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CHAPITRE II

L'IDÉE DE LA RÉVÉLATION

§ 1. La révélation miraculeuse

N° 1. La révélation miraculeuse est-elle en harmonie avec la destinée humaine?

Avec les miracles et les prophéties s'écroulent les fondements du christianisme traditionnel. Est-ce à dire que toute religion. tombe avec la religion du Christ? Pendant longtemps amis et ennemis s'accordaient sur cette question capitale. Les philosophes du dernier siècle, les matérialistes du moins, comptaient bien qu'en ruinant le christianisme, ils ruinaient pour toujours toute religion, ou, comme ils disaient, toute superstition. Il y avait, il est vrai, des spiritualistes qui n'attaquaient dans le christianisme que ses dogmes absurdes, sa prétention à une origine divine, et qui voulaient mettre à sa place la religion naturelle. Mais à ceux-ci les défenseurs de l'Église objectaient que la religion révélée était la seule religion possible; qu'il y avait donc à choisir : voulait-on conserver une religion, il fallait maintenir le christianisme traditionnel si l'on détruisait le catholicisme, on détruisait par cela même toute religion, et avec la religion, la morale et la société. Il faut nous arrêter à cette nouvelle phase de la lutte entre la libre pensée et l'orthodoxie chrétienne; c'est celle qui pour nous, hommes du dix-neuvième siècle, a le plus d'intérêt, car c'est de notre avenir qu'il s'agit. Nous avons la conviction qu'il n'y a point de vie sans religion. Reste à savoir s'il n'y a point de religion possible en dehors de l'Église catholique.

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Le christianisme est une religion révélée. Notre question revient donc à savoir si la révélation est de l'essence de la religion. La révélation a été considérée jusqu'ici comme une communication directe, miraculeuse de la vérité, que Dieu fait aux hommes, alors même qu'il leur parle par la bouche d'un prophète tel que Moïse. Le christianisme est une révélation plus directe encore, puisque c'est Dieu qui s'est fait homme, qui a vécu au milieu de nous, qui nous a enseigné la loi de vie. Pourquoi Dieu révèle-t-il lui-même aux hommes les conditions du salut, par une voie plus ou moins surnaturelle? On répond que l'homme, par les seules forces de sa nature, ne se serait jamais élevé aux vérités qui lui sont révélées; il les reçoit des mains de Dieu, par un bienfait de sa charité, de même qu'il est sauvé par une grâce spéciale. La révélation chrétienne est miraculeuse de son essence; elle consiste dans le plus grand, le plus inexplicable des miracles: l'Être infini qui prend la nature finie, le Créateur qui se fait créature. De plus, la révélation chrétienne s'établit par des miracles; elle est prédite par des prophètes, qui écrivent sous l'inspiration du Saint-Esprit; elle est attestée par des faits qui sont une interversion des lois générales de la nature, interversion que la Providence a préparée de toute éternité, pour accréditer les révélateurs. Une révélation pareille est-elle en harmonie avec la notion que nous avons de Dieu et de la destinée de l'homme?

Quelle est la destinée de l'homme et comment Dieu y intervient-il? Les chrétiens répondent que l'homme est sur cette terre pour faire son salut, en gagnant la béatitude éternelle; les philosophes répondent qu'il a pour mission de développer ses facultés physiques, intellectuelles et morales, dans la plus riche harmonie. En apparence, le but que la philosophie et la religion poursuivent n'est pas le même, et les moyens qu'elles offrent pour y parvenir, diffèrent également. Toutefois il y a un principe commun. Les philosophes veulent que l'homme travaille sans cesse à sa perfection. Et Jésus-Christ ne dit-il pas à ses disciples: Soyez parfaits comme votre père dans les cieux? Comment l'homme atteindra-t-il la perfection relative à laquelle sa nature imparfaite lui permet d'aspirer? Il faut qu'il connaisse la vérité sur Dieu et sa destinée; il faut ensuite qu'il vive conformément à ses croyances. Sur ce point encore, la philosophie et la religion sont d'accord. Mais

quand on demande par quelle voie l'homme accomplira sa destinée, les chrétiens et les libres penseurs se partagent. Ceux-ci répondent que Dieu nous a donné la raison pour connaître la vérité, et la conscience pour la pratiquer. Les chrétiens prétendent que la raison est insuffisante, qu'il faut à l'homme le secours extraordinaire de la parole divine pour connaître le vrai, qu'il lui faut encore l'appui spécial de Dieu pour que ses actions méritent la vie éternelle. Dans la philosophie, tout est naturel; dans le christianisme, tout est surnaturel. Laquelle de ces deux voies convient le mieux à l'homme et à la Providence?

L'idée du perfectionnement qui est commune à la philosophie et à la religion, implique un développement successif. Or, nous ne connaissons qu'un seul moyen de développer les facultés humaines, c'est l'action, le travail. Y a-t-il une autre voie de perfectionner l'intelligence que le travail intellectuel? Est-il possible de perfectionner le sentiment autrement que par des actes de charité, en pratiquant le dévoûment, l'abnégation, le sacrifice? Quant au développement des facultés matérielles, la nécessité de l'activité humaine est si évidente, qu'il est inutile d'y insister. L'homme joue donc le grand rôle dans le rude labeur de son perfectionnement. Toutefois, Dieu y intervient. Les chrétiens et les philosophes qui admettent une Providence, s'accordent encore en ce point; mais leur désaccord commence, et il est capital, quand il s'agit de déterminer le mode d'intervention du Créateur, dans le salut des créatures.

