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noncer à son autorité sur eux. Rodolphe le Taciturne n'accepta donc point la position que lui faisait la charte impériale, et il réussit à en annuler l'effet. Il est probable qu'après s'être réconcilié avec Frédéric II, auprès duquel nous le retrouvons en Italie, au mois de mai 1242, il dut protester contre une décision qui, selon lui, lésait ses droits, et il obtint que les Schwyzois, auxquels, dans leur soulèvement, s'étaient joints les gens de la vallée de Sarnen, seraient replacés sous son gouvernement. Lui-même nous apprend, dans une requête adressée au pape, non pas, il est vrai, que ce résultat était dû à la faveur impériale dont il se serait bien gardé de se vanter, mais que les hommes de Schwyz, revenus à de meilleurs sentiments, s'étaient engagés par serment à reconnaître dorénavant sa domination. sur eux (Comitis dominio de cetero persistere) 17.

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Rodolphe, néanmoins, se défiait-il de la sincérité des Schwyzois, pressentait-il, que tout autour du lac des Waldstätten, un esprit d'hostilité allait se manifester contre lui? On serait tenté de le croire, en le voyant, à cette même époque (1242-1244), prendre des mesures de précaution qui décèlent une certaine inquiétude. C'est alors, en effet, qu'il fit construire sur le promontoire qui sépare, dans le lac des Quatre-Cantons, le golfe de Kussnacht de celui de Lucerne, le château de Neu-Habsbourg 18. Cet édifice, pour lequel il fit hommage à l'abbesse de Zurich (7 novembre 1244), afin de le recevoir ensuite d'elle en fief perpétuel, cet édifice était moins destiné, si l'on en juge par les ruines. qui en sont restées, à servir de demeure à une famille princière, qu'à recevoir une garnison d'hommes d'armes, chargée de surveiller et de commander la navigation du lac. Jamais observatoire militaire ne fut mieux placé. On pou

vait de là suivre et gêner les mouvements hostiles des divers Etats forestiers. Mais cette menace n'intimida point les adversaires du comte Rodolphe. Schwyz et Sarnen, auxquels se joignirent cette fois la vallée de Stanz et Lucerne, se soulevèrent de nouveau contre lui.

On ignore quelle fut l'occasion de cette reprise d'hostilités; mais il est permis de la chercher, par conjecture, dans des circonstances analogues à celles qui avaient déjà suggéré aux sujets de Habsbourg leur première tentative. d'affranchissement. Le rapprochement qui, après une courte interruption de leurs bons rapports, s'était opéré entre le comte de Habsbourg et Frédéric II, venait de cesser, et une nouvelle rupture, irrévocable cette fois, les avait séparés l'un de l'autre. L'interdit lancé contre l'empereur par le pape Innocent IV, et sa déchéance, sanctionnée par le concile de Lyon en juillet 1245, furent évidemment la cause de la défection définitive de Rodolphe le Taciturne. Cette défection rouvrit aux Schwyzois la route de l'émancipation; assurés du concours de nouveaux auxiliaires, ils la reprirent immédiatement.

Ecoutons ce que dit à ce sujet le comte de Habsbourg lui-même: «< Foulant aux pieds les serments qu'ils avaient prêtés, et ne tenant nul compte de l'excommunication lancée contre les adhérents et fauteurs de Frédéric, ils sont devenus infidèles à leurs engagements, se sont soustraits à toute autorité, et assistent de toutes leurs forces le susdit Frédéric, en se tournant contre moi-même, et contre l'Eglise 1o. » C'était au pape Innocent IV, que Rodolphe, ne pouvant avoir raison de la résistance des gens de Schwyz, adressait cette plainte. Le souverain pontife répondit aux doléances de son dévoué partisan en lançant contre eux et leurs con

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fédérés, le 28 août 1247, un bref qui les déclarait excommuniés et qui frappait leur pays d'interdit, dans le cas où ils persisteraient à défendre la cause de l'Empereur plutôt que celle de l'Eglise (nisi a Friderico ad Ecclesiam revertantur), et où ils refuseraient de rentrer sous la domination du comte, leur légitime souverain (ipsique Comiti velut Domino suo studeant obsequi). Ce bref forme, avec le diplôme impérial accordé sept ans plus tôt aux Schwyzois par Frédéric II, un parfait contraste. Car, tandis que ce dernier document semble ne connaître à Schwyz que des hommes libres, l'acte pontifical ne paraît pas admettre qu'il y existe autre chose que des sujets en état de révolte. Cette contradiction s'explique aisément, quand on se rappelle que le diplôme avait été rédigé d'après le dire des Schwyzois, et le bref d'après les assertions du comte de Habsbourg. C'étaient deux prétentions contraires qui tendaient l'une et l'autre à s'affirmer seules, et dont le conflit devait durer jusqu'à ce qu'elles se fussent conciliées ou exclues.

