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excès. Il faut voir avec quelle expression de courtoisie et quel ton plein de ménagements, les seigneurs du voisinage intercèdent, auprès du landammann Werner Stauffach et des gens de Schwyz, en faveur des moines prisonniers. Bien loin de faire entendre aucune menace, ils garantissent aux Schwyzois que nulle conséquence fâcheuse ne résultera pour eux de ce qui s'est passé. Cependant le seigneur de Regensberg avait son fils parmi les captifs; Rodolphe de Habsbourg un de ses vassaux; mais ils se contentent, comme le comte de Toggenbourg et Ulrich de Güttingen, d'implorer la générosité des agresseurs 57. Ils ne songent nullement à invoquer contre ces derniers une autorité supérieure, telle qu'aurait pu l'être celle du duc d'Autriche, qui était à la fois leur propre suzerain et l'avoué d'Einsiedeln, et ils rendent par conséquent hommage à la pleine indépendance des hommes de Schwyz. En appeler au chef de l'Empire était impossible, le trône était toujours vacant. Il ne fut occupé de nouveau que six mois plus tard, le 20 octobre 1314.

La compétition pour la royauté s'était d'abord établie entre le fils de l'empereur Henri VII, Jean, roi de Bohême, et le duc Frédéric le Beau, fils aîné du feu roi Albert d'Autriche; mais, à la suite de longs démêlés et d'intrigues entre les Électeurs, Jean fut écarté d'un commun accord, et la majorité des voix proclama Louis de Bavière roi des Romains. La minorité s'était prononcée en faveur de Frédéric d'Autriche, et elle refusa de reconnaître l'élu de la majorité 58. L'Allemagne avait deux rois, et à l'interrègne succéda un schisme qui dura huit ans. Il fut pour les Waldstätten de grande conséquence. Entre le souverain régulièrement élu et le duc d'Autriche, qui usurpait le titre de

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roi, la lutte ne comportait pas de ménagements, et chacun d'eux devait tout faire pour attirer à lui et détacher de son rival le plus grand nombre possible d'adhérents. Les Waldstätten se retrouvaient ainsi dans une position semblable à celle qu'ils avaient occupée lors de l'avénement d'Henri VII, quand ce souverain était encore aux prises avec la maison d'Autriche. Il y avait toutefois cette différence entre les deux situations, que, dans le cas présent, la réconciliation des antagonistes était infiniment moins probable, et que, par conséquent, les circonstances offraient aux trois Etats forestiers beaucoup plus de chances favorables pour mener à bon terme leur entreprise d'émancipation politique.

Déjà, pendant l'interrègne qui leur rappelait l'époque où, à la suite de la mort du roi Rodolphe, ils avaient conclu le pacte du 1er août 1291, ils avaient dû s'entendre pour remettre celui-ci en vigueur et pour continuer, comme ils avaient pu le faire durant le règne d'Henri VII, à associer leurs destinées. Les progrès qu'ils avaient fait alors dans le sens d'une unité fédérative devinrent encore plus marqués quand, tout pouvoir central manquant, ils se sentirent livrés à eux-mêmes et éprouvèrent de plus en plus le besoin de resserrer les liens de leur confédération pour faire face aux périls que courait leur liberté. Il semble même que, comprenant tout le parti qu'ils peuvent tirer de l'anarchie de l'Empire, ils cherchent, en quelque sorte, à la faire durer pour ce qui les concerne, en ne s'empressant point, comme dans d'autres circonstances, de requérir de l'adversaire de la maison d'Autriche, appelé au trône par la majorité des Électeurs, la confirmation de leurs priviléges et de leurs franchises. C'est Louis de Bavière, au

contraire, qui fait vers eux les premiers pas, et eux-mêmes n'en appellent à son intervention royale, que lorsque celleci leur paraît nécessaire pour tenir en échec leurs propres ennemis.

