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l'Unterwalden du côté du Brünig, pendant que le bas de la vallée serait tenu en échec par des forces venues de Lucerne. Quant à la vallée d'Uri, on la négligeait pour le moment, parce que, d'un côté, la soumission de ses confédérés devait entraîner la sienne, et que, de l'autre, elle pouvait être empêchée, par les embarcations lucernoises qui tenaient le lac, de leur porter efficacement secours 7.

Le plan d'attaque étant ainsi conçu, il pouvait s'exécuter de deux manières différentes, pour ce qui concernait la direction du principal mouvement. De Zug, en effet, l'armée autrichienne pouvait se porter contre le territoire de Schwyz, soit en côtoyant du nord au sud la rive orientale du lac de Zug, afin de déboucher sur le village d'Arth, dont les habitants avaient définitivement pris parti pour les Schwyzois; soit en suivant à l'est la route qui longe le lac d'Egeri et qui vient aboutir au passage de Schorno, près des pentes du Morgarten. Que ce soit, comme le veut une tradition locale, un avertissement, lancé dans les retranchements d'Arth par une main amie, qui ait appris aux confédérés que l'attaque viendrait du côté d'Egeri, ou bien qu'ils l'aient conclu de paroles échappées au comte de Toggenbourg, comme le prétend un narrateur contemporain, toujours est-il qu'ils furent informés à temps de l'endroit par lequel ils seraient attaqués 75. Les hauteurs et le défilé du Morgarten, qui couvrent au nord-ouest l'entrée de leur territoire, devinrent l'objet principal de leur attention.

Ils avaient du reste pris d'avance toutes les mesures propres à repousser l'attaque dont ils étaient menacés. Quoiqu'ils eussent sollicité du roi Louis de Bavière, dont les intérêts étaient semblables aux leurs, son secours contre l'entreprise du duc d'Autriche, leur demande était

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jusque-là restée sans réponse, et ils ne devaient plus compter pour se défendre que sur leurs propres ressources Leur armée se composait de tout ce qui, dans la population, était en état de porter les armes et du faible contingent que les gens d'Uri et d'Unterwalden avaient pu leur envoyer. Le tout ne montait probablement pas à deux mille hommes, mais il y en avait, dans le nombre, qui ne prenaient pas les armes pour la première fois et qui avaient puisé, non pas seulement dans de petites guerres de voisinage, mais sur de véritables champs de bataille, l'expérience des combats". D'ailleurs, la disposition des lieux venait en aide à la résistance.

Sur toute la frontière occidentale du territoire de Schwyz, de Brunnen au Katzenstrick, le pays n'était accessible que sur trois points: au sud, par la route d'Arth à Steinen le long du lac de Lowerz, au centre, par celle de Zug à Sattel, en suivant le lac d'Egeri, au nord, par celle qui aboutit à l'Altmatt et à Rothenthurm, en franchissant la montagne de S-Jost. Les contre-forts du Righi et du Rossberg, ainsi que la chaîne des hauteurs qui séparent le pays de Schwyz du lac d'Egeri, formaient sur toute cette étendue une suite de fortifications naturelles, et les Schwyzois en avaient construit ou relevé d'autres, de leurs propres mains, à Lowerz, à Schorno, et à l'Altmatt, près de l'issue de chacun des trois passages que nous venons d'indiquer 78.

C'était derrière ces retranchements artificiels et le long de cette frontière fortifiée par la nature, qu'ils veillaient jour et nuit, depuis qu'ils avaient appris quel péril ils avaient à craindre, attendant d'un instant à l'autre l'agression dont les préparatifs venaient d'heure en heure redoubler leur anxiété. Pour eux, en effet, le moment était arrivé

de « vaincre ou de mourir; » car si jamais l'alternative exprimée par ces deux mots a eu sa signification, ce fut dans cette lutte suprême, dont l'issue devait nécessairement entraîner pour les confédérés le triomphe ou la ruine de leur indépendance.

L'occupation du village d'Arth, que les Schwyzois avaient couvert de retranchements du côté de Zug, suffisait pour protéger l'espace compris entre le Rossberg et le Righi, surtout depuis qu'on savait qu'on n'avait pas à craindre de ce côté-là une véritable attaque. Restaient les deux routes, dont l'une débouche à Sattel et l'autre sur le plateau de l'Altmatt. C'était évidemment là qu'il fallait se trouver en force, et c'est là que les confédérés attendirent l'ennemi. Le chemin qui longe le lac d'Egeri, et par lequel seul pouvait marcher la cavalerie, aboutissait au défilé d'Hauptsee ou de Schorno, sur l'extrême frontière du territoire schwyzois. Ce défilé formait comme la porte du pays de Schwyz, et il avait été fortifié, en conséquence, par des retranchements et une tour. Le gros des confédérés, établi près de Sattel, surveillait ce poste important. Du côté de l'Altmatt et de Rothenthurm, où des fortifications analogues protégeaient la position, il suffisait d'une troupe moins considérable, soit pour observer et contenir les adversaires qui auraient pu venir d'Einsiedeln, soit pour repousser les premiers pelotons d'infanterie autrichienne qui tenteraient, en débouchant par le passage de St-Jost, de franchir le torrent de la Biber. Une chaîne d'éclaireurs, établie au pied du revers oriental de la montagne qui domine le lac d'Egeri, devait servir de liaison entre ces deux corps, placés à environ deux lieues de distance l'un de l'autre.

Pendant la nuit du 14 au 15 novembre (ce dernier jour

était un samedi), le duc Léopold quitta la ville de Zug avec son armée, qu'il avait divisée en deux colonnes, l'une de cavalerie, qui renfermait le contingent de la noblesse, l'autre de fantassins, qui était composée du contingent des villes. Comme il n'aurait pu tirer aucun parti de son infanterie dans. l'espace resserré entre le lac d'Egeri et la montagne, où il allait s'engager avec ses cavaliers, Léopold lui fit suivre, dès le village d'Egeri le haut, le sentier de St-Jost, pour aller prendre à revers le plateau de l'Altmatt, et compléter ainsi l'envahissement du territoire ennemi. Lui-même, demeurant à la tête du reste de ses troupes, continua à cheminer le long du lac.

En se voyant entouré d'un si brillant cortége, le duc d'Autriche ne pouvait concevoir que les plus flatteuses espérances. Dans les files nombreuses qui se déroulaient derrière lui, chevauchait une jeune et bouillante noblesse qui, partageant l'indignation et la colère de son prince, avait hâte d'infliger à des rustres mal-appris une correction bien méritée. Ne doutant pas un instant du succès de son entreprise, elle se faisait suivre d'une provision de grosses et petites cordes destinées à emmener les troupeaux dont on se promettait le butin. Pour ces beaux seigneurs l'expédition était, en effet, une chasse plutôt qu'une guerre. Aussi, dans leur dédain pour les paysans rebelles qu'ils allaient châtier, se souciaient-ils peu de prendre les plus simples précautions que commande toute entreprise militaire.

S'avançant joyeusement et étourdiment sur la route qui côtoyait le lac d'Egeri, leur tête de colonne arriva, sans avoir rencontré d'obstacles, mais sans avoir éclairé sa marche, jusqu'au bas des pentes du Morgarten, entre le ravin, qui débouche près des maisons de Haselmatt, et la plaine basse

de Hasslern à l'extrémité méridionale du lac. Déjà l'avantgarde de Léopold pouvait entrevoir, sur la route qui se relevait devant elle, l'endroit où le chemin, resserré entre le Veryberg à droite et la Figlerfluh à gauche, forme le défilé de Schorno, et elle pouvait se demander, si c'était avec de la cavalerie qu'on forcerait ce passage retranché, quand tout à coup, des hauteurs du Morgarten, lancés par des mains invisibles, des blocs de pierre et des troncs d'arbres roulent et se précipitent au milieu des cavaliers qui ont dépassé le ravin d'Haselmatt, blessant les uns, renversant les autres, écrasant hommes et chevaux, encombrant la route, et portant, jusque dans les rangs qui ne sont pas atteints, le désarroi et la confusion. Il n'importe pas de savoir si cette embuscade avait été dressée, à l'insu même des Schwyzois, comme le prétend la tradition, par des exilés qui voulaient ainsi rentrer en grâce auprès de leurs concitoyens, ou (ce qui est beaucoup plus probable) si elle ne fut pas une manœuvre tout naturellement suggérée aux confédérés par la disposition, des lieux. Ce qui est certain, c'est qu'elle eut tout le succès qu'on en pouvait attendre 80.

Avant d'avoir eu le temps de se remettre de la surprise et du désordre où les a jetés cette irruption subite, les guerriers autrichiens voient, du même côté que les pierres et les troncs d'arbre, descendre comme une avalanche et fondre sur leur tête de colonne les confédérés eux-mêmes, qui, poussant leur cri de guerre et brandissant leurs grandes épées, fauchent, transpercent, taillent en pièces chevaliers, chevaux et valets. Chaussés des crampons qui leur servent à affronter dans les montagnes les rampes les plus abruptes, ils se dévalaient le long de pentes escarpées, où ni cavalier ni fantassin ne pouvait tenir, « comme l'eussent

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