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d'Amiens était venu de Toscane saluer à Rome le nouveau pape, et Urbain se trouva reconnu en fait par tout le sacré collège.

Intègre, de mœurs pures et d'une piété rigide qui n'excluait ni l'humilité, ni la bienveillance, tel, au dire de ses biographes, était Urbain avant son avénement 2. Une fois sur le saint-siège, il montra une rudesse, un emportement, un orgueil, qui purent faire croire ou qu'il avait jusqu'alors dissimulé son véritable caractère ou que l'élévation inattendue dont il avait été l'objet et peut-être les scènes tumultueuses auxquelles il avait assisté avaient troublé en partie sa raison. Le lendemain de son couronnement, s'adressant, à l'issue des vêpres, aux nombreux évèques réunis dans la grande chapelle du Vatican : « Vous êtes tous des parjures, leur ditil; car, au mépris de vos serments, vous avez déserté vos églises. >> Plusieurs jours après, dans un consistoire public, il s'éleva en termes véhéments contre les moeurs des cardinaux et des prélats de la cour pontificale 3. Les cardinaux ultramontains lui ayant exprimé le désir qu'il ramenât le saintsiège en France, il leur opposa un refus catégorique et déclara même que son intention était d'élever au cardinalat des Italiens et des Romains en nombre tel, que le parti français cesserait désormais de dominer dans l'Église 1. Pris d'un zèle de réforme qui n'aurait été que louable s'il eût été moins inconsidéré, il avertissait à tout propos et avec hauteur les membres du sacré collège de n'accepter aucun don, de retirer leurs mains de la simonie, et les menaçait des plus graves censures s'ils n'obéissaient à ses remontrances. Il leur enjoignit de diminuer la pompe de leurs équipages, le luxe de leurs montures, le nombre de leurs serviteurs, disant que,

1. C'est le 25 avril que le cardinal d'Amiens vint à Rome. Raynald. anno 1378, n° 20.

2. Niem, De scismate, 1. I, c. 1.

3. Ibid., 1. I, c. 4, 5.

4. Thom. de Acerno, Murat. rer. ital. t. III, 2e part., p. 725. Cf. Raynald, anno 1378, no 25.

par ces dépenses outrées, ils ruinaient l'Église et scandalisaient les fidèles, et alla jusqu'à exiger qu'ils n'eussent sur leurs tables qu'une sorte de mets. Il n'en fallait pas tant pour indisposer des hommes dont la plupart étaient de grands seigneurs et entendaient vivre et être traités comme tels. Dans une occasion particulière, il s'attira une réponse qui montra à quel point les esprits étaient irrités contre lui. Il accusait le cardinal d'Amiens d'avoir commis des malversations dans les légations dont il avait été chargé, et un jour il l'appela traître en plein consistoire. Celui-ci se leva et, d'une voix altérée par la colère : « Je ne puis vous répondre, parce que vous êtes pape; mais, si vous n'étiez encore, comme il y a peu de temps, que le petit archevêque de Bari, je dirais. que vous en avez menti par la gorge; » et aussitôt il sortit du consistoire 2.

Une rupture ne tarda pas à se produire entre Urbain et les cardinaux. Dans le cours du mois de mai, tous les membres du sacré collège, à l'exception des quatre cardinaux italiens, se rendirent les uns après les autres à Anagni, sous prétexte de se soustraire aux chaleurs de l'été, en réalité pour se concerter sur les mesures à prendre à l'égard du pontife 3. Soit qu'ils fussent encore hésitants dans leurs desseins, soit qu'ils voulussent tromper la surveillance d'Urbain, ils lui écrivirent, à diverses reprises, dans les termes d'une entière soumission, et sollicitèrent de lui des faveurs et des grâces. Mais, en même temps, ils s'assuraient la protection du comte de Fondi, celle du « préfet » de Viterbe, François de Vico, et appelaient auprès d'eux ces bandes de Bretons que Grégaire XI avait envoyées jadis contre les Florentins 5. Instruit de ces menées, Urbain, qui ne croyait peut-être qu'à un mé

1. Thom. de Acerno, p. 721. 2. Baluze, Vitæ, t. I, p. 1159. 3. Ibid., p. 1008, 1081, 1191.

4. Voir, dans Raynald., anno 1378, plusieurs lettres adressées par les cardinaux à Urbain et datées du mois de juin.

5. Gregorovius, Storia di Roma, t. VI, p. 579, 580.

contentement causé par ses sévérités, chargea les cardinaux italiens de porter à Anagni des paroles de conciliation1. Elles furent mal accueillies. Toutefois le pape ne semblait pas soup çonner qu'aucune entreprise hostile se préparât contre lui, quand il reçut un message qui le tira de son erreur. C'était une lettre que lui adressaient les cardinaux d'Anagni et dans laquelle, disant qu'ils ne l'avaient élu que par contrainte et de peur de la mort, ils lui mandaient que son élection était sans valeur et le sommaient en conséquence de déposer le pontificat 2. Cette lettre, qui n'était destinée qu'à lui seul, fut suivie presque immédiatement d'un écrit rendu public et où les mêmes cardinaux s'efforçaient, par le récit détaillé des circonstances qui avaient entouré cette élection, d'en démontrer la nullité. Si troublé qu'il fût par ce coup inattendu, Urbain essaya encore d'arriver à un accommodement et, par l'entremise des cardinaux italiens qu'il dépêcha de nouveau vers leurs collègues, proposa même de soumettre le différend à un concile général, croyant sans doute qu'une assemblée, convoquée et présidée par lui, ratifierait son élection. Mais, loin de consentir à une proposition qu'ils sentaient devoir leur être défavorable, les cardinaux rebelles publièrent un autre manifeste, adressé cette fois à tous les fidèles, et par lequel, proclamant le saint-siège vacant, ils défendaient d'obéir à Urbain comme intrus et sacrilège.

Ce n'était là que l'annonce d'un acte plus grave. Prenant la résolution hardie d'élire un autre pape, les cardinaux dissidents quittèrent Anagni, pour se rendre aux confins de l'État ecclésiastique, sur les terres du comte de Fondi, où ils se

1. Héfélé, Conc. t. X, p. 43, 44.

2. Du Boulay, Hist. univ. paris. t. IV, p. 467.

3. Ibid., p. 468 et ss. Cet écrit était daté du 2 août 1378.

4. Les cardinaux d'Anagni avaient eux-mêmes, par une lettre du 20 juillet (Raynald. anno 1378, no 40), invité les cardinaux italiens à venir s'entendre avec eux sur la situation de l'Église. Les pourparlers eurent lieu le 5 août près de Palestrine. Voir, dans Raynald. ibid., no 42 (in fine) la lettre adressée à ce sujet au pape par les cardinaux italiens. 5. 9 août 1378. Du Boulay, ibid., p. 474-476.

croyaient plus en sécurité1. Assurés bientôt de l'adhésion de leurs collègues d'Avignon auxquels ils avaient fait part de leur détermination 2, ils réussirent à attirer à Fondi les cardinaux italiens, qui avaient commencé eux-mêmes à faiblir dans leur fidélité et qui, depuis la dernière démarche dont ils avaient été chargés par Urbain, n'étaient pas retournés auprès de lui 3. Le 20 septembre, les douze cardinaux ultramontains, auxquels s'était joint le cardinal d'Amiens, et les cardinaux italiens, réduits alors au nombre de trois par la mort récente du cardinal de Saint-Pierre, entrèrent ensemble en conclave dans le palais du comte de Fondi, et, au premier tour de scrutin, Robert de Genève fut élu. Le parti ultramontain ne pouvait faire un choix qui fût plus convenable à ses vues. Agé de trente-six ans, tandis qu'Urbain en avait soixante, unissant l'habileté à l'énergie, Robert de Genève était allié par la naissance aux plus grands princes de l'Europe, et, sans être français à proprement parler, était cousin du roi de France. Le pontife ainsi désigné prit le nom de Clément VII. Les cardinaux italiens, qui, tout en assistant au conclave, avaient refusé de participer à l'élection, ne laissèrent pas de la déclarer canonique 5. Persistant dans cette conduite équivoque et ne voulant ni résider auprès du nouvel élu, ni revenir vers Urbain, ils se retirèrent à Tagliacozzo 6.