Le 17 mars 1315, le roi Louis, mal assis sur le trône et qui cherchait à se concilier des partisans, adressa à tous les hommes d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden une lettre par laquelle il les informe qu'il était résolu à réprimer « l'audacieuse arrogance des ducs d'Autriche, qui mettaient en péril le bien public et menaçaient de tout bouleverser. » Dans ce but, il convoquait à Nuremberg une diète impériale pour le jour de la Pentecôte, et il engageait les hommes des vallées à demeurer, en attendant, de fidèles et fermes adhérents de sa cause 59. Les Waldstätten, que Louis de Bavière envisageait ainsi comme formant dans leur triade une unité politique, les Waldstätten répondirent à cet appel du roi en reconnaissant sa suprématie et en invoquant immédiatement son intervention, afin d'être relevés des effets de l'excommunication religieuse et de l'inter dit politique que l'abbé d'Einsiedeln, pour se venger de leurs hostilités, avait réussi à faire lancer contre eux 6o. A cette requête le roi Louis répondit le 25 mai 1315, que l'archevêque métropolitain de Mayence s'était engagé envers lui à lever l'excommunication, et qu'annulant lui-même le décret par lequel ils avaient été mis au ban de l'Empire, il les rendait à leur liberté première (in statum pristina libertatis restituentes). Il les assurait, du reste, qu'il donnait à tous ses adhérents les ordres les plus précis pour les secourir et les défendre chaque fois qu'ils en seraient requis.

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Cette missive royale n'ayant pas suffi, toutefois, pour mettre les Waldstätten à l'abri des désagréments que

leur causait le décret de proscription dont Frédéric le Beau les avait frappés, Louis de Bavière rendit, le 17 juillet 1315, un arrêt solennel, par lequel il fait savoir « à tous les fidèles du saint Empire romain, » qu'il a relevé de cette injuste sentence d'interdit « la communauté des hommes. d'Urach, de Switz et d'Unterwalden, » et que, vu leur attachement persévérant pour sa personne et pour l'Empire, il veut les mettre à l'abri des ennuis ou des dangers (tædium seu pericula), qui peuvent en résulter pour eux 61. Nous avons ici le premier acte authentique, étranger aux Etats forestiers eux-mêmes, dans lequel leur confédération est comprise sous une appellation commune et reconnue comme constituant une société politique distincte. On voit, dureste, que leurs adversaires pensaient de même, puisque l'abbé d'Einsiedeln, et, sur sa demande, Frédéric d'Autriche avaient procédé contre les trois vallées réunies, et non pas contre celle de Schwyz seulement, quoique seule elle eût été en lutte avec Notre-Dame des Hermites. On regardait dès lors les confédérés comme solidaires les uns des autres dans leurs relations avec l'étranger. Cette solidarité allait être mise à une rude et décisive épreuve.

Le pouvoir de Louis de Bavière était encore trop mal affermi pour que son assistance pût être d'un grand secours pour les Waldstätten, auxquels il n'avait pas même envoyé de bailli impérial afin de protéger ses droits et les leurs contre les menaces de l'Autriche. Frédéric le Beau, en revanche, venait de rendre, en vertu de son autorité royale, un décret qui attribuait à sa famille la possession des trois vallées 62, et l'on pouvait se dire que le moment n'était plus éloigné où, à de simples réclamations, succéderaient, de la part des ducs d'Autriche, des mesures plus énergiques et

plus efficaces. Dans la haute Allemagne, la cause de Louis de Bavière ne comptait pas un seul adhérent. Berne et Soleure n'avaient reconnu aucun des deux rois, et les plus proches voisins des trois vallées se déclaraient d'une manière plus ou moins prononcée en faveur de Frédéric. C'était sur cette situation que les Waldstätten devaient régler leur conduite. Tandis qu'ils sont en mésintelligence ouverte avec ceux des partisans ou des subordonnés de l'Autriche qu'ils ne peuvent pas se flatter d'attirer à eux, ils usent de ménagements envers les voisins dont ils espèrent gagner la neutralité.

La ville de Lucerne et le comte de Strassberg, qui gouverne pour l'Autriche dans l'Oberland, sont du nombre des ennemis que les trois vallées ne peuvent espérer de détacher de la cause autrichienne, et envers lesquels elles demeurent, durant tout l'été de 1315, dans un état d'hostilité plus ou moins déclarées. Les préparatifs de guerre qui se faisaient alors à Lucerne et dont les détails sont consignés dans les registres du Conseil, auraient seuls suffi pour justifier les mesures de précaution que les confédérés jugeaient bon de prendre. Les gens d'Uri, redoutant tout ce qui aurait pu favoriser chez eux les prétentions de la maison d'Autriche, s'opposent à ce que Werner de Homberg, ancien bailli des Waldstätten, prenne possession du péage impérial de Fluelen, dont le roi Frédéric lui avait confirmé l'inféodation 64. Menacés par Lucerne du côté du lac, ils s'efforcent de conjurer les attaques dont leur vallée aurait pu être également l'objet sur leurs frontières de l'est et du sud, et, en même temps qu'ils travaillent à s'attacher les habitants du bailliage autrichien d'Urseren, ils concluent, le 25 juillet 1315, avec ceux du bailliage autrichien de Gla

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