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ble surprise, lorsque, peu d'instans après, la barre de fer s'étant ébranlée sur la grande porte de la cour, je vis venir à moi un jeune paysan qui, une lanterne à la main, m'engageait à entrer chez lui, et s'excusait d'un moment de retard avec des expressions d'une politesse et d'une convenance parfaites; il me conduisit dans une salle où une cheminée haute de plusieurs pieds étendait en avant son large manteau. A la lueur de la flamme qui s'élevait dans le foyer je regardai la figure de mon hôte; elle était fatiguée, pâle, et semblait porter l'empreinte des veilles de l'étude et du plaisir, plutôt que la rude marque des labeurs de la campagne. Tandis que ce jeune homme me prodiguait ses soins avec une touchante activité, j'entendis sur l'escalier les pas d'une femme qui descendait; à sa voix, je reconnus la personne qui m'avait parlé à la fenêtre : c'était la maîtresse de la maison. Si la douceur de son organe m'avait surpris, je le fus encore bien d'avantage de son aspect, de sa démarche, de l'aisance de ses manières, du goût exquis de ses paroles, et surtout de la grâce mignonne de son visage, qui semblait plutôt celui d'une jeune femme de la Chaussée-d'Antin que celui d'une personne cachée dans les bois de la Lorraine. Il y avait aussi dans sa mise quelque chose d'étrange, un peu du luxe et des précautions de nos villes mêlé à la simplicité des habits villageois. Les paysanes de ces contrées cachent la beauté de leur chevelure sous ur bonnet d'étoffe rouge, échancré sur le front et sur les tempes, que deux rubans noirs attachent sous le cou; coiffure à près semblable à celle de la reine Marie-Stuart. Ma jolie hôtesse avait bien aussi ce bonnet lorrain; mais, contre l'usage du pays, elle avait disposé de chaque côté de son front deux touffes de cheveux tombant en longues spirales selon la mode de ce temps-là. Ce qui ne me surprit pas moins c'est que, pour vaquer à ses travaux de ménagère, elle avait la précaution de couvrir ses mains d'un gant de peau, et qu'au lieu du sabot grossier où le pied des villageoises se met à l'aise, celle-ci, sous son cotillon de bure, laissait voir,

peu

enfermé dans une chaussure étroite, deux petits pieds dont j'admirai la gracieuse finesse.

A part la rustique simplicité des meubles, ma chambre à coucher était une chambre à coucher de Paris, avec toutes les recherches, les délicatesses dont nos habitudes nous font une exigence; et avant de se retirer, mes hôtes me firent remarquer qu'au chevet de mon lit il y avait quelques rayons chargés de livres. Ce paysan, qui s'était prêté de si bonne grâce à panser mon cheval, et qui n'était guère mieux vêtu que ne le sont en général les valets de charrue, ce bon paysan, dans la courte conversation qu'à l'occasion de ces livres je venais d'avoir avec lui, avait laissé échapper quel ques mots qui trahissaient l'homme versé dans les lettres, J'éprouvai quelque peine de voir que la vanité l'avait poussé à quitter un instant son rôle, et qu'il aimait mieux paraître à mes yeux un homme de lettres qu'un laboureur; comme s'il n'était pas mieux de labourer la terre pour se nourrir, soi, sa femme et ses enfans, que de se dessécher le corps et l'esprit à labourer une feuille stérile!... En faisant ces réflexions, je m'endormis, et si bien que le lendemain je dormais encore lorsque mon hôte, inquiet d'un silence aussi long-temps prolongé, vint m'avertir qu'il était midi, et me proposer d'être mon guide à travers les bois jusqu'au village de R...court. Les excuses que je fis à cette offre obligeante ne firent que lui prouver combien elle m'était agréable. Je m'habillai à la hâte, et passai dans la salle voisine pour prendre congé de la jeune femme. Qu'elle était élégante et jolie! Combien j'aurais voulu avoir été plus longtemps son pensionnaire, pour être en droit de lui demander le baiser du départ!

Cependant nous étions dans la cour, où son mari m'attendait avec les deux chevaux. Elle s'approcha de lui, et enlaçant son bras dans le sien, penchée sur sa poitrine, et levant vers lui ses grands yeux noirs, elle lui dit avec une douce voix : « Joseph, ne me laissez pas long-temps seule, et prenez bien garde qu'il ne vous arrive en chemin quelque

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accident. » Joseph, souriant de ses craintes, lui promit d'être de retour avant une heure ; il s'élança sur son cheval; j'en fis autant, et nous marchons dans le bois. Déjà nous avions parcouru silencieusement une partie du chemin, lorsque mon jeune guide, devinant le sujet de ma préoccupation : « De tous les voyageurs que le hasard nous a envoyés jusqu'à ce jour, me dit-il, vous êtes le premier qui ne m'ayez pas fait compliment de ma femme. Savez-vous bien que pour une paysane.... » Je l'interrompis sur ce mot, l'assurant que la discrétion me défendait toute question importune, mais que je n'avais pas été un seul instant abusé par la rusticité de leur habitation et de leurs vêtemens. A cela le jeune fermier répondit avec esprit, et nous échangeâmes quelques paroles ambiguës, où je témoignais la crainte de le pousser trop vivement, tandis qu'il excitait mon intérêt par des demi-confidences. Cette conversation nous ayant conduits à parler de moi, de mes projets, du but de mon voyage, je lui témoignais tant de confiance, je me fis connaître à lui avec tant d'abandon, que me croyant digne d'entrer dans les secrets de son bonheur, et voulant me rendre l'honneur que je lui avais fait, il consentit à me raconter l'histoire de sa vie, ce qu'il fit à peu près en ces

termes :

