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teurs du pays, et si familières aux gens éclairés qui l'habitent, qu'il n'entre dans la pensée des uns ni des autres d'exprimer au loin le profond étonnement dont elles frappent. Il faut voir des élections au fond de notre vieille province; il faut venir là au milieu de cent cinquante paysans que les partis s'arrachent; lutte d'adresse et de force où le cidre, le bon Dieu, l'argent, les fermages, les menaces, servent tour à tour d'auxiliaires, et où le succès reste au dernier qui les emploie. Entrez dans le collége électoral, voyez ces pauvres hommes avec leurs longs cheveux et leur sale veste de toile, parqués en groupe dans les coins de la cour, tout ébahis, tout honteux des poignées de mains qu'on leur donne; regardez leur embarras quand ils entrent dans la salle, ils vont voter, ils ne savent pas écrire. Le seigneur est là qui les surveille et qui se charge d'écrire pour eux, si un plus adroit ne les lui vole en l'attirant dehors au bon moment. Qu'écrit-il? Les paysans l'ignorent, puisqu'ils ignorent pourquoi l'on écrit quelque chose en leur nom.

Et cela s'appelle exercer un droit.

Remarquez cependant que cette déception se passe répartie entre les riches du sol, ceux qui par leurs relations de fortune ont eu des chances de lumières sociales. Qu'on ose ensuite essayer des assemblées primaires, si l'on veut jeter au curé le plus fanatique le droit exclusif de traduire hautement quelques mille vœux français.

Cet isolement né de la langue, cette inféodation native aux coutumes perdues ailleurs dans la nuit des temps, clament des soins spéciaux qui doivent précéder l'application des lois générales de la patrie. Ce sont des Bas-Bretons; qu'on en fasse des Français avant d'exiger d'eux les devoirs communs qu'ils ne sauraient comprendre. Multiplions les écoles, créons pour l'amélioration morale de la race humaine quelques-unes de ces primes que nous réservons aux chevaux; faisons que le clergé nous seconde en n'accordant la première communion qu'aux seuls enfans qui parleront français; bientôt alors il n'y

aura plus de chouannerie possible, parce que la charte de 1830 pourra être lue par tout le monde, même par les paysans bas-bretons.

AUG. ROMIEU,

sous-préfet de Quimperlé (Finistère).

LE BRICK DU GANGE.

« Que demain tout soit prêt pour mettre à la voile au lever du jour. »

L'esclave partit et alla à bord du brick faire exécuter les ordres du maître.

Car l'épidémie menaçait Calcutta, la ville des délices, le pays de la richesse et du bonheur pour les marchands de la Grande-Bretagne ; Calcutta, qui est un bazar et un trône, un comptoir et un empire, capitale d'un royaume de trafiquans, séjour d'un roi nommé par les boutiquiers de la compagnie des Indes qui se rassemblent, comme des sénateurs, dans leur palais de Ledenhall à Londres. Calcutta voyait arriver le fléau : le Choléra frappait furieux à ses portes: devant lui il fallait fuir ou mourir.

Allez dire aux riches nababs de ne pas avoir peur de cette mort qui tue en six heures, du mal qui vient attaquer une famille dans la nuit et qui ne laisse que des cadavres le matin. Aussi les nababs s'embarquent sur les bricks fins voiliers, sur les goëlettes legères aux mats qui se plient gracieusement en arrière, et ils vont attendre au large que l'épidémie ait levé son tribut annuel; puis ils retournent à Calcutta ou à Madras.

« Que tout soit donc prêt à bord du brick de Madhava; demain, avec la brise de terre qui souffle au point du jour. il descendra le Gange pour aller chercher la mer et l'air pur de l'Océan.

Mais si nous allions périr, dit Nadjah; je crains la mer et son roulement monotone, ses hautes vagues, et le balancement du vaisseau qui épouvantent.

