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lumières, ce n'est qu'en éclairant les hommes, que l'on peut les ramener aux vrais principes du bonheur et de la vertu. >>

L'opinion publique était moins tolérante que le législateur. Quand en vertu de la loi du 3 ventôse an III, dont Boissy d'Anglas fut le rapporteur, plusieurs églises furent rendues au culte, la Décade philosophique annonça le fait, à l'article spectacles, en ces termes « Le 18 et le 25 de ce mois, on a donné dans plusieurs endroits de Paris une comédie, dont le personnage principal, revêtu d'habillements grotesques, exécute plusieurs extravagances devant les spectateurs qui n'en rient point. N'étant pas dans l'usage de parler des pièces remises au théâtre, lorsqu'elles n'offrent rien d'utile ou d'intéressant à connaître, nous ne dirons rien de celle-là. « Quelle profondeur de haine dans ce dédain!

V

Cet esprit d'hostilité se maintint pendant toute la durée de la Révolution. Le règne du Directoire fut une lutte continuelle entre les tendances révolutionnaires du gouvernement et le mouvement de réaction qui se faisait dans le sein de la société. A quoi tendait cette réaction? A la restauration de la royauté et de l'Église. Tous les partisans du passé se donnaient la main pour miner la Révolution. Les révolutionnaires de leur côté continuèrent la guerre à outrance contre les prêtres et contre leur religion. Plus la république périclitait, plus la haine devenait ardente. Un contemporain engagé dans ces combats, Thibaudeau dit qu'il y avait des représentants qui, au seul nom de prêtre, avaient des crispations de nerfs (1). A Montpellier, un orateur populaire déclamait contre les monstres appelés prêtres (2). On lit dans un discours décadaire prononcé à Paris, dans la section de Guillaume Tell: «< Éloignez surtout de l'instruction publique ces monopoleurs du ciel, ces prétres, ou fripons ou imbéciles qui, tour à tour hypocrites ou audacieux, soufflent le froid ou le chaud suivant le thermomètre de leur intérêt (3). »

(1) Thibaudeau, Mémoires, t. II, pag. 108.

(2) Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 240.

(3) Collection de discours décadaires prononcés dans la section de Guillaume Tell t. III, pag. 45.

L'on essaya de remplacer la religion chrétienne par une espèce de religion civile. Tous ceux qui avaient une goutte de sang révolutionnaire dans les veines, travaillèrent avec une ardeur fiévreuse à la destruction du christianisme; ils ne craignirent point de traiter publiquement, dans des rapports officiels, d'imbéciles tous ceux qui croyaient à la divinité de Jésus-Christ et à sa résur- . rection. Le Directoire s'associa à ces violences dans une proclamation du 19 ventôse an VI sur les élections, il dit qu'il fallait écarter les malheureux fanatiques que la crédulité aveugle et qui voudraient encore s'agenouiller devant des prêtres. Grégoire, ce chrétien sincère qui resta toujours fidèle à la liberté et à l'Évangile, s'indigne de ces outrages. Il demande si Milton, si Newton, si Locke étaient des imbéciles? Bossuet et Fénelon étaient-ils des imbéciles (1)? L'évêque de Blois avait un christianisme à lui, de même que les illustres Anglais qu'il cite. Il dut abandonner son évêché à un catholique romain; le pape le traita de schismatique, et Napoléon le repoussa pour son amour de la liberté. Lui-même est donc une preuve vivante de l'incompatibilité radicale qui existe entre le catholicisme et les croyances politiques des temps modernes.

