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faire au dey quelques questions sur la défense du pays où il commandait. Hussein y consentit volontiers. Je lui dis : « J'ai fait le commencement de la campagne d'Alger ; j'étais sur un des bâtimens qui ont abordé les premiers l'Afrique, et qui, les premiers, devaient tenter le débarquement. Arrivé dans la baie de Sidi-Ferruch, j'ai cru, comme toute l'armée, que le silence de vos batteries était une feinte de votre part, et que la nuit du 13 au 14 vous démasqueriez des canons cachés derrière les touffes d'arbousiers et de lauriers qui bordent la rade. Pourquoi n'aviez-vous pris aucune disposition pour nous foudroyer et retarder au moins notre débarquement? Comment se fait-il que vous ayez laissé sans la hérisser de mortiers et de canons une plage qui, une fois conquise, nous livrait la route de la ville? >>

Pendant que l'interprète posait ma question au dey, je voyais la figure du Turc devenir grave et presque mélancolique. J'avais peur d'avoir, malgré moi, laissé échapper quelques mots qui l'eussent affligé; je le dis tout de suite à M. Jouannin, qui me rassura. Hussein répondit; son geste était énergique; il n'y avait pourtant pas de colère dans sa parole, mais du dédain et de l'indignation. Il parla environ trois minutes sans être interrompu que par des syllabes, dont M. le drogman semblait accentuer son discours. Jamais je n'ai plus regretté mon ignorance des langues orientales, qui me privait de recevoir en original cette réponse remarquable, dont M. Jouannin me fit part aussitôt : « Il y a bien dès choses à répondre à ce que vous me demandez; mais je me borne à ceci : tant que la guerre a duré, je n'ai jamais été instruit de ce qui se passait au-dehors de mon château ; on m'a trompé. Le divan agissait sans moi, il me cachait toutes ses résolutions. Si la côte de Sidi-Ferruch n'a pas été défendue contre les Français, c'est que celui à qui j'avais confié le commandement de cette portion du territoire et de l'armée qui devait la défendre était un lâche. Malheureusement ce lâche est mon gendre!.... Tenez, voici une pensée qui renferme toutes les miennes sur votre question : Cent

lions commandés par un chakal, le plus lâche des animaux, seront vaincus ; cent chakals, commandés par un lion, auront des chances pour vaincre. »

Le reste de sa réponse fut le développement de ces quatre phrases. Il me dit, entre autres choses, qu'il était entouré de trahisons; qu'on vint lui dire un jour qu'on ne défendrait pas Alger, parce que ce n'était pas aux Algériens que le roi de France en voulait, mais au dey. «Un homme fut assez lâche pour aller offrir à Bourmont ma tête; il rejeta avec une horreur loyale cette horrible proposition. » Le nom de M. de Bourmont sortit souvent de sa bouche; c'était la seule chose que je pouvais comprendre. M. Jouannin m'expliqua la pensée, plusieurs fois reproduite, où ce nom propre intervenait : « Bourmont, Bourmont, s'il n'avait pas été bien obéi, n'aurait pas pris Alger, n'est-ce pas ? » A propos du gendre de Hussein, M. Jouannin me dit que le dey était tellement irrité contre cet homme, que d'Alger à Naples il le tint toujours à une grande distance de sa personne; qu'il ne lui adressa la première fois la parole que pour lui reprocher d'avoir méconnu ses avis et ses ordres. L'aga le paya de mauvaises paroles; la querelle, au surplus, ne fut pas longue entre le gendre et le beau-père; Hussein redoutait l'aga, qui est d'une taille et d'une force colossales, et qui était toujours armé pour poignarder le dey, si celui-ci faisait mine de vouloir se venger de la trahison dont il se plaignait.

Cette accusation de lâcheté portée par le pacha contre le séraskier de Sidi-Kalef me remit en mémoire une lettre trouvée sur le sable de Torre-Chica, le jour du débarquement, et qu'un des interprètes de l'armée montra à mon ami M. Rolland, et à moi. Je ne me souviens pas du commencement de cette épître; je ne pus en dire que le sens à Hussein: « Ton maître te recommande de veiller au poste » qu'il t'a remis. » La lettre finissait par cette phrase remar. quable : « Sois brave, parce qu'il y a dans le ciel un dieu >> qui punit les lâches. » Le dey m'a demandé si cette pièce

n'était pas signée Ibrahim. Je ne me rappelle pas la signature, j'ai également oublié la suscription. Ce petit monument existe sans doute entre les mains de l'interprète qui me l'a expliqué, en présence de M. Abaïbi, Algérien, interprète attaché à la brigade de M. le général Bertier de Sauvigny, et qui a, je crois, été chef d'escadron dans les mamelucks de la garde impériale.

