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Bas-Unterwalden s'étaient unis pour ne former qu'une seule communauté, ou bien cette unité résulte-t-elle de ce que leur suzerain, le roi Albert, comte du Zurichgau, leur avait donné un même landammann? C'est ce qu'on ne peut dire avec certitude. Il est probable que les deux alternatives de la question doivent contribuer à fournir les éléments de la réponse. Que le landammann fut encore un fonctionnaire à la nomination de l'autorité souveraine et n'eut pas encore complétement échangé ce caractère contre celui d'un magistrat républicain nommé par ses pairs, cela devait être le cas dans l'Unterwalden, plus encore que dans les deux autres Waldstätten, où l'on ne saurait douter qu'il en était ainsi. Que, d'autre part, les deux parties du pays se soient réunies d'elles-mêmes, sans l'intervention de leur suzerain, c'est ce que l'on est bien forcé d'admettre, puisqu'il est positif que la vallée de Sarnen avait voulu que son nom fût gravé, après coup, à côté de celui de la vallée de Stanz, sur le sceau apposé au pacte de 1291, afin de constater qu'elle formait une partie intégrante de la communauté d'Unterwalden confédérée avec Uri et Schwyz.

C'est probablement à cette occasion que, des deux côtés du Kernwald, on s'est rapproché, et un peu plus tard, sous le roi Albert, cette fusion des deux vallées a été reconnue et consacrée par le choix d'un seul et même landammann. Quoi qu'il en soit, si l'obscurité qui a toujours enveloppé les premières destinées du pays d'Unterwalden s'étend aussi sur l'origine même de son organisation unitaire et de sa constitution en communauté, la formation et l'existence de celles-ci au commencement du quatorzième siècle n'en sont pas moins avérées, et l'on peut, dès ce moment, en suivre les traces dans la succession prochaine des événe

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ments. Ce sera donc durant les dix années où Albert d'Autriche occupa le trône d'Allemagne, et avec son assentiment, que le troisième des Etats forestiers sera parvenu à régler sa condition intérieure sur le modèle de ses deux. voisins.

Tout ceci ne s'accorde guère avec le renom de tyrannie qui s'attache d'ordinaire, surtout en ce qui concerne l'histoire des Waldstätten, au règne de ce monarque. Mais les témoignages authentiques qui nous ont été conservés de cette époque ne justifient point l'accusation portée contre la personne et le gouvernement d'Albert d'Autriche. Il se montra, sans doute, comme son père et plus que son père, le vigoureux défenseur des droits de l'Empire et de ceux de sa maison. Mais rien, dans sa conduite, ne décèle les caprices malfaisants d'un despote atrabilaire, et n'infirme le jugement qu'ont porté de lui les chroniqueurs contemporains. <«< Chaste, prudent, pacifique, réglé dans ses mœurs, il avait, disent-ils, autant de noblesse dans l'âme que de courage et de fermeté dans le caractère. Toujours maître de lui-même, il ne se laissa jamais emporter ni aux menaces, ni aux violences; il était aussi fidèle observateur de la religion et de la foi jurée, que politique habile et guerrier magnanime; mais, quand il y allait des intérêts de l'Empire et de son propre honneur, il ne faiblissait jamais, et il fit sentir tout le poids de son pouvoir à bon nombre de princes 1o. » Et lui-même, à propos d'exactions que ces petits souverains ecclésiastiques et séculiers se permettaient envers les villes des bords du Rhin, écrivait à ces dernières qu'il approuvait et appuierait leur résistance contre de semblables vexations. « Sachez, leur disait-il, que dans notre désir d'assurer à nos sujets, selon le devoir qui nous

est imposé, l'ordre et la paix, nous avons passé bien des nuits sans sommeil, pour vous procurer, ainsi qu'à tous les autres ressortissants de l'Empire, un repos durable. »> Ce n'est pas là le langage, ce n'est pas là le portrait d'un tyran qui se serait plu à dépouiller les Waldstätten, par l'emploi de moyens odieux, de leurs modestes libertés, et qui aurait ainsi provoqué, vers la fin de son règne, chez ces petites peuplades, un soulèvement général.

