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mes forces à toute proposition, à toute rédaction de décret qui pourrait présenter l'idée de son exclusion absolue; mais je pense que le moment n'est pas venu d'en faire un établissement général. C'est même par intérêt pour cette institution que je suis retenu dans cette opinion, persuadé que nous risquons à perdre pour jamais la jouissance du juré, si nous voulons en ce moment la précipiter.

Mon opinion est fondée sur quelques considérations générales qu'il me semble que nous ne devons jamais perdre de vue dans tout le cours de nos délibérations sur l'ordre judiciaire. Je les développerai.

Je tâcherai ensuite de fixer le degré d'intérêt que nous devons attacher à la réintégration du juré dans notre régime judiciaire, parce qu'enfin il est essentiel de s'assurer s'il est, au civil, d'une nécessité si impérieuse ou d'une utilité si pressante, qu'il soit indispensable, pour le conquérir tout à l'heure, d'affronter des dangers présens, qui doivent s'affaiblir, et finir par disparaître tout-à-fait dans la suite.

Je m'expliquerai sur les causes et sur la nature des obstacles qu'il faut redouter dans les circonstances actuelles, dont plusieurs au moins me semblent indubitables, et qui tiennent à deux principes bien puissans sur le commun des hommes: l'intérêt et l'opinion.

Placé entre l'espérance de l'établissement complet du juré, et l'impossibilité de le voter en ce moment, mon résultat doit être de désirer des tribunaux tellement organisés, qu'ils puissent également servir sans le juré civil d'abord, et ensuite avec lui. J'aurai l'honneur de vous soumettre sur ce point quelques idées de modification au plan du comité,

C'est un grand objet d'intérêt public que celui qui vous occupe ́en cet instant. Il a dû sans doute enflammer le patriotisme, exciter la plus noble émulation dans le sein de cette assemblée, et y reproduire toutes les conceptions de régime judiciaire qui ont eu lieu dans d'autres temps et chez d'autres peuples. Ne nous

étonnons pas d'avoir entendu sur cette matière des développemens théorétiques qui provoquaient notre assentiment, au moment même où notre raison nous avertissait au moins de le suspendre. La bonne administration de la justice importe tant au bonheur de l'humanité, que tout homme de bien qui se livre à cette contemplation est facilement séduit par l'illusion d'une perfection spéculative qui vient flatter son imagination, en même temps que son cœur en désire la réalité; mais le législateur doit, avant de se déterminer, prendre leçon de la sagesse et de l'expérience; elles lui prescrivent de marcher avec circonspection dans cette carrière délicate, où l'on n'a jamais inquiété impunément la confiance publique.

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Il ne s'agit pas ici d'un peuple nouveau, simple dