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gnards suisses. Mais, pendant qu'ils travaillent ainsi à se faire un nom et une place dans l'histoire, l'histoire se tait sur leur compte. .Ce n'est qu'au bout de soixante et dix ans, vers l'année 1420, que l'on voit apparaître un narrateur, national cette fois, qui renoue la chaîne longtemps interrompue des récits historiques relatifs aux trois vallées.

Conrad Justinger, secrétaire du Conseil de Berne et auteur d'une chronique suisse, donne sur les origines politiques des Waldstätten et sur les causes de leur affranchissement les premiers renseignements qui aient quelque rapport avec la thèse adoptée et propagée plus tard par la tradition. C'est moins, toutefois, une narration de faits précis, qu'un résumé des idées conçues ou recueillies par le chroniqueur bernois, que nous trouvons dans son livre. Il s'exprime d'une manière très-générale et très-vague, comme un homme qui ne se rend pas très-bien compte de ce dont il parle.

En portant, dans son exposé, un peu plus de clarté qu'il n'en a mis, on voit qu'il divise en deux périodes l'histoire des Waldstätten antérieure à la bataille du Morgarten. La première remonte, selon l'un des textes de la chronique, « bien avant la fondation de Berne, » ou simplement, selon une autre leçon, « à l'an 1260. » C'est alors que les vallées se trouvaient en guerre avec les seigneurs de Habsbourg, « auxquels, » dit le narrateur, « appartenaient ceux de Schwytz et d'Unterwalden, tandis qu'Uri relevait du couvent de Zurich. Cette querelle,» ajoute-t-il, « venait de ce que les seigneurs, leurs baillis et leurs officiers, cherchaient à introduire de nouveaux droits et de nouvelles charges, à côté des anciennes obligations et des anciens

devoirs que les Waldstätten rendaient à l'Empire, par lequel ils avaient été aliénés. De plus, les dits officiers se comportaient criminellement envers les filles et les femmes des braves gens et voulaient leur faire violence; ce que les gens de bien ne pouvant souffrir, ils s'insurgèrent contre les seigneurs. Ceux-ci, de leur côté, se mirent en guerre contre les vallées, qui auraient bien volontiers réclamé le secours de l'Empire, auquel Schwyz appartenait depuis plusieurs siècles, selon la teneur de ses bonnes chartes. >>

A cette première période de luttes entre les Waldstätten et les Habsbourg, dont ceux-ci « se lassèrent, »> dit Justinger, succède une seconde époque où entrent en scène les ducs d'Autriche, « qui donnèrent, » raconte l'auteur, «< une somme d'argent aux Habsbourg pour acquérir leurs droits sur les vallées. » Celles-ci vécurent d'abord en bonne intelligence avec les nouveaux seigneurs, mais ensuite « les officiers de ces derniers élevèrent encore de nouvelles exigences et des prétentions auxquelles les vallées refusèrent d'obtempérer; alors la guerre éclata entre les deux parties et elle se prolongea longtemps entre les pauvres Waldstätten, réduits à leurs seules forces, et l'Autriche qui voulait les assujettir selon son bon plaisir. Cela dura jusqu'à l'année 1315. »

Dans ce récit, mêlé de vrai et de faux, et où l'état politique des Waldstätten est caractérisé de la manière la plus incohérente et la moins conforme aux résultats certains fournis par l'histoire, nous ne voulons relever qu'un seul point, c'est le passage où se trouve la première allusion qui soit faite aux excès qu'auraient commis, envers les habitants des trois vallées, les seigneurs de Habsbourg, ou leurs officiers. Justinger classe ces excès sous deux

chefs, suivant qu'ils se rapportent au gouvernement ou aux mœurs, et qu'ils ont, par conséquent, le caractère de l'usurpation ou de la débauche. « L'introduction de nouveaux droits et les violences faites aux femmes, » voilà les expressions très-générales où se manifeste, pour la première fois, la pensée de rattacher à des motifs de ce genre le soulèvement des Waldstätten. Encore faut-il remarquer que les attentats aux mœurs sont attribués par Justinger à la période des « Habsbourg, » antérieure au règne du roi Rodolphe, et non à celle des « ducs d'Autriche; » en sorte que la lutte avec ceux-ci n'aurait pas dû son origine, comme le veut la tradition, à des excès de cette nature. Quant aux actes de cruauté dont parle la légende, le chroniqueur n'en fait nulle mention.