Les Schwyzois qui, de tout temps, se montrèrent peu sensibles aux censures ecclésiastiques quand leurs intérêts étaient en jeu, ne se soumirent point aux injonctions du pape. Ils avaient trouvé, nous l'avons dit, d'efficaces auxiliaires dans leur voisins de l'Unterwalden et de Lucerne, et il paraît que leur résistance aux Habsbourg se prolongea, comme nous le verrons plus loin, un certain temps encore après la mort du comte Rodolphe le Taciturne, survenue le 6 juillet 1249. Cependant, autour d'eux les événements marchaient, et la cause des Hohenstaufen, fortement ébranlée, allait de jour en jour perdant du terrain. Les revers qui frappèrent les dernières années de l'empereur Frédéric, et le règne malheureux de son fils Conrad, qui lui succéda

le 25 décembre 1250, rendirent de plus en plus difficile la position de leurs partisans. La résistance des Schwyzois. perdait son point d'appui, et ils durent finir, après le trépas du roi Conrad (mai 1254), par échanger le régime de liberté dont ils avaient momentanément joui sous le gouvernement d'un bailli impérial, contre la suprématie directe des fils de Rodolphe le Taciturne et la subordination qui en était la conséquence.

C'est à ce changement de situation que l'on a rapporté. avec une grande vraisemblance, un acte, aujourd'hui perdu. par lequel, dit le sommaire qui en a été conservé, « le comte de Frobourg délie les gens de Schwyz de leur serment et déclare qu'ils appartiennent aux Habsbourg 20. » On a supposé que, dans cet acte postérieur à la mort du roi Conrad, c'était en qualité d'avoué impérial des Schwyzois qu'intervenait le comte de Frobourg, et que c'était de leurs obligations envers l'Empire qu'il les dégageait. Que cette conjecture soit exacte, comme nous le pensons, ou qu'il s'agisse au contraire, dans l'acte en question, des droits seigneuriaux possédés par le comte de Frobourg dans le pays de Schwyz, et que l'on trouve plus tard entre les mains des Habsbourg, il n'en demeure pas moins certain que la tentative d'émancipation des Schwyzois avait échoué, qu'ils avaient perdu le privilége de relever immédiatement de l'Empire, et que cet insuccès eut pour résultat de faire pencher la balance, d'une manière plus sensible qu'auparavant, du côté où les Habsbourg avaient jeté le poids de leurs prétentions.

Toutefois, en perdant le bénéfice de la franchise impériale, la communauté des hommes libres de Schwyz ne cessa pas, pour cela, de subsister; elle rentra seulement

dans la situation où elle était placée avant la charte de l'empereur Frédéric II. Nous la retrouvons, en effet, quand Rodolphe de Habsbourg fut monté sur le trône, exactement dans les mêmes conditions où nous l'avons laissée en 1217 du temps de son aïeul. Mais l'excessive rareté des documents authentiques rend impossible de savoir avec quelque certitude ce qui se passa pour Schwyz, durant cette période d'anarchie, appelée le grand interrègne, qui accompagna et suivit en Allemagne la chute des Hohenstaufen. On apprend seulement, par une tradition, qui semble trouver sa confirmation dans un acte officiel postérieur, que vers l'an 1269, le comte Eberhard de Habsbourg-Laufenbourg, qui avait hérité à Schwyz des droits et des propriétés de son père, Rodolphe le Taciturne, permit à une partie de ses ressortissants de se racheter à prix d'argent des obligations auxquelles ils étaient tenus envers lui, ce qui les plaçait, paraît-il, dans une position semblable à celle des autres hommes libres habitant le reste de la vallée 21.

Cette concession fut-elle bénévole ou forcée? Faut-il y voir une transaction intervenue à la suite d'une lutte, ou simplement un marché que le besoin d'argent fit conclure? On pourrait accueillir la première supposition, si l'on devait admettre, comme l'affirme une chronique écrite cent soixante ans plus tard, que, vers l'année 1260, il y eut dans les Waldstätten un soulèvement général contre les Habsbourg. Mais c'est là une allégation à laquelle il est difficile d'ajouter foi. Cette date erronée de 1260 s'applique sans doute aux événements qui s'étaient passés de 1240 à 1254. Ce serait donc plutôt dans des finances embarrassées qu'il faudrait chercher la cause de

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