connues que de ceux qui étoient déja baptifés.

LE PROTESTANT.

Il paroît par tout ce que vous venez de dire, que dès les premiers fiecles on croyoit la préfence réelle, comme les catholiques la croient aujourd'hui.

Mais les calviniftes ont-ils été les premiers qui aient imaginé que l'euchariftie n'étoit que la représentation du corps & du fang de Jéfus-Chrift? comment au bout de feize fiecles ont-ils ofé enseigner fur un point auffi effentiel une doctrine contraire à ce que l'églife avoit toujours cru jufqu'alors?

LE DOCTEUR.

Vous me donnez lieu, Monfieur, de vous développer un fait très-important, qui me fournira une nouvelle preuve de la préfence réelle.

Dans l'onzieme fiecle Berenger, archidiacre d'Angers, attaqua publiquement ce dogme capital. Se livrant à fon génie hardi & à la préfomption que lui infpiroient fes talens, il avoit déja combattu quelques autres articles de la croyance catholique; mais quand il ofa contredire celui-ci, le monde chrétien fe fouleva tout entier contre lui: ce fut fur-tout en France, en

Italie, en Angleterre. On tint contre fon erreur jufqu'à quinze conciles différens; à Rome, à Tours, à Paris, à Florence, &c.

Il brûla lui-même fes écrits dans celui qui fut affemblé à Rome, où le pape Nicolas Il préfida l'an 1059; enfuite l'an 1079, il abjura de nouveau fes erreurs dans un autre concile, tenu à Rome fous le pontificat de Grégoire VII, & dans un concile de Bordeaux; il fit dans ces deux derniers conciles une profeffion de foi encore plus fincere que celle qu'il avoit faite en 1059. Il fe retira enfuite dans un monaftere; il

y finit fes jours dans de grands fentimens de pénitence, verfant beaucoup de larmes & gémiffant amérement fur fes égaremens paffés. Son héréfie demeura enfevelie avec lui jufqu'au feizieme fiecle où Carloftad, Zwingle, Bucer & Calvin la réveillerent.

Il eft donc certain qu'alors toute l'églife croyoit la préfence réelle: donc elle l'a toujours crue & ce raisonnement qu'on appelle communément, de prescription, eft fans réplique.

En effet, fi les apôtres & leurs premiers difciples euffent d'abord enfeigné que les textes facrés qui parlent de l'euchariftie devoient être pris dans un fens figuré, & que l'églife l'eût cru ainfi, il eût été abfolument impoffible qu'elle eût enfuite changé de croyance & profeffé la préfence réelle.

Je développe cette propofition. Il faut bien que les apôtres & leurs premiers fucceffeurs aient d'abord enfeigné à l'églife, l'un ou l'autre de ces deux fens: il s'a giffoit d'un point de pratique, fur lequel il falloit non feulement croire, mais faire, prendre, manger, & il étoit absolument néceffaire qu'on fût ce qu'on recevoit, ce qu'on mangeoit; car enfin il feroit abfurde de faire dire aux apôtres & aux premiers prédicateurs; « Prenez & mangez, » Jésus-Chrift vous l'ordonne; mais que » mangerez-vous? Je n'en fais rien. »

Je vous ai démontré par le témoignage des peres, que dès les premiers fiecles & dans les fuivans l'églife avoit toujours enfeigné la préfence réelle; mais paffant à un autre genre de preuve, je l'établis par la raison que dès qu'au onzieme fiecle toute l'églife a cru ce point de doctrine il s'enfuit néceffairement qu'elle l'avoit tou jours cru.

En effet, je le répete, fi les apôtres & leurs premiers fucceffeurs avoient d'abord enfeigné que Jefus-Chrift n'étoit dans l'euchariftie qu'en figure, il auroit été impoffible que l'églife entiere eût enfuite changé de fentiment & profeffé la préfence réelle, pour deux raisons évidentes.

1o. La préfence réelle eft très-difficile à croire; les fens la contredifent, & la

raifon en eft confondue: il faut, pour la croire, une grace des plus puiffantes.

Par conféquent, fi d'après la prédication des apôtres l'églife eût commencé à interpréter les paroles du fauveur dans un fens figuré, quel homme eût été affez puiffant, affez hardi, pour croire lui-même la préfence réelle, pour ofer entreprendre de la perfuader à toute l'églife & pour y réuffir? Car, non feulement l'entreprise eût été en elle-même très-difficile (& même impoffible); mais pour y réuffir il eût fallu (ce qui eft bien plus impoffible encore) il eût fallu pervertir toute l'églife & lui faire adopter une erreur capitale; pour cela il eût fallu renverfer & détruire la prédication des apôtres, la croyance des premiers fiecles, ce qui eft manifeftement contraire aux promeffes que Jéfus-Chrift a faites à fon églife, & de plus il eût fallu faire croire à toute l'églife ce dogme le plus inconcevable de tous, fans le fecours de la grace, puifque Dieu ne l'auroit pas donnée, fans doute, pour perfuader une

erreur.

2o. Mais voici ce qui met le comble à la démonftration. Il eût fallu opérer un fi merveilleux changement fans difputes, fans débats, fans qu'on puiffe en citer ni l'auteur ni l'époque, fans que perfonne s'en apperçût; de forte que l'églife changeât

tout à coup toute entiere de croyance fur le point le plus capital & le plus pratique, fans qu'on puiffe favoir quand, comment, par quels moyens, fans qu'on puiffe rapporter aucune espece de circonftance d'une 'fi étrange révolution.

Car dans le fait, depuis les apôtres jufqu'à Berenger, on ne peut découvrir dans tous les monumens eccléfiaftiques, ni traces, ni veftiges, ni de débats, ni de décifions de l'église fur la présence réelle.

Quoi! parce que tout ce qui concerne la foi eft effentiel, fur les points les plus fpéculatifs, s'il faut, par exemple, appeller la Sainte Vierge mere du Chrift ou mere de Dieu, s'il y a une ou deux volontés en Jéfus Chrift, fi l'Esprit procede du Pere feul ou du Pere & du Fils, dès qu'il s'éleve quelque diverfité de fentimens dans l'églife, les efprits s'échauffent, les écrits fe répandent, il faut pour régler la foi & rappeller le calme, des conciles particuliers, des conciles œcuméniques, ... & fur l'euchariftie qui eft fous les yeux, qu'on eft obligé de recevoir, l'église entiere aura changé de croyance, fans que perfonne en ait parlé, fans que perfonne s'en foit apperçu ?

Quand Berenger veut attaquer la croyance commune fur cette euchariftie, tout le monde chrétien fe révolte, l'église entiere