Les philosophes disent que Dieu ayant créé l'homme en lui imposant comme loi de se perfectionner, doit lui avoir donné aussi les moyens d'atteindre ce but. En sortant des mains du Créateur, la créature possède tout ce qui lui est nécessaire pour accomplir sa destinée. L'homme est doué de raison, afin qu'il puisse connaître la vérité. Il est doué de sociabilité, parce que ce n'est que dans l'état de société qu'il peut pratiquer le dévoûment, le sacrifice, la charité; ce n'est qu'en unissant ses efforts que l'humanité parvient à dompter la matière pour s'en faire un instrument de développement intellectuel et moral. Enfin l'homme est doué de liberté; ce n'est que comme être libre, qu'il a une existence à lui, qu'il est un être distinct de son créateur, distinct des autres créatures. Que faut-il de plus aux hommes pour se développer et se perfectionner? Les libres penseurs ne conçoivent pas qu'il faille

une intervention miraculeuse, pour nous enseigner ce que la raison suffit pour nous apprendre. Dire, comme font les chrétiens, que la raison est insuffisante, c'est accuser le Créateur d'imprévoyance. Quoi! Dieu veut que l'homme perfectionne son âme et son intelligence, et il ne lui donne pas les moyens nécessaires pour remplir cette mission! Il faut qu'il supplée plus tard à cette insuffisance par la révélation miraculeuse de la vérité! Est-ce là la sagesse d'un Être souverainement sage? Autre imperfection dans l'oeuvre du Créateur. Ce n'est qu'après des milliers d'années que le Verbe s'est fait chair. Pourquoi Dieu laisse-t-il l'humanité en proie à l'erreur pendant quatre mille ans? pourquoi, puisque la nature humaine est incapable par ses seules forces de parvenir à la vérité, le Verbe ne s'est-il pas incarné dès le premier jour de la création? Cela est une nécessité, dans le système de la révélation. Dieu ayant créé des êtres qui par les seules forces de la nature ne peuvent accomplir leur destinée, il doit suppléer à ce qui leur manque, en leur révélant directement la vérité. Nous arrivons à cette conclusion que la révélation miraculeuse doit être aussi ancienne que le monde; elle doit assister l'homme depuis sa création jusque dans l'éternité. Voilà, disent les libres penseurs, un singulier plan: n'était-il pas plus simple de créer l'homme de manière à ce qu'il pût parvenir à sa fin par les seules forces de sa nature?

Que devient, dans la doctrine de la révélation, la libre activité de l'homme? Il a beau fortifier son intelligence, il restera dans les ténèbres, si Dieu ne l'éclaire d'un rayon de la vérité éternelle. Il a beau se dévouer à ses semblables, en pratiquant la charité, il ne peut faire une œuvre méritoire aux yeux de Dieu. Il lui faut, à chaque pas de son existence, une inspiration surnaturelle qui le guide, de même que l'enfant qui ne sait pas marcher a besoin d'une main qui le conduise, d'un bras qui le porte. Que parle-t-on de développement des facultés intellectuelles et morales? L'homme reste éternellement enfant; jamais, quelle que soit la perfection qu'il atteigne par les forces de sa nature, il ne pourra faire son salut. Pourquoi donc se livrerait-il à un travail assidu pour se perfectionner?

Dans la doctrine des philosophes, l'homme remplit sa destinée, et il fait son salut, quand il développe toutes ses facultés, selon

les lois de sa nature. Les défenseurs de la révélation objectent que c'est séparer l'homme de Dieu, et réduire la Divinité à un mot. Dieu, disent-ils, n'a d'existence, en quelque sorte, qu'au moment où il crée le monde; après cela, tout suit le cours éternel, immuable des lois qu'il a imposées à la création. L'objection s'adresse aux incrédules, et à leur égard elle est fondée; pas de Dieu, ou le Dieu d'Épicure, c'est tout un. Mais l'objection ne peut pas être opposée aux philosophes qui croient avec Leibniz que la création est permanente. Non, Dieu n'abandonne point l'homme à lui-même, une fois qu'il est créé. Il y a entre le Créateur et la créature un lien indissoluble. L'homme ne pourrait pas même vivre, s'il était séparé de Dieu, principe de toute vie. Cela est vrai de la vie intellectuelle et morale, aussi bien que de la vie physique. C'est Dieu qui inspire l'homme, c'est lui qui l'éclaire, c'est lui qui guide les individus et les peuples. Mais pour laisser aux hommes leur liberté et leur responsabilité, l'action divine doit s'exercer selon les lois de la nature, par la raison et la conscience. Si Dieu agissait sur le monde, directement, miraculeusement, la toute-puissance divine détruirait la liberté, et partant anéantirait l'homme, ce qui serait une singulière manière de favoriser son développement.

N° 2. La révélation miraculeuse est-elle nécessaire?

I

La philosophie, disent les chrétiens, ne tient pas compte de la faiblesse de la raison humaine. Il ne s'agit pas de savoir pourquoi Dieu l'a créée faible, il s'agit de constater un fait; or, l'expérience des siècles prouve que la raison, par ses seules forces, ne serait pas parvenue à la connaissance des vérités qui sont nécessaires à l'homme pour son salut. C'est à cause de l'insuffisance de la raison que la révélation doit éclairer l'humanité. Quand les philosophes demandent quelles sont les vérités que l'esprit humain eût été incapable de découvrir, les chrétiens répondent : les mystères. Ces mystères se rapportent à la nature de Dieu, à celle de l'homme, et aux rapports qui existent entre le Créateur et la créa

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