1. C'est le 27 août que les cardinaux dissidents se rendirent à Fondi. 2. L'acte de protestation des cardinaux d'Anagni contre l'élection d'Urbain fut publié solennellement à Avignon le 6 septembre. Valois, Le rôle de Charles V au début du grand schisme, Annuaire-bulletin de la soc. de l'hist. de France, t. XXIV, année 1887.

3. Les cardinaux italiens, après les conférences de Palestrine, s'étaient retirés à Vicovaro, puis étaient allés à Subiaco, lieu plus rapproché de Fondi, et enfin à Sezza. D'après certains récits, les cardinaux dissidents, pour les attirer à Fondi, leur avaient fait croire qu'ils étaient disposés à élire l'un d'eux pour pape.

4. Il mourut le 7 septembre et, en raison de ses infirmités, n'avait pas accompagné ses collègues italiens dans les diverses conférences qu'ils avaient eues avec les cardinaux d'Anagni.

5. Ep. card. ital. ad principes. Du Boulay, t. IV, p. 528.

6. Le cardinal Orsini mourut bientôt après, ayant gardé jusqu'à la fin la neutralité entre les deux partis. Un autre des cardinaux italiens, Simon de Brossano, finit par reconnaître Clément et mourut en 1381 à

Jusqu'au dernier moment, Urbain avait espéré ramener ses adversaires. Deux jours avant l'élection, se voyant enfin abandonné de tout le sacré collège, il fit une promotion de vingtneuf cardinaux. Clément ne devant pas tarder, de son côté, à augmenter de six autres cardinaux le nombre de ceux qui l'avaient élu 1, il y eut dès lors deux papes et deux cours apostoliques. Ainsi naquit le schisme qui, pendant trente-six ans, allait diviser la chrétienté et qu'on appela le grand schisme d'Occident.

A quelque ressentiment que, dans cette entreprise, eussent obéi les cardinaux ultramontains, on pouvait, à certains égards, reconnaître avec eux que l'élection d'Urbain n'avait pas été libre et conséquemment en contester la validité. Mais comment expliquer les actes qui avaient suivi cette élection et par lesquels ils l'avaient confirmée? Ils prétendaient, il est vrai, que, tant qu'ils avaient résidé à Rome, ils avaient agi sous l'empire de la peur et que les lettres de notification adressées par eux à leurs collègues d'Avignon manquaient de sincérité. Mais à Anagni, où ils avaient retrouvé toute liberté, n'avaient-ils pas continué à traiter Urbain comme pontife? Catherine de Sienne, pour qui la légitimité d'Urbain n'était pas contestable, se refusait même à admettre qu'ils l'eussent élu par crainte. « Vous dites aujourd'hui que la peur a dicté votre conduite, leur écrivait-elle; mais comment vous croire? Je connais votre manière de vivre, où il n'y a ni piété, ni vertu, et vous n'êtes pas hommes à reculer devant un mensonge. La validité de l'élection du pape Urbain est dans la solennité de son couronnement, dans les hommages que vous lui avez rendus, dans les grâces que vous avez sollicitées et obtenues de lui 3 ». Le célèbre chancelier de Flo

Nice en se rendant à Avignon. Le troisième, Pierre Corsini, reconnut aussi Clément quelques années après. Héfélé, Conc. t. X, 53, 54.

1. Baluze, Vitæ, t. I, p. 478, 490. La promotion de cardinaux faite par Clément eut lieu le 18 décembre 1378.

2. Héfélé, Conc. t. X, p. 36.

3. Pastor, Hist. des papes, trad. Raynaud, t. I, p. 143. Catherine de Sienne mourut à Rome le 29 avril 1380.

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