L'Église constitutionnelle ne ramena pas à la foi les générations imbues de l'esprit révolutionnaire. Tous ceux à qui la liberté était chère continuèrent à faire une guerre à mort au christianisme. C'est de cette époque que date un ouvrage où toutes les religions sont représentées comme identiques, toutes étant une spéculation sacerdotale, fondée sur des emprunts faits à l'astronomie. On ne lit plus guère les énormes in-quarto de Dupuis; ce qui nous a frappé le plus en le parcourant, c'est la haine qu'il respire contre les prêtres « Tromper et tromper toujours, voilà leur devise dans tous les pays. » Et pourquoi trompent-ils le monde? Pour l'exploiter. Dupuis flétrit énergiquement leur cupidité : « Quand la nation revendiqua les biens qui avaient été extorqués par supercherie, les prêtres alarmèrent les âmes faibles sur les dangers prétendus que courait la religion; ils embrasèrent leur patrie du feu des guerres civiles, portant partout les torches des furies, sous le nom de flambeaux de la religion; ils ébranlèrent tout l'empire, l'uni

(1) Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 197, 312.

vers même, au risque d'être ensevelis sous ses ruines. Tant est terrible la vengeance d'un prêtre avide à qui l'on ravit le fruit de plusieurs siècles d'impostures! » Il va sans dire que Dupuis ne veut plus de sacerdoce : « Que chacun, dit-il, soit à soi-même son prêtre (1)! >>

Dans la première année du dix-neuvième siècle, un écrivain dont le nom est mal famé, Sylvain Maréchal publia un ouvrage sur la Bible; il le dédia aux ministres de tous les cultes. L'épître est plus remarquable que le livre. A la veille de la restauration des. cultes, l'auteur se montre encore très convaincu que la religion est morte «< Hâtez-vous, dit-il aux ministres de tous les cultes, hâtez-vous d'abjurer une profession que vous ne pouvez plus exercer sans exciter le rire, et sans en rire vous-mêmes derrière vos autels. Un jour, le rôle que vous jouez deviendra un problème historique. Les Saumaise futurs auront de la peine à rendre vraisemblable votre existence actuelle. On ne voudra pas les croire; on ne voudra pas croire qu'il fut un temps, un très long temps, pendant lequel, sous les yeux de la philosophie, des hommes sans vergogne offraient aux adorations de toute la terre un Dieu fait pain entre leurs doigts bénits... Redoutez l'avenir!... Encore un peu de temps, et le réparateur de chaussures se croira déshonoré en touchant la main d'un prêtre (2). »

Nous ne nous associons pas aux injures. Mais dussions-nous encourir la malédiction de tout ce qui s'appelle prêtre, nous dirons avec Sylvain Maréchal qu'un jour viendra où les hommes auront peine à comprendre l'ignorante crédulité de leurs ancêtres. Le règne de l'ignorance aura une fin. Le soleil de là vérité dissipera les ténèbres de l'erreur. Nous dirons avec l'écrivain français : « Redoutez l'avenir! Vous usez et vous abusez de la bêtise humaine; mais la bêtise même aura son terme, parce que ceux qui l'exploitent ne mettent aucune mesure à leur ambition et à leur cupidité. Nous sommes en pleine réaction catholique. Voit-on le sentiment religieux s'épurer et se fortifier? On voit ressusciter d'ignobles superstitions, et ces abominables farces servir à la fraude, à la captation, au brigandage sacré. La réaction, dite reli

(4) Dupuis, Origine de tous les cultes, t. I, pag. 433, t. II, 2° partie, pag. 155.

(2) Sylvain Maréchul, Pour et Contre la Bible, pag. vi et XIII.

gieuse, sera suivie d'un mouvement en sens contraire. Redoutez l'avenir! »

