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de Cologne un relais de dix-sept chevaux anglais. La république constata que chaque année soixante-quinze à quatrevingts millions sortaient ainsi de la France sans aucun profit pour la morale, au nom de laquelle la suppression avait été demandée.

REGNIER DEStourbet.

L'ABBÉ PRÉVOST.

On a comparé souvent l'impression mélancolique que produisent sur nous les bibliothèques, où sont entassés les travaux de tant de générations défuntes, à l'effet d'un cimetière peuplé de tombes. Cela ne nous a jamais semblé plus vrai que lorsqu'on y entre, non avec une curiosité vague ou un labeur trop empressé, mais guidé par une intention particulière d'honorer quelque nom choisi, et par un acte de piété studieuse à accomplir envers une mémoire. Si pourtant l'objet de notre étude, ce jour-là, et en quelque sorte de notre dévotion, est un de ces morts fameux et si rares dont la parole remplit les temps, l'effet ne saurait être ce que nous disons; l'autel alors nous apparaît trop lumineux ; il s'en échappe incessamment un puissant éclat qui chasse bien loin la langueur des regrets et ne rappelle que des idées de durée et de vie. La médiocrité, non plus, n'est guère propre à faire naître en nous un sentiment d'espèce si délicate; l'impression qu'elle cause n'a rien que de stérile et ressemble à de la fatigue ou à de la pitié. Mais ce qui nous donne à songer plus particulièrement, et ce qui suggère à notre esprit mille pensées d'une morale pénétrante, c'est quand il s'agit d'un de ces hommes en partie célèbres et en partie oubliés, dans la mémoire desquels, pour ainsi dire, la lumière et l'ombre se joignent; dont quelque production toujours debout reçoit encore un vif rayon qui semble mieux éclairer la poussière et l'obscurité de tout le reste; c'est quand nous touchons à l'une de ces renommées recommandables et jadis brillantes, comme il s'en est vu beaucoup sur la terre, belles aujourd'hui, dans leur silence, de la beauté d'un

cloître qui tombe, et à demi couchées, désertes et en ruine. Or, à part un très-petit nombre de noms grandioses et fortunés qui, par l'à-propos de leur venue, l'étoile constante de leurs destins, et aussi l'immensité des choses humaines et divines qu'ils ont les premiers reproduites glorieusement, conservent ce privilége éternel de ne pas vieillir, ce sort un peu sombre, mais fatal, est commun à tout ce qui porte dans l'ordre des lettres le titre de talent et même celui de génie. Les admirations contemporaines les plus unanimes et les mieux méritées ne peuvent rien contre; la résignation la plus humble, comme la plus opiniâtre résistance, ne hâte ni ne retarde ce moment inévitable, où le grand poète, le grand écrivain, entre dans la postérité, c'est-à-dire où les générations, dont il fut le charme et l'ame, cédant la scène à d'autres, lui-même il passe de la bouche ardente et confuse des hommes à l'indifférence, non pas ingrate, mais respectueuse, qui, le plus souvent, est la dernière consécration des monumens accomplis. Sans doute quelques pèlerins du génie, comme Byron les appelle, viennent encore et jusqu'à la fin se succéderont à l'entour; mais la société en masse s'est portée ailleurs et fréquente d'autres lieux. Une bien forte part de la gloire de Walter Scott et de Chateaubriand plonge déjà dans l'ombre. Ce sentiment qui, ainsi que nous le disons, n'est pas sans tristesse, soit qu'on l'éprouve pour soi-même, soit qu'on l'applique à d'autres, nous devons tâcher du moins qu'il nous laisse sans amertume. Il n'a rien, à le bien prendre, qui soit capable d'irriter ou de décourager; c'est un des mille côtés de la loi universelle. Ne nous y appesantissons jamais que pour combattre en nous l'amour du bruit, l'exagération de notre importance, l'enivrement de nos œuvres. Prémunis par-là contre bien des agitations insensées, sachons nous tenir à un calme grave, à une habitude réfléchie et naturelle, qui nous fasse tout goûter selon la mesure; nous permette une justice clairvoyante, dégagée des préoccupations superbes, et, en sauvant nos productions sincères des changeantes saillies du jour et des jargons bi

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garrés qui passent, nous établisse dans la situation intime la meilleure pour y épancher le plus de ces vérités réelles, de ces beautés simples, de ces sentimens humains bien ménagés, dont, sous des formes plus ou moins neuves et durables, les âges futurs verront se confirmer à chaque épreuve l'éternelle jeunesse.