Je suis le fils unique d'un laboureur; ayant perdu ma -mère peu de mois après ma naissance, l'amour que mon père avait pour mois'augmenta de toute la douleur que lui causait la perte d'une femme tendrement aimée. Au lieu de m'élever dans l'heureuse condition de ma famille, mon père, qui ne rêvait que bonheur pour mon avenir, pensa qu'il était digne de sa tendresse de me donner une profession plus libérale. A l'âge de neuf ans, ma vie fut sacrifiée à une erreur commune, et je fus envoyé au prytanée de Nancy. Je passai les plus belles années de ma vie dans cette maison, où, me laissant ignorer les choses qui pouvaient m'être utiles un jour, on me chargeait la tête de connaissances dont je n'avais que faire. Ce temps si précieux, perdu d'une

manière si sotte, n'était, comme vous le savez, que le commencement de la misérable carrière où l'on m'avait jeté. Sorti d'une école, il fallait passer dans une autre, et je fus envoyé à Paris pour y apprendre le droit; mais quand je voulus me livrer à cette étude, je sentis qu'un dégoût insurmontable m'en éloignait à jamais. Ce fut en vain que pendant une année je prétendis lutter contre cet obstacle; une tristesse profonde, la haine du travail, ma santé altérée, furent les seuls résultats que j'obtins. Le dégoût ayant amené l'oisiveté, je n'eus dès lors d'autre soin que d'éloigner l'ennui par les plaisirs. La vie de l'homme n'est pas faite pour le plaisir l'esprit s'affaiblit, la conduite s'égare, et chaque action de la vie se trouve marquée par son déréglement. J'allais donc me plonger dans tous les désordres que l'oisiveté amène à sa suite, lorsqu'une circonstance, qui dans la coutume des choses devait ajouter à mon inconduite, vint m'arracher pour toujours aux dangers de Paris. Il y avait au Théâtre-Français une jeune actrice encore à ses débuts, mais dont le jeu, rempli d'intelligence, d'esprit et de sentiment, avait fait sur moi une tendre impression. Ce n'était pas un désir charnel inspiré par la beauté des formes, ce n'était pas admiration pour le talent; c'était la femme et non l'artiste que je voyais, que j'aimais, que chaque soir je venais contempler. Chose singulière, et qui prouve combien une ame aimante est jalouse de l'objet de ses ardeurs, c'est que les applaudissemens prodigués à cette jeune fille, loin de contenter ma tendresse, l'accablaient d'ennui et de mélancolie! il me semblait que lorsqu'elle entrait sur la scène, moi seul j'avais le droit de lui témoigner combien elle était charmante, aimable, et j'aurais volontiers prié les gens du parterre de garder pour d'autres leurs battemens de mains et leurs bravos. Avec un peu d'argent et de protections, je parvins à pénétrer dans le foyer de la comédie, sorte de salon où les acteurs se réunissent avant la représentation, et où viennent les visiter des gens de toute condition. Parée de brillans et de fleurs, habillée

selon les rôles gracieux que de jeunes auteurs écrivaient pour elle, Mlle Sophie se rendait souvent à ce salon; et quand elle entrait, toujours il y avait un mouvement d'admiration, un instant de silence donné à sa beauté ; ses camarades eux-mêmes n'étant pas encore habitués à ce mélange de coquetterie, de naïveté et de pudeur qui animait sa tête ravissante. Caché dans l'endroit le plus obscur du foyer, feignant d'écouter la conversation de quelque belesprit, je contemplais en silence cette jolie enfant que tout un peuple allait aimer, et dont chaque parole était un mot spirituel, chaque mouvement une grâce, une séduction de plus.

Il y avait de jeunes comédiens, des artistes, des officiers, d'agréables désœuvrés, qui s'approchaient d'elle, lui bai→ saient les mains, riaient avec elle et la faisaient rire ; car elle s'abandonnait à la gaieté avec franchise, se montrant aussi bonne qu'elle était jolie, et semblant ne compter que sur sa douceur et sa timidité pour obtenir les respects qui lui étaient dus. Moi, je n'osais lui parler. Même, quand elle s'approchait du canapé où j'étais assis, je tremblais qu'elle ne vînt à s'asseoir près de moi, à m'adresser la parole; qu'aurais-je pu lui dire? Il m'était arrivé quelquefois de vouloir surmonter mes craintes pour lui adresser un mot flatteur; mais j'étais si ému que je ne pouvais rencontrer une heureuse pensée, une parole qui satisfit son esprit délicat; j'affectais l'effronterie pour cacher mon embarras, et quand j'avais parlé, je sentais mieux que personne combien ce que j'avais dit était déplacé et ridicule. Vous voyez que j'aurais pu long-temps la chérir ainsi, sans qu'elle en eût le plus léger soupçon, si le hasard n'était venu à mon secours.

Je venais de m'asseoir au balcon du théâtre pour y voir Sophie, lorsqu'un jeune homme, placé près de moi, engagea avec un de nos voisins une conversation dont cette jeune fille était l'objet, et dans laquelle sa réputation était outragée par les plus révoltans propos. Peindre ce que je souffrais à l'entendre serait impossible. « Je vous assure ".

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