§ 2. La religion sécularisée

I

Nous arrivons à la séparation de l'Église et de l'État décrétée par la Convention. Elle n'a rien de commun avec la séparation telle que la demandent aujourd'hui, d'une part les catholiques, d'autre part les protestants et les libéraux. Pour les catholiques, la séparation n'est qu'une arme de guerre, un moyen de ressaisir la domination qui leur échappe. Ils n'en veulent pas comme principe; le pape s'est plus d'une fois nettement expliqué sur ce point. L'idéal du catholicisme a toujours été l'union, l'harmonie de l'Église et de l'État; des conciles sans nombre ont proclamé cette union comme un dogme. Il est impossible au catholicisme qui repose sur la tradition, de répudier une tradition qui a longtemps fait sa force. En réalité, il n'y songe point. Si, en Belgique, les catholiques ont inscrit la séparation dans la Constitution, c'est qu'ils l'ont organisée de façon à ce que le clergé conserve les avantages de l'union, tout en acquérant une indépendance complète à l'égard de l'État. L'Église nomme ses ministres, sans que l'État puisse intervenir. Elle jouit de la liberté absolue d'association; ce qui lui permet de reconstituer les couvents, avec tous les abus qui y sont attachés et sans aucune des garanties qui existaient sous l'ancien régime, en faveur des familles, en faveur de la société; et il y a la fraude en plus, fraude permanente qui ruine le fondement même de l'état social, en détruisant le respect de la loi. L'Église a la liberté illimitée d'enseignement, ce qui dans un pays catholique équivaut au monopole; or celui qui dispose des générations naissantes, dispose de l'avenir de la nation. Laissez agir ce système pendant un siècle et la Belgique sera une capucinière. Le beau idéal de la séparation de l'Église et de l'État, d'après la Constitution belge, c'est que l'État paie de gros traitements et accorde de larges subsides à un clergé qui depuis qu'il ⚫est libre est devenu ultramontain, c'est à dire ennemi juré de l'indépendance de l'État et de la liberté des citoyens. Cette consé

quence inévitable de la séparation mérite d'attirer l'attention des protestants et des libéraux qui voient dans ce système un progrès considérable pour la liberté et pour la religion. Comment la liberté gagnerait-elle à ce qu'une nation soit courbée sous le joug de l'ultramontanisme? Et qu'est-ce que la religion ellemême peut gagner à la recrudescence de toutes les superstitions? Voilà la séparation en Belgique : c'est une duperie cléricale.

Les protestants et les libéraux qui préconisent la séparation de l'Église et de l'État, comme la seule solution rationnelle du redoutable problème qui a si longtemps agité et ensanglanté l'Europe, ne l'entendent pas à la façon des catholiques. Pour les protestants, la séparation est un principe de liberté. La réformation, obligée de prendre appui sur les princes, pour se défendre contre la papauté liguée avec la Maison d'Autriche, donna à l'État une action très grande sur les églises et par suite sur la religion. Trop souvent la religion. fut traitée comme une affaire de police, la liberté religieuse en souffrit, et le sentiment chrétien s'affaiblit. Pour les protestants, la religion est surtout un sentiment individuel, qui puise sa force dans la conscience, dans le for intérieur; lui donner pour appui la protection de l'État, c'est la vicier. Voilà pourquoi les protestants les plus zélés demandent à rompre les liens qui attachent leur confession à l'État, et si le protestantisme seul était en cause, il est certain que la séparation ne pourrait être que bienfaisante. Il importe de ramener la religion à sa véritable mission, qui consiste à sanctifier les âmes. A ce titre la liberté est le meilleur régime qui lui convienne.

Les libéraux, en général, n'ont pas ces préoccupations religieuses; la plupart ne sont chrétiens que de nom. S'ils demandent la séparation, c'est qu'ils y voient une conséquence de leur doctrine de liberté; ils veulent la liberté pour l'Église, comme ils la veulent pour tout le monde. Ils espèrent prévenir par là les dangereux conflits de l'État avec une puissance invisible, qui, lorsqu'elle est unie à l'État, détruit son indépendance et sa souveraineté, et lorsqu'elle est ennemie de l'État, menace son existence. Les libéraux oublient que ce conflit ne saurait être évité, aussi longtemps que le catholicisme conserve son empire sur les âmes. Pour les fidèles l'Église sera toujours un pouvoir spirituel auquel

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