie le pouvoir royal, en sorte que le chef de l'Empire pût prêter main-forte aux prétentions ou aux droits des membres de sa famille. Mais l'inquiétude devait s'atténuer si, par un heureux concours de circonstances, la royauté de l'Allemagne, qui était élective, échappait aux Habsbourg, et si à la tête de l'Empire se trouvait placé, après la mort de Rodolphe, un chef dont les intérêts fussent différents de ceux de la maison d'Autriche.

Vienne donc le trépas de ce prince, et que son successeur ne soit pas l'un de ses fils, les hommes de Schwyz pourront respirer plus à l'aise, et faire même un pas de plus vers la liberté, s'ils savent profiter des conjonctures pour mettre ce qu'ils ont acquis et ce qu'ils veulent conquérir à l'abri de nouveaux périls. Un même sentiment d'inquiétude, un même besoin de sécurité leur avaient préparé, dans les habitants de la vallée d'Uri, des alliés naturels, et

tout concourait à faire, de la mort de Rodolphe, le signal de leur confédération.

Il en était de même dans le pays d'Unterwalden. Comment celui-ci avait-il été conduit à former les mêmes vœux et à concevoir les mêmes desseins que ses voisins de Schwyz et d'Uri? C'est ce que nous avons encore à dire, avant d'arriver au pacte qu'ils conclurent en commun.

III

LE PREMIER ESSOR D'UNTERWALDEN

Nous avons vu qu'avant le milieu du treizième siècle rien ne trahit, dans les vallées de l'Unterwalden, l'existence d'une communauté analogue à celles d'Uri et de Schwyz, et que la population n'y porte pas même un nom collectif. L'épithète de Waldleute, ou d'Intramontani, les Forestiers ou ceux d'Entremonts, qui leur est donnée depuis 1250, n'est qu'une désignation topographique commune aux habitants des deux portions du pays 29. Celui-ci continue à former, comme vallée supérieure ou de Sarnen (Obwald), et vallée inférieure ou de Stanz (Nidwald), deux groupes distincts et indépendants l'un de l'autre, sans que l'on puisse dire comment chacun d'eux a commencé à former une communauté organisée. Avant l'année 1291, on ne voit, en effet, ni l'une ni l'autre des deux vallées prendre ou recevoir, comme Uri et Schwyz, le titre d'universitas ou de communitas. Aucun acte public, aucune transaction privée n'existe, où se montre l'intervention de l'une des deux communautés; rien n'indique qu'elles possèdent au

cune juridiction ou soient régies par des magistrats particuliers; nulle part n'apparaît leur sceau. Elles n'ont enfin très-certainement obtenu aucun diplôme qui, définitivement comme à Uri, ou passagèrement comme à Schwyz, les ait placées sous la protection immédiate de l'Empire 30.

Cependant, en 1291, la vallée inférieure, et, fort peu de temps après, celle de Sarnen, sont en possession du titre et de la plupart des caractères de la communauté libre. On les en trouve nanties tout à coup, sans que l'on sache ce qui s'est passé pendant le demi-siècle au commencement duquel elles en étaient encore dépourvues. Mais il est permis de supposer que l'exemple de leurs voisins d'Uri et de Schwyz ne fut pas sans influence sur leurs tentatives d'émancipation, et qu'en particulier les hommes libres qu'elles comptaient dans leur sein furent tout naturellement entraînés à rechercher dans l'indépendance politique le complément de leur liberté civile. Ce sont des hommes de cette classe, pour la plupart chevaliers et parmi lesquels se trouve un Winkelried, que l'on voit intervenir vers l'année 1245 auprès de Zurich en faveur d'Engelberg, mais à titre individuel seulement, et en employant, disent-ils, « à défaut du sceau que nous n'avons pas, celui de nos confédérés de Lucerne » (conjuratorum nostrorum in Lucernâ 31). Habitant la vallée de Stanz, ils s'étaient, selon toute vraisemblance, alliés avec les gens de Lucerne, comme ceux de la vallée de Sarnen avec les gens de Schwyz, pour résister aux exigences, légitimes peut-être, mais vexatoires, du comte de Habsbourg, Rodolphe le Taciturne, et ils avaient embrassé, ainsi que leurs confédérés, dans le conflit entre Frédéric II et la papauté, le parti de l'empereur 32. Nous avons vu, en effet, que la ville de Lucerne, ou

tout au moins la plus grande partie de ses habitants, s'était rangée parmi les adversaires de la branche cadette des Habsbourg, et qu'elle avait été comprise, en conséquence, dans l'excommunication fulminée par Innocent IV 33.

Zurich, de son côté, tenait aussi pour Frédéric, et avait à résister aux partisans de l'Église, qui, dans le voisinage et l'intérieur même de ses murs, faisaient échec à la grande majorité de ses citoyens. Le vou, qu'en s'adressant à cette ville, expriment les gens du Nidwald, de lui voir « remporter sur ses ennemis une triomphale victoire, » est une allusion évidente à la situation que nous venons de rappeler et que nous avons déjà dépeinte à propos de Schwyz 34. La guerre intestine qui déchirait alors la chrétienté sévissait, comme partout, dans le centre même de la Suisse, et, en créant des factions contraires, elle provoquait du même coup d'ardents conflits et d'intimes alliances. Celle qui fut alors formée entre les habitants des vallées riveraines du lac des Waldstätten est la plus ancienne trace d'une ligue commune destinée à placer sous la protection de tous les intérêts de chacun. On peut donc y voir, sans trop d'invraisemblance, cette « antique confédération » (antiqua confederatio), dont parle le pacte de 1291, et qui, n'ayant été consacrée, paraît-il, que par un serment solennel, outre qu'elle fut bientôt brisée, laisse à ce pacte le premier rang parmi les monuments écrits du droit fédéral.

Quoi qu'il en soit de cette conjecture, l'accord des habitants de l'Unterwalden avec leurs voisins dénote chez eux, sinon l'existence d'une communauté légalement indépendante, du moins les dispositions qui devaient, les circonstances aidant, les conduire à posséder cette organisation. Mais ici, de même qu'à Schwyz et plus qu'à Schwyz, leurs

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