Images de page
PDF
ePub

fédérés, sont maintenues, et l'on ajoute que si, à la suite d'un différend ou d'une guerre entre deux cantons, l'un de ceux-ci se refuse à entrer en accommodement avec l'autre, le troisième prendra le parti de celui qui veut suivre les formes du droit. La sanction fédérale continue à être accordée à tout ce qui concerne l'exercice de la justice pénale, et le principe de n'avoir aucun juge étranger aux vallées est de nouveau consacré.

Quant à l'extérieur, le pacte ne renferme aucune stipulation d'où l'on puisse déduire que les confédérés s'envisageaient comme dégagés de tout rapport avec l'Empire germanique et comme ne relevant absolument que d'eux-mêmes. Le pacte suppose, au contraire, qu'il doit exister au-dessus d'eux une autorité suprême: seulement ils s'engagent à ne reconnaître pour dépositaire de cette autorité, que le prince dont ils auront, d'un commun accord et après une entente réciproque, constaté les droits (dekeinen herren nemen ane der ander willen und an ir rat). En faisant cette réserve, les confédérés donnent la mesure du degré d'indépendance auquel ils se croient parvenus. Ils s'interdisent, en outre, la faculté de contracter aucune alliance particulière, si ce n'est de l'aveu commun, et ils s'obligent également à n'avoir aucun pourparler avec des étrangers, tant que les cantons n'ont pas eux-mêmes reconnu le chef de l'Empire, et que, par conséquent, celui-ci demeure vacant à leurs yeux (die wile untz daz diu Lender unbeherret sint). Ceux qui manqueraient à ces engagements, ou qui trahiraient l'un des États confédérés, seront déclarés parjures, et leurs personnes comme leurs biens deviendront la propriété des cantons (sol sin lip und sin guot dien Lendern gevallen sin).

Ces précautions prises par les confédérés contre les périls que pouvaient leur faire courir toute ingérence étrangère, attestent que, dès l'origine, l'esprit de liberté s'associa chez eux à un sentiment de salutaire défiance, et que c'était en se concentrant toujours davantage sur eux-mêmes, qu'ils espéraient mettre le plus sûrement à l'abri leur indépendance nationale. Ils persistaient, du reste, sous l'influence d'un patriotisme plein de foi, à donner à leur pacte et aux conditions qui s'y trouvaient contenues une imprescriptible et éternelle durée (daz die vorgeschribene sicherheit und diu gedinge ewig und stete beliben). De favorables circonstances et un invincible amour de la liberté ont jusqu'ici permis que leur audacieuse prévision n'ait pas été démentie. C'est sous l'influence et selon l'esprit des principes qui étaient posés dans cet acte d'alliance, que la Confédération suisse s'est définitivement constituée.

Résister inflexiblement et à tout prix aux prétentions politiques de l'Autriche, et entrer tour à tour avec elle, selon qu'elle cède ou qu'elle insiste, en accommodement ou en lutte; - atténuer de plus en plus les conséquences de la suzeraineté impériale, en relâchant peu à peu des liens que la force des choses contribuait d'ailleurs à rendre de jour en jour moins sensibles; arriver par ce double chemin à obtenir de l'Autriche d'abord, puis de l'Empire, la pleine et absolue reconnaissance de l'indépendance politique et nationale de la Confédération successivement agrandie par de nouvelles alliances et consolidée par de nouvelles victoires; parvenir enfin à faire prendre à la Suisse, sous la sanction du droit public, une place parmi les Etats, inégalement puissants, mais également souverains, qui composent l'Europe; - voilà de quelle manière

[ocr errors]

les confédérés ont compris et accompli la tâche qu'ils s'étaient donnée en plaçant leurs libertés sous la sauvegarde de leur perpétuelle union.

L'insuffisance et l'existence précaire du premier pacte de 1291 avaient instruit, sans les décourager, ceux qui en avaient été les auteurs. Ils avaient reconnu que ce n'était pas assez, pour assurer la perpétuité d'une libre alliance, de lui attribuer ce caractère sur un parchemin. Ce qu'il y fallait de plus, ils venaient de l'acquérir. La victoire du Morgarten leur avait enseigné à quel prix et par quels moyens un peuple s'assure, autant qu'il est en lui, dans ce monde où tout passe, une durable existence et un long avenir. Si, comme le disait naguère un illustre historien moderne, « le droit des peuples se fonde sur leur sang, »> la Confédération suisse reposera sur une base inébranlable, aussi longtemps qu'au sang versé dans les triomphantes journées de Morgarten, de Sempach, de Næfels, de Morat, ou dans les journées non moins glorieuses, quoique moins récompensées, de St-Jacques, de Rothenthurm et de Neueneck, elle sera prête à mêler encore celui dont la défense de son territoire et de ses libertés peut exiger le sacrifice.

Mais plus heureuse sera-t-elle encore si, reportant les yeux non-seulement sur la bravoure guerrière, mais sur l'inébranlable persévérance, le constant patriotisme, l'intime union, la fermeté prudente des premiers confédérés, elle se rappelle que c'est surtout par l'emploi de ces qualités civiques, qu'ils sont parvenus à créer une alliance assez solide et assez puissante dans son essence et dans son fond, pour avoir triomphé, non-seulement des obstacles formidables qui la menaçaient du dehors, mais des éléments de dissolution, plus redoutables peut-être, qui, trop

souvent, ont été sur le point d'entraîner intérieurement sa ruine. Voilée, flétrie, compromise, dans les siècles qui ont suivi celui où elle est venue au monde et qui fut son âge d'or et d'héroïsme, la liberté suisse a toujours survécu, parce qu'elle avait poussé ses premières racines dans des cœurs dont elle fut l'exclusive et dominante passion.

La Confédération s'est accrue par une triple pléiade de Républiques qui sont venues successivement se grouper autour du noyau primitif, et dont la plupart sont activement entrées dans les voies de la civilisation. Les « Petits Cantons » sont demeurés presque étrangers à cette culture des temps modernes, et ils ont, plus que d'autres, retenu l'empreinte des siècles écoulés; mais ils sont restés, par excellence, les représentants de la liberté. Quelque petite que soit leur place sur le globe, elle est grande dans le monde, par cela seul qu'en eux une idée s'incarne et se personnifie. Le berceau de leur confédération sera toujours le symbole de l'indépendance. C'est là ce qui donne à leur histoire tout son prix; c'est là ce qui nous a conduit à en rechercher les vraies origines avec un intérêt rempli tout à la fois de sympathie pour leurs efforts et de gratitude pour leurs succès.

LES ORIGINES

DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE

SECONDE PARTIE

« PrécédentContinuer »