Cette réflexion nous a été inspirée au sujet de l'abbé Prévost, et nous croyons que c'est une de celles qui de nos jours lui viendraient le plus naturellement à lui-même, s'il pouvait se contempler dans le passé. Non pas que, durant le cours de sa longue et laborieuse carrière, il ait jamais positivement obtenu će quelque chose qui, à un moment déterminé, éclate de la plénitude d'un disque éblouissant, et qu'on appelle la gloire ; plutôt que la gloire, il eut de la célébrité diffuse et posséda les honneurs du talent, sans monter jusqu'au génie. Ce fut pourtant, si l'on parle un instant avec lui la langue vaguement complaisante de Louis XIV, ce fut, à tout prendre, un heureux et facile génie, d'un savoir étendu et lucide, d'une vaste mémoire, inépuisable en œuvres, également propre aux histoires sérieuses et aux amusantes, renommé pour les grâces du style et la vivacité des peintures, et dont les productions, à peine écloses, faisaient, disait- -on alors, les délices des cœurs sensibles et des belles imaginations. Ses romans, en effet, avaient un cours prodigieux; on les contrefaisaient de toutes parts; quelquefois on les continuaient sous son nom, ce qui est arrivé pour le Cléveland; les libraires demandaient du l'abbé Prévost, comme précédemment du Saint-Évremond; lui-même il ne les laissait guère en souffrance, et ses œuvres, y compris le Pour et Contre et l'Histoire générale·· des Voyages, vont beaucoup au-delà de cent volumes. De tous ces estimables travaux, parmi lesquels on compte une bonne part de créations, que reste-t-il dont on se souvienne et qu'on relise? Si dans notre jeunesse nous nous sommes trouvés à portée de quelque ancienne bibliothèque de famille, nous avons pu lire Cléveland, le Doyen de Killerine,

les Mémoires d'un Homme de qualité, que nous recommandaient nos oncles ou nos pères; mais à part une occasion de ce genre, on les estime sur parole, on ne les lit pas. Que si par hasard on les ouvre, on ne va presque jamais jusqu'à la fin, pas plus que pour l'Astrée ou pour Clélie; la manière en est déjà trop loin de notre goût, et rebute par son développement, au lieu de prendre, il n'y a que Manon Lescaut qui réussisse toujours dans son accorte négligence, et dont la fraîcheur sans fard soit immortelle. Ce petit chef-d'œuvre échappé en un jour de bonheur à l'abbé Prévost, et sans plus de peine assurément que les innombrables épisodes, à demi-réels, à demi-inventés, dont il a semé ses écrits, soutient à jamais son nom au-dessus du flux des années, et le classe de pair, en lieu sûr, à côté de l'élite des écrivains et des inventeurs. Heureux ceux qui, comme lui, ont eu un jour, une semaine, un mois dans leur vie, où à la fois leur cœur s'est trouvé plus abondant, leur timbre plus pur, leur regard doué de plus de transparence et de clarté, leur génie plus familier et plus présent; où un fruit rapide leur est né et a mûri sous cette harmonieuse conjonction de tous les astres intérieurs; où, en un mot, par une œuvre de dimension quelconque, mais complète, ils se sont élevés d'un jet à l'idéal d'eux-mêmes! Bernardin de Saint-Pierre, dans Paul et Virginie, Benjamin Constant par son Adolphe, ont eu cette bonne fortune qu'on mérite toujours si on l'obtient, de s'offrir, sous une enveloppe de résumé admirable, au regard sommaire de l'avenir. On commence à croire que, sans cette tour solitaire de René qui s'en détache et monte dans la nue, l'édifice entier de Châteaubriand se discernerait confusément à distance. L'abbé Prévost, sous ce rapport, n'a rien à envier à tous ces hommes. Avec infiniment moins d'ambition qu'aucun, il a son point sur lequel il est autant hors de ligne; Manon Lescaut subsiste à jamais, et, en dépit des révolutions du goût et des modes sans nombre qui en éclipsent le vrai règne, elle peut garder au fond sur son propre sort cette indifférence folâtre et languissante

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