Terreur d'enfant! Crois-tu donc que jamais je puisse jouer avec ta vie? Mon brick a été construit à Bombay (1), avec du pur bois de teck; il m'a coûté deux fois autant de roupies que n'en vaut aucun de ceux qui sont amarrés dans le Gange. Puis tu ne perdras jamais la terre de vue. Dans le vaisseau, tu auras ton zanana (2), pour rester avec tes femmes, tu auras tes bains et tes parfums, tes fleurs de Lamra, de Malati et de Vastuca, tu auras un lit de feuilles d'asoca, qui sont douces comme le duvet du cygne et fraiches comme le vent du matin. J'ai dit d'embarquer tes singes, qui te font rire, et tes oiseaux bayas, qui sont jaunes comme de l'or. Tous les plaisirs, tous les enchantemens de Calcutta, tu les retrouveras sur mon brick. Nadjah, il y a un an je riais quand on me parlait de la contagion qui dévore, du mal qui raidit, qui décompose et qui glace. On mourait ici tout autour de moi, et je restais impassible; maintenant que tu es à moi, je ne veux plus mourir. Je tiens à la vie, j'aime mes longues terrasses qui sont fraîches le soir, mes jardins, dont les arbres boivent et se mirent dans les eaux du Houghles. Depuis que je t'aime, je suis devenu timide comme l'enfant de l'esclave, je suis poltron comme un Bramine. Oh! si tu allais mourir, ma bienaimée ; je suis comme le chutuka (3), qui suce sa nourriture dans les nuages, et qui meurt lorsqu'ils tombent ou se dissi

(1) C'est à Bombay que se construisent les bâtimens les plus solides. On y emploie le fameux bois nommé teck, qui y est indigène. ( Voyez Captain Edward Moor.)

(2) Appartement des femmes.

(3) Le chutuka est un oiseau qui, selon les Hindous, suce sa nourriture dans les nuages, et qui meurt quand ils tombent.

pent: Nadjah, je vis de ton amour; si tu mourais, je tomberais avec toi.

Le lendemain, un brick aux voiles blanches de coton s'éloignait rapidement de la rive orientale du Houghles, sur laquelle, à cent mille environ de la mer, s'élève Calcutta, la ville la plus somptueuse de l'Inde, la cité des marchandsrois, bâtie sur un sol jadis consacré par les Hindous à la déesse de la mort (1). C'est là, en effet, qu'avec l'établissement de la puissance anglaise, la nationalité de l'Inde est morte. La prophétie des Hindous a eu son accomplissement. Calcutta n'apparaissait plus sur la ligne de l'horizon que semblable à un long plateau de pierre, auquel ses toits en terrasses, dominés çà et là par des coupoles rouges, aux formes bizarres et fantastiques, et par ses verandahs, donnent l'aspect d'un immense échiquier surmonté de ses pions. Des yachts élégans, des vaisseaux d'Europe et d'Asie, des barques de pêcheurs, de légers cutters, des jonques aux voiles de natte et aux banderolles jaunes sillonnaient les eaux du fleuve. Puis venaient des bateaux noirs qui regagnaient la rade et que des matelots nus conduisaient en chantant leurs chauts sauvages. Sur la rive, des groupes d'hommes et de femmes, bigarrés de tous les costumes pittoresques de F'Orient, suivaient le brick des yeux, quelques-uns enviaient le sort du nabab, la plupart maudissaient sa richesse et lui souhaitaient la tempête et les orages en échange du choléra; mais à mesure que le brick s'avançait vers le golfe, les bords du fleuve, dégarnis de curieux, n'occupaient plus l'attention des voyageurs que par l'opulent aspect des plantations de cacaotiers et de la végétation diaprée des cannes à sucre, du riz et des cotonniers en fleurs. Quand le soir arriva, ils allaient entrer dans le golfe du Bengale; et on diminua de voiles pour jouir plus long-temps, à cette heure

(1) Voyez Langlès, sa Description des villes et des monumens de l'Inde.

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