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Mais de cette tyrannie, comme de ce soulèvement et de l'alliance qui en aurait été la suite, les documents contemporains n'ont conservé nulle trace, et ce qu'ils nous apprennent ne peut guère se concilier avec l'existence d'un régime oppresseur supprimé par une révolution. Sans revenir sur ce que nous avons déjà raconté d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden, - où l'on peut, il est vrai, reconnaître un temps d'arrêt dans les progrès de l'affranchissement politique, mais nul symptôme d'un système de compression rigoureuse, et bien moins encore la perpétration d'actes de débauche, de barbarie et de folle cruauté, nous constatons, vers la fin du règne d'Albert, des incidents qui se concilieraient mal avec un état de choses aussi désordonné. Ainsi, en 1307, le 7 décembre, les gens de Steinen sont tout occupés de régler pacifiquement avec leur curé des intérêts de paroisse, dont il n'est pas probable qu'ils eussent pris tant de souci, au plus fort d'un temps de crise et de perturbation. Six mois plus tôt, la reine Elisabeth s'occupe, de son côté, à doter le monastère d'Engelberg de biens qu'elle vient d'acquérir dans l'Unterwalden, afin que les moines prient pour son propre salut, pour celui de son mari Albert, roi des Romains, et pour celui de leurs enfants 21. Ceci ne cadre guère mieux avec les scènes sanglan

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tes dont la tyrannie exercée au nom de ce roi aurait été la cause dans cette vallée. Quand, quelques mois après sa mort, les gens d'Uri parlent de son règne, ils le font sans que rien n'indique qu'il ait été pour eux, comme les confédérés l'avaient donné à entendre de celui de son père, une époque d'usurpation (bi Kunig Albrechtes seligen von Rome siten), et l'on retrouve à leur tête le même landammann qu'ils avaient depuis quatorze ans, de même qu'à Schwyz c'est encore un Stauffach qui remplit cette charge 22. Dans l'Unterwalden où, jusque-là, on n'en avait pas constaté l'existence, elle se montre pour la première fois sous Albert, et le landammann y consacre en sa personne l'unité des deux vallées. Il est difficile de voir, dans tout cela, rien qui trahisse les excès et les abus d'un régime d'oppression, de même qu'on ne comprendrait pas qu'il eût fallu recourir, pour s'y soustraire, à de secrètes ententes et à de mystérieux conciliabules, dans l'un desquels on aurait résolu, pour la première fois, de former, comme si elle n'avait pas été déjà constituée seize ans plus tôt, une confédération défensive.

L'histoire intérieure des trois vallées donne donc, à l'existence d'un soulèvement populaire qui les aurait affranchies de la tyrannie du roi Albert d'Autriche, un démenti que la conduite ultérieure de ce prince et celle de ses fils confirment du reste pleinement. Une révolte qui aurait eu pour conséquence, non-seulement de braver, mais d'outrager son autorité souveraine en allant jusqu'à l'expulsion et au meurtre de ses officiers, n'eût pas été un instant tolérée par un monarque non moins jaloux de son pouvoir que résolu à le faire respecter. Aussi, quand on le voit, au mois d'avril 1308, alors qu'il venait recruter, dans la haute Al

lemagne, des auxiliaires pour sa guerre de Bohême, séjourner sur les bords de la Limmat et de la Reuss, et se rapprocher ainsi du théâtre de cette rébellion prétendue sans faire le moindre préparatif où perce l'intention d'en châtier les auteurs; quand on le voit d'abord tout occupé à célébrer avec éclat les fêtes de Pâques, en ayant autour de lui une suite brillante de grands seigneurs et de prélats; quand on le voit peu après (25 Avril) confirmer à l'abbaye de Zurich la possession de domaines, dans lesquels se trouvent compris les lieux mêmes qui auraient été le foyer de la révolte ; quand on le voit, six jours plus tard, sans vouloir ajouter foi à la révélation du complot qui devait lui coûter la vie, s'égayer dans un banquet avec ses fils et avec le neveu dont la main était déjà levée sur lui, puis s'en aller plein d'empressement à la rencontre de la reine qui venait le rejoindre 23; il paraît impossible d'admettre qu'il dévorait en silence un affront que lui auraient infligé d'insolents paysans et qu'une inexplicable impunité n'aurait rendu que plus mortifiant pour son amour-propre et plus compromettant pour son autorité.

De même, lorsqu'après le crime odieux qui lui ôta inopinément la vie, on voit ses fils préoccupés avant tout de tirer de cet assassinat, dans le plus prochain voisinage des Waldstätten, une vengeance qui satisfaisait également leurs sentiments et leurs intérêts, croit-on qu'ils auraient hésité davantage à châtier et à faire rentrer dans l'ordre ceux qu'ils regardaient comme des sujets de leur maison et qu'aurait momentanément ménagés leur père ? Enfin, comment se fait-il que, dans toutes les réclamations que les ducs d'Autriche ont élevées contre les Etats forestiers, jamais ils n'aient fait la moindre allusion à la révolu

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