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Avant de prendre congé de Hussein-Pacha, je lui ai parlé de Bruat, dont je lui ai dit que j'étais l'ami intime. Il a souri quand il a entendu que je disais que cet officier m'avait entretenu en termes honorables du dey d'Alger. « Je n'ai rien fait pour lui cependant. Vous avez fait beaucoup; car vous pouviez faire décapiter lui et ses compagnons. Et pourquoi? Ils ont été bien malheureux; soyez persuadé que ce n'est pas ma faute. Voici quelques circonstances qu'il est bon que vous sachiez. Aussitôt que j'appris le naufrage de vos bâtimens, j'envoyai des officiers pour protéger les Français contre les bédouins, race avec laquelle il n'y a pas traité possible, mais qui craint les Turcs et n'aurait pas osé faire du mal au chrétien que j'aurais ordonné de sauver. La fortune voulut que de grandes pluies eussent enflé la rivière, à l'est d'Alger, qui se trouve par conséquent entre le lieu du naufrage et la ville. Mes officiers ne purent passer à gué le fleuve, et le retard qu'ils éprouvèrent dans leur mission fut cause de leurs plus grandes souffrances. Les habitans du pays tenaient à se défaire absolument des naufragés, parce qu'une frégate, venue sur la côte à la découverte des briks, ayant tiré des coups de canon, ils crurent que c'était une attaque, et ils regardèrent comme autant de guides dangereux pour le pays tous les Français qui étaient là. C'est le secret de leur fureur. » Je remerciai Hussein de cette explication et lui dis que Bruat m'avait reconté la même chose.

J'avais long-temps abusé de la complaisance du pacha. Il était deux heures et demi lorsque nous prîmes congé de lui. Je le remerciai de son audience et de tout ce qu'il avait bien

voulu me dire. Il me salua de la tête et de la main, en prononçant cette formule de politesse usitée dans son pays: « Vous êtes le bien-venu. »

Dois-je terminer le récit de cette entrevue, qui m'a intéressé au dernier point, sans faire de Hussein-Pacha un portrait dont j'espère qu'il ne se fächera pas? Le dey d'Alger est un vieillard d'une taille moyenne. Il est assez gros, et il a l'air encore très-vigoureux, quoiqu'il ait soixante-trois ans. Sa tête est forte et largement caractérisée. Une barbe longue, grise, aux reflets dorés, sur laquelle tombent, comme deux grandes parenthèses, des moustaches plus noires que le reste de cet ornement viril, ajoute à la beautě de sa figure. Ses yeux, qui sont doux, sont à moitié cachés par des lunettes ovales. Ces lunettes ont étonné quelques spectateurs de l'Opéra, qui ne comprennent pas un Turc avec des lunettes. Beaucoup d'habitans d'Alger et de plusieurs autres parties de l'empire sont obligés d'avoir recours à cet instrument, leur vue ayant à souffrir de la réverbération des maisons blanches, du pavé et du sable, frappés par un soleil ardent. Hussein n'est pas grave et impassible comme l'envoyé du bey de Tunis, qui est maintenant à Paris; il aime à rire et à conter. Il m'a semblé qu'il avait plus d'instruction que n'en ont d'ordinaire les Orientaux. Ses répliques sont vives et souvent spirituelles. Il a de la bonhomie, et je pourrais dire un laisser-aller naïf qui le rend aimable. Ses manières sont douces et engageantes.

Il m'a dit qu'il venait passer quelque temps à Paris pour voir et étudier, et qu'il ne voulait pas faire comme ces voyageurs qui se pressent de courir partout, et finissent par ne rien retenir. On a dit que c'était un homme trèsvulgaire; je n'en juge pas ainsi, tant s'en faut : il m'a paru au contraire fort distingué. La simplicité de ses habitudes, la douceur de son langage', sa gaieté facile, doivent rendre son commerce agréable. Je me souviens maintenant d'une petite scène qui prouve assez bien son bon naturel. M. André, voyant à côté du canapé une longue canne mince, à

pommeau d'or et renfermant une épée, a demandé à qui elle appartient, Hussein, montrant sa barbe, a répondu : «C'est pour soutenir le vieillard. » Un instant après, M. André ayant présenté des billets de spectacle au pacha, celuici a dit en plaisantant : « Je ne veux pas accepter la politesse de M. André. » Mon introducteur a pris alors vivement la canne, et faisant mine de dégaîner l'épée pour menacer le dey, Hussein s'est mis à rire aux éclats, en baissant la tête qu'il a couverte de ses deux bras, et se rendant il a dit : « Si vous vous y prenez de cette façon, il faut bien être votre obligé. » Cet enjouement d'enfant ne m'a pas semblé du tout ridicule dans un sexagénaire que j'avais vu, un peu auparavant, admirable de dignité et de noblesse sans apprêts.

J'ai lu quelque part que les cartes de visite du pacha Hussein portaient cette inscription: M. Hussein, ex-dey d'Alger; j'ai vu une des cartes; on y lit: HUSSEin-Pacha, et au-dessous : DEY D'ALGER. Des mots arabes composent une troisième ligne, traduction littérale des deux premières.

Une chose qui paraîtra étonnante c'est que, dans ma conversation avec Hussein, il n'ait pas été dit un seul mot des femmes. J'avoue que j'ai tout-à-fait oublié ce chapitre. Je m'étais bien promis, d'ailleurs, de ne pas lui parler des siennes par discrétion. Quelqu'un m'a raconté que dans une maison où était le pacha, une dame lui demanda s'il regrettait Alger. A peine il eut entendu la question qu'il dit à son drogman: «Demandez à cette dame si elle veut que je lui raconte une histoire. » La questionneuse se hâta d'aocepter la proposition, et Hussein lui dit « J'avais un ros

signol que j'aimais beaucoup ; je lui donnais des soins; je pensais qu'il avait tout-à-fait oublié l'Atlas. Un jour j'ouvris sa cage; il s'envola vers la montagne et ne revint pas. >> Je n'ai pas vérifié si l'anecdocte est exacte; mais s'il n'a pas dit ce joli petit apologue, il a très-bien pu le dire.

Je n'ai plus qu'un mot et je finis. Le bruit a couru qu'Hussein est venu à Paris pour traiter de son retour à

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