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Vaines espérances! Les victoires que la foi remporte par ces honteux expédients, sont plus désastreuses qu'une défaite. Ce n'est pas à l'ignorance et à l'erreur, bien moins encore à la fraude et à l'imposture qu'appartient l'empire du monde, c'est à la vérité.

§ 2. Les prophéties

No 1. Juifs et chrétiens

I

Les deux branches de la tradition chrétienne invoquent l'une et l'autre les prophéties. Ce sont les Juifs qui les ont écrites, et elles sont évidemment à l'adresse du peuple de Dieu, de la race élue; les autres nations les ignoraient. Il est certain que les Juifs attendaient un Messie, et ils croyaient que sa venue était prédite par leurs écrivains sacrés. Quand Jésus prêcha la bonne nouvelle, ses disciples crurent qu'il était le successeur de Moïse, annoncé par les prophéties; à en juger par les Évangiles, lui-même eut cette croyance. On appliqua donc au Christ toutes les prédictions messianiques. Les Juifs contestèrent; ils ne voulurent pas reconnaître Jésus pour leur Messie; ils le mirent à mort comme un faux prophète. Le débat ne finit point par ce sanglant sacrifice; les Juifs, accusés de déicide, furent persécutés pendant des siècles pour un crime imaginaire. Dans les temps modernes les haines se ralentirent et elles ont fini par se calmer. Au dix-huitième siècle il se trouva un chrétien tolérant, l'arminien Limborch, et un juif rempli de respect pour la religion des chrétiens. Un entretien s'engagea entre eux, et leurs discussions furent livrées à la publicité (1). Nous ne connaissons point de plus beau livre de controverse. Il y règne une sérénité d'esprit, une paix et une charité également admirables. L'un et l'autre des interlocuteurs sont des hommes de foi; c'est parce qu'ils ont la foi qu'ils respectent les croyances qu'ils ne partagent pas. Nous allons résumer le débat, avec le regret de n'en pouvoir citer que quelques traits concernant les prophéties.

(1) Philippi a Limborch, de Verítate religionis christianæ amica collatio, cum erudito Judæo.

Il y a des prophéties messianiques. Mais qui est le Messie attendu păr le peuple élu? Les chrétiens adorent Jésus comme Fils de Dieu, coéternel au Père: le Christ est Dieu. Est-ce que le Messie des prophètes est aussi identique avec le Dieu d'Israël? Les écrivains sacrés des Juifs auraient repoussé une idée pareille comme un blasphème: le Dieu de la Bible est un Dieu unique, il n'y en a pas d'autre que le Dieu d'Abraham et de Jacob. Les Juifs ne connaissaient pas la distinction de trois personnes, chacune étant Dieu, et les trois personnes ne formant néanmoins qu'un seul être. Dieu envoie, il est vrai, des prophètes à son peuple; il les inspire, il leur communique une puissance surnaturelle; mais les prophètes restent toujours des créatures: tel était le plus grand de tous, Moïse: tel devait être le Messie. Les Juifs pouvaientils reconnaître leur Messie dans le Christ?

Si l'on se plaçait sur le terrain historique, on pourrait dire que Jésus n'affirme jamais qu'il soit Dieu; mais quand les Juifs discutent avec des chrétiens, ils doivent entendre les Évangiles comme les chrétiens. Or, les chrétiens prétendent que le Christ se révéla comme fils de Dieu à ses disciples, et que les apôtres le suivirent comme tel. Dès lors, les Juifs ne sont-ils pas en droit de dire à leurs adversaires : « Le Messie que notre loi annonce est un prophète, un envoyé de Dieu, qui nous fera connaître sa volonté. Par cela même nous ne pouvons pas ajouter foi à un homme qui vient dire qu'il ne fait qu'un avec son Père qui est dans les cieux. Cet homme est un faux prophète, et notre loi nous commande de le mettre à mort. Certes, si Jésus avait prêché un Dieu autre que celui d'Israël, il eût mérité, aux termes du Deutéronome, d'être lapidé. Eh bien, n'est-ce pas un autre Dieu que votre Christ nous veut faire adorer, quand il dit que lui est le Messie, et que le Messie est Dieu? Montrez-nous dans nos livres sacrés un seul passage où il soit question d'un Dieu-Homme! Montrez-nous un seul passage où Dieu ait prédit par ses prophètes qu'il s'incarnerait dans le sein d'une femme (1) ! »

Les chrétiens, continue l'interlocuteur juif, nous accusent du plus inexpiable des crimes, de déicide. Comment serions-nous coupables d'avoir fait mourir un Dieu, alors que notre Dieu, le

(4) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 110, 141.

vrai Dieu, ne nous a jamais dit qu'il prendrait un jour la forme humaine, pour nous révéler ce que vous appelez la loi du salut? Plus ce mystère est grand, incompréhensible, plus Dieu devait le prédire clairement, afin de nous instruire et de nous guider, comme il n'a cessé de faire depuis les patriarches. Si ce que vous dites est vrai, loin d'être des criminels, nous aurions le droit de nous plaindre que Dieu nous a trompés. Il nous dit à chaque pas qu'il est le seul vrai Dieu, il nous annonce des prophètes, et au lieu d'envoyer un Messie il vient lui-même, sous la forme d'un homme! Si cela est vrai, alors les prophéties sont fausses. Que si les prophéties sont vraies, il est impossible que Jésus-Christ soit Dieu (1).

Pourquoi Dieu lui-même serait-il descendu sur la terre? Les chrétiens ont là-dessus tout un système de théologie; mais, dit le docteur juif, je ne trouve pas un mot de leur doctrine dans les prophéties messianiques. D'abord ils disent que le Christ a révélé une loi nouvelle, et qu'il a aboli le mosaïsme. Cette prétention des chrétiens est en contradiction avec les propres paroles de Jésus, et avec le zèle respectueux qu'il mettait à observer la loi. Passons sur cela, puisqu'il n'est question que de prophéties. Dieu a-t-il prédit que le Messie changerait la loi? Il dit et répète, au contraire, que sa loi est éternelle. Si donc il est vrai que votre Christ a prêché une religion qui devait remplacer la nôtre, il est par cela seul un faux prophète. Les Juifs ne pouvaient certes pas reconnaître leur Messie dans un homme qui venait dire tout le contraire de ce que Dieu lui-même leur avait dit (2). A ce titre encore, Jésus méritait la mort; et loin d'être criminels, les Juifs n'ont fait que remplir un devoir que la loi leur impose.

Quelle est la religion que Jésus-Christ prêcha? Et pourquoi la loi ancienne ne suffisait-elle point? Les chrétiens répondent que le Fils de Dieu est venu pour sauver le genre humain. Le sauver de quoi? De la mort éternelle. Et pourquoi les hommes avaient-ils encouru cette terrible peine? Par le péché d'Adam. Est-ce là le Messie des prophètes? Les prophètes ne savent rien du péché originel; ils ignorent ce que c'est qu'un sauveur et un médiateur.

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 9-73. (2) Idem, ibid., pag. 7.

Si Jésus-Christ est réellement le Fils de Dieu, et si l'on ne peut parvenir à la béatitude éternelle que par la foi dans le Christ, il faut dire de nouveau que Dieu a trompé son peuple, et qu'il l'a trompé, de façon à ce que ceux qui passaient pour ses enfants de prédilection sont en réalité des enfants de colère et de malédiction (1). En effet, d'après la doctrine chrétienne, la foi dans le Christ est nécessaire pour être sauvé, sous la loi ancienne aussi bien que sous la loi nouvelle. Or, la loi est une révélation; il faut donc que Dieu ait révélé aux Juifs le Messie sauveur, et qu'il ait fait de la foi à ce Christ une condition de salut. L'interlocuteur juif demande qu'on lui montre un passage précis de l'Écriture, qui contienne cette révélation; car précis il doit être, puisque le salut en dépend. A ce défi, les chrétiens ne répondront jamais. Il est certain que pas un sectateur de Moïse n'a compris la loi en ce sens avant la venue du Christ. Il y a plus : Jésus lui-même et les Douze ne l'ont pas entendue ainsi. Nous aboutissons à une conséquence affreuse. Dieu a donné une loi de salut aux Juifs; cette loi, pas un seul Juif ne l'a comprise, pas même le prophète qui l'a révélée. A quoi a donc servi la révélation de Moïse? A damner les Juifs, dit saint Augustin (2).

Non, dit le docteur juif, selon notre Écriture, le Messie ne doit pas être un sauveur, mais un roi qui siégera sur le trône de David. C'est ce que nos livres sacrés proclament dans les termes les plus clairs. Les chrétiens sont obligés defaire dire aux prophéties messianiques le contraire de ce qu'elles disent, pour les accommoder à leur doctrine. Quand les prophètes prédisent que le Messie sera le successeur de David, qu'il régnera en Israël, qu'il répandra la loi de Moïse dans le monde entier, les chrétiens leur font dire qu'il ne régnera pas sur la terre, mais au ciel, qu'il ne prêchera pas la loi de Moïse, mais une religion nouvelle. Qu'est-ce qui les autorise à donner aux livres sacrés une interprétation qui en détruit le sens? Comment les Juifs pouvaient-ils deviner que la terre voulait dire le ciel? Comment pouvaient-ils deviner que l'éternité de la loi voulait dire qu'elle serait temporaire (3)?

Les chrétiens insistent et soutiennent qu'il y a des prophéties

(1) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 55.

(2) Idem, ibid., pag. 1-8.

(3) Idem, ibid., pag. 53.

qui annoncent un Messie spirituel, et un royaume céleste. Il faut alors, répond le docteur juif, que ces prophéties soient obscures à ce point qu'elles sont inintelligibles. Pas un Juif ne les a jamais comprises ainsi; les chrétiens eux-mêmes l'avouent, puisqu'ils nous accusent d'être une race charnelle, et d'attendre un royaume terrestre et une félicité terrestre. Ils ne voient pas que l'accusation témoigne contre eux; elle prouve, en effet, que les prophéties sont tellement claires, qu'il est impossible de leur donner un autre sens. Les Juifs n'ont donc pas pu voir dans les prophéties ce que les chrétiens y voient (1)

L'interprétation que les chrétiens donnent à l'Écriture se fonde sur la supposition que les prophéties ont un double sens, un sens littéral, et un sens figuré. Pascal avoue que, si les prophéties n'ont qu'un sens, le sens littéral, il est sûr que le Messie ne sera point venu. Mais qui autorise les chrétiens à admettre un double sens? Cela n'est-il pas contraire à toutes les règles d'interprétation? Les paroles dont Dieu se sert, quand il parle par la bouche des prophètes, doivent exprimer sa pensée; quand ces paroles présentent un sens clair, peut-on s'en écarter pour leur chercher une autre signification? Si cela est permis, que devient la révélation? Un jeu de mots. On lui fera dire tout ce que l'on voudra, au besoin que noir est blanc et que blanc est noir. C'est effectivement ce que font les interprètes chrétiens. Les prophètes disent le Messie sera roi, il soumettra tous les peuples, Jérusalem sera la maîtresse des nations. Jésus dit, au contraire, que son royaume n'est pas de ce monde. Que font les chrétiens pour concilier les prophéties avec ces paroles fameuses? Ils imaginent un règne spirituel, une Jérusalem céleste. Qu'est-ce en définitive qu'une preuve qui donne la torture à la parole de Dieu, afin de lui faire dire le contraire de ce qu'elle dit (2)?

I

Il y a bien des choses à dire sur ce débat. Les libres penseurs l'ont repris pour leur compte, et ont achevé de démolir les prophéties.

(4) Philippi a Limborch, de Veritate religionis christianæ amica collatio, pag. 69-92. (2) Idem, ibid., pag. 129.

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