Que les motifs prêtés par Justinger au soulèvement des États forestiers soient de son invention, ce qui n'est pas probable, ou qu'il les doive, avec les autres informations que renferme cette partie de son récit, aux souvenirs déjà confus de ses confédérés des Petits Cantons, il n'en est pas moins certain qu'on doit chercher l'origine de cette interprétation imaginaire dans le besoin de se rendre compte, d'une manière plausible, d'événements dont le laps de temps, le manque de lumières, l'absence d'esprit critique, avaient fait perdre de vue la véritable cause. On se trouvait alors à ce point de partage où la fidèle mémoire du passé n'a pas encore entièrement disparu, mais où la légende, de moins en moins tenue en échec par des souvenirs récents et précis, et de plus en plus favorisée par la crédulité et les préjugés de l'amour-propre national, s'introduit peu à peu dans les esprits et finit par s'emparer de l'imagination populaire, en raison même de la satisfaction qu'elle lui procure.

Les circonstances contribuaient puissamment à produire ce résultat. Les victoires successives remportées sur la maison d'Autriche avaient fait prendre aux confédérés en général, et aux Waldstätten en particulier, une si belle position dans le monde, que l'on devait, dans les Petits Cantons, être tout naturellement disposé à expliquer l'origine des luttes, dont ces victoires et cette position étaient la conséquence, par les torts excessifs de l'adversaire, plutôt que par la marche ordinaire des conflits politiques où, des deux parts, les prétentions ne peuvent se peser aux balances de la stricte justice. La haine contre l'Autriche, qui était devenue par la persistance de cette puissance à attaquer les confédérés un sentiment profondément national, la haine contre l'Autriche persuadait aisément à l'opinion que les Habsbourg avaient jadis exercé, dans les Waldstätten, une tyrannie semblable à celle qui, récemment, avait provoqué une révolte à Lucerne et l'émancipation de la vallée de Glaris **.

Les montagnards des Petits Cantons se plaisaient à croire que leurs ancêtres avaient été les victimes d'usurpations et d'injustices, contre lesquelles ils avaient légitimement défendu leur antique indépendance, et ils oubliaient ou ignoraient que c'était, au contraire, par une suite de tentatives heureuses que les premiers confédérés étaient parvenus peu à peu à s'affranchir d'un état de sujétion, où ils avaient rencontré, après tout, plus de condescendance que de despotisme. Ils transportaient ainsi dans le passé l'esprit et les conditions du présent, et, s'imaginant que la liberté dont ils jouissaient avait existé de temps immémorial, ils en concluaient que c'était par de coupables excès qu'on avait autrefois tenté d'en dépouiller leurs

pères. Justinger est le seul représentant qui nous reste de cette forme primitive et toute générale de la légende. La petite nuée, qui doit plus tard grossir et se développer, ne fait qu'apparaître à l'horizon. C'est d'abord l'idée abstraite de la tyrannie et de l'oppression qui prend possession des esprits; les exemples viendront ensuite.

III

LES LÉGENDES ETHNOGRAPHIQUES

Mais ce n'était pas assez, pour l'amour-propre surexcité des Waldstätten, de faire remonter dans l'ancienneté des âges leur indépendance politique, et d'en signaler la disparition momentanée comme le résultat d'une usurpation violente, ils prétendaient encore, comme tant d'autres peuples grands et petits, se donner une généalogie particulière, qui les distinguât de leurs voisins. C'est dans les commencements du quinzième siècle, que l'on voit apparaître les premiers essais de cette ethnographie fantastique, qui devait revêtir dès lors des formes très-variées et se prêter à toutes les combinaisons que l'histoire, bien ou mal connue, peut fournir aux rêveries d'une fausse érudition. Nous ne voulons point énumérer ici toutes les hypothèses qui ont été proposées sur les origines des populations primitives des Waldstätten. Il nous suffira de signaler les plus anciennes. Elles démontrent ce qu'on pouvait attendre, en fait de critique et de véracité historiques, du temps et du milieu dans lesquels elles se sont produites.

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