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II.

Parmi les preuves invoquées jadis par les Pères de l'Église en faveur de la révélation figurent les vers sybillins. Ils sont en effet d'une précision remarquable: l'incarnation de Jésus-Christ, ses miracles, son supplice y sont prédits en toutes lettres. Voilà un témoignage qui semble fait pour égayer la verve railleuse de Voltaire, bien plus que pour édifier les fidèles. Ne dirait-on pas les disciples du Christ rivalisant de charlatanisme avec les païens? Mais il y a autre chose dans ces prophéties que le ridicule; il y a un faux. Ceux qui fabriquèrent les oracles des sibylles n'y croyaient évidemment pas, ils comptaient sur l'ignorance et sur la crédulité humaines. N'est-ce pas là le fait d'un imposteur? Et que l'on songe quelle est la date de ces impostures, quels sont les coupables. Ce ne sont pas des moines qui ont inventé ce pieux mensonge, cela ne s'est pas fait alors que le christianisme avait dégénéré en pratiques superstitieuses; c'est dans les premiers siècles, les plus beaux de la religion chrétienne, que la fraude se commet, et c'est pour y appuyer la révélation : la révélation fondée sur un faux, sur un crime!

Ce crime n'est pas le seul. A peine le christianisme commencet-il à se répandre, qu'il pleut des écrits fabriqués : l'on ne sait s'il faut les qualifier de ridicules ou d'odieux. Ils sont si niais, si dépourvus de vraisemblance, qu'il a fallu toute la crédulité de la foi pour les admettre. Mais si les fidèles croyaient si facilement les choses les plus incroyables, quelle autorité peuvent avoir les miracles qui reposent sur cette même foi si facile à tromper? On supposa des lettres du roi d'Édesse à Jésus et de Jésus à ce prétendu prince, tandis qu'il n'est dit dans aucun Évangile que Jésus ait écrit quoi que ce soit. Cependant les apologistes citent ces actes de faussaires comme des témoignages! Ils citent encore des lettres de Pilate; il suffit de transcrire un fragment de ces épîtres, pour couvrir de confusion les auteurs du faux, ainsi que ceux qui l'exploitèrent : << Il est arrivé depuis peu, et je l'ai vérifié, que les Juifs, par leur envie, se sont attiré une cruelle condamnation. Leur Dieu leur ayant promis de leur envoyer son saint du haut du ciel, qui serait

leur roi à juste titre, et ayant promis qu'il serait fils d'une vierge, le Dieu des Hébreux l'envoya en effet, moi étant président en Judée. Les principaux des Juifs me l'ont dénoncé comme un magicien; je l'ai cru, je l'ai bien fait fouetter, je le leur ai abandonné, ils l'ont crucifié, ils ont mis des gardes auprès de sa fosse; il est ressuscité le troisième jour (1). »

Tout le monde reconnaît aujourd'hui que ces prétendus témoignages ont été fabriqués; jadis ils jouissaient de la même autorité que les Évangiles! Qu'on appelle cette fraude pieuse, nous le voulons bien, mais la fraude n'en reste pas moins fraude. Que penser d'une religion qui se dit révélée par Dieu, attestée par les plus étonnants miracles, et qui a recours à des faux pour se forger des titres, et cela dans la première ferveur de la foi ! Les apologistes voudraient bien répudier ce honteux héritage, parce que la piété frauduleuse révolte la conscience moderne. Ils imputent les faux aux hérétiques qui pullulaient dans les premiers siècles. Il est certain que les hérésies sont entachées de faux aussi bien que l'orthodoxie. Mais en quoi cela excuse-t-il les orthodoxes? Pour laver l'Église de l'accusation que les libres penseurs lui ont intentée, il faudrait prouver que les hérétiques seuls fabriquèrent de faux témoignages, que les orthodoxes furent victimes de la fraude, au lieu d'en être les auteurs ou les complices. Or, il y a des faux qui n'ont pu être commis que par des orthodoxes et dans l'intérêt de la foi orthodoxe. Telle est l'interpolation du fameux passage de l'historien Josèphe.

Josèphe est contemporain du christianisme naissant. Le silence qu'il garde sur les merveilles prodigieuses qui remplissent les Évangiles, témoigne contre ces miracles et par suite contre la révélation dont ils sont le seul appui. Un faussaire imagina de faire de Josèphe un témoin pour la religion chrétienne. Le passage entier est-il faux? ou est-il seulement interpolé? Peu importe. La falsification n'en est pas moins évidente. Au dix-huitième siècle, les défenseurs du catholicisme discutaient encore sur le faux; les théologiens ne lâchent jamais leurs prétendus témoignages qu'à la dernière extrémité. L'abbé Houtteville et l'abbé Bergier rompirent une lance en faveur de l'authenticité du passage de Josèphe.

(1) Voltaire, Épitre aux Romains. (OEuvres, t. XXX, pag. 439, édition de Renouard.)

En effet, le témoignage serait précieux s'il était vrai la résurrection du Christ attestée par un Juif, par un ennemi! Quelle preuve accablante contre les incrédules! Voltaire n'était pas un savant, mais il avait un don qui vaut mieux que la science, le bon sens porté jusqu'au génie. Il répond à Bergier : « N'est-il pas absurde que Josèphe, si attaché à sa religion et à sa nation, ait reconnu Jésus pour Christ? Eh, mon ami, si tu le crois Christ, fais-toi donc chrétien; si tu le crois Christ, Fils de Dieu, Dieu lui-même, pourquoi n'en dis-tu que quatre mots?» Voltaire s'étonne qu'il se trouve encore des théologiens assez imbéciles ou assez insolents pour essayer de justifier cette imposture (1). Il suffirait du silence des Pères des premiers siècles pour confondre le pieux imposteur. Quoi! il y a un témoin de la résurrection du Christ parmi ceux-là mêmes qui l'ont mis à mort, et Justin, Clément, Origène, ne produisent pas ce témoignage! Origène en combattant Celse, dit que Josèphe ne croyait pas que Jésus fût Christ, et le faussaire chrétien lui fait dire que «< Jésus était Christ! » N'est-ce pas surprendre le coupable en flagrant délit (2)?

Voltaire n'a pas tort de dire: «Avouons-le hardiment, nous qui ne sommes point prêtres et qui ne les craignons pas, le berceau de l'Église naissante n'est entouré que d'impostures. C'est une succession non interrompue de livres absurdes, sous des noms supposés, depuis la lettre d'un petit toparque d'Édesse à JésusChrist, et depuis la lettre de la sainte Vierge à saint Ignace d'Antioche, jusqu'à la donation de Constantin au pape Sylvestre (3). » La donation de Constantin n'a pas été forgée par les hérétiques, Josèphe n'a pas été interpolé par un philosophe, les fausses décrétales ne sont pas l'œuvre d'un libre penseur. On ne saurait trop insister sur ces faux. L'histoire nous montre bien des religions, bien des empires; eh bien, nulle part nous ne trouvons cette multitude de faux que l'on rencontre à chaque pas dans les annales de l'Église. Et l'on prétend que l'Église est l'organe de la

(1) Voltaire, Conseils raisonnables à M. Bergier. (OEuvres, t. XXX, pag. 381.) — Dictionnaire philosophique, au mot Christianisme. (T. XXXIV, pag. 415, note.)

(2) Le passage est rapporté par Gieseler, Kirchengeschichte, t. I, 1, pag. 81, note 1. Le Clerc, dans sa Bibliothèque ancienne et moderne, examine la question sous toutes ses faces, t. VII, pag. 237.

(3) Voltaire, Histoire de l'établissement du christianisme. (OEuvres, t. XXX, chap. XII, pag. 506.)

vérité absolue! Est-ce que la vérité absolue s'appuie sur des mensonges? Est-ce que la vérité absolue s'appuie sur des crimes? C'est parce qu'il est faux dans son principe que le christianisme traditionnel n'a pu s'établir que sur de faux témoignages.

III

« Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger. Ces paroles de Pascal résument un argument favori des apologistes chrétiens. Un écrivain réformé, qui jouit d'une grande autorité chez les catholiques, parce qu'il soutient avec eux les miracles et la révélation miraculeuse, Abbadie aime à s'arrêter sur le témoignage des martyrs. « Nous ne devons pas craindre de nous tromper, dit-il, en supposant que les premiers chrétiens avaient quelque sens commun; des gens qui font profession de se moquer de la pluralité des dieux, qui pratiquent une morale si sage, ne doivent pas être privés de la lumière naturelle. Or, il est assez difficile de se persuader que des gens qui ont une étincelle de bon sens souffrent la mort pour défendre une cause, s'ils n'avaient de puissantes raisons pour la croire bonne. Leur témoignage a d'autant plus de poids que la vérité de la religion chrétienne est toute fondée sur des faits. Si Jésus-Christ a fait des miracles, et s'il est ressuscité, la foi des chrétiens est véritable. Si Jésus-Christ n'a point fait de miracles, et s'il n'est point ressuscité, la foi des chrétiens est fausse. Sans mentir, il faudrait que ces hommes eussent été des insensés ou des frénétiques, pour mourir d'un genre de mort épouvantable, dans la seule intention de défendre une religion fondée sur des faits, qu'on n'aurait eu aucune raison de croire véritables... Que si nous croyons que le vulgaire des chrétiens ait entièrement manqué de raison en cela, je ne sais comment nous en pourrons accuser les premiers docteurs de l'Église, tels que sont: Clément, Polycarpe, Justin, Irénée, etc. Si ces docteurs s'étaient contentés de nous dire que Jésus-Christ et les apôtres ont fait des miracles, nous pourrions peut-être nous dispenser de les croire sur parole; mais lorsqu'ils souffrent la mort pour défendre la vérité de certains faits, dont il est impossible qu'ils ne fussent instruits, c'est à dire pour soute

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nir que les apôtres avaient reçu le don de faire des miracles, de parler des langues étrangères, j'avoue que je commence à être convaincu. »

Que d'illusions, que d'erreurs, que d'aveuglement il y a dans ces paroles ! Les martyrs sont des témoins: c'est la signification du mot grec qui a passé dans notre langue. Que dirait-on d'un plaideur qui invoquerait des témoins qui n'existent point? Voilà cependant ce que font les apologistes, quand ils produisent le témoignage des martyrs, alors que parmi ces prétendus confesseurs il y en a un nombre considérable qui ne doivent leur couronne qu'à une pieuse fraude. Il faut donc commencer par écarter les faux martyrs, car ici encore nous trouvons des faux, ou si l'on veut des légendes qui doivent leur origine à la fiction, à la tradition populaire; la piété chrétienne les peut admirer et y puiser un sujet d'édification; les profanes qui n'ont point la grâce, n'y voient le plus souvent qu'un amas de niaiseries. Nous aurions l'embarras du choix, si ce débat entrait dans notre sujet.

Restent les vrais martyrs. En quel sens les confesseurs sont-ils témoins et de quoi déposent-ils? Le témoin est celui qui atteste ce qu'il a vu. Il n'y a donc que les disciples directs de Jésus-Christ qui puissent être cités en témoignage. Les apôtres furent-ils martyrs et témoins de la révélation? On le prétend; à entendre les apologistes, presque tous les apôtres seraient morts au milieu des supplices et en confessant la vérité des miracles et de la résurrection de Jésus-Christ. Mais les plus habiles critiques conviennent qu'on ignore de quel genre de mort ont péri les apôtres (1). Supposons qu'ils aient été martyrs de leur foi. Est-il vrai qu'ils ont attesté, en mourant, « qu'ils avaient vu le Christ opérer des miracles, qu'ils l'avaient vu mort et ressuscité?» Bergier le dit, et Abbadie brode sur ce thème, en invoquant jusqu'à la torture pour défendre sa thèse. « On sait, dit-il, que quand on donne la question à un criminel, on lui fait confesser son crime. Les tourments arrachent l'aveu des actions les plus secrètes, et c'est un moyen presque infaillible de découvrir la vérité (2) ! » Ne dirait-on

(1) Fréret, Examen critique des apologistes de la religion chrétienne. (OEuvres, t. III, pag. 201.)

(2) Bergier, Traité de la vraie religion, t. IX, pag. 475. — Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, t. II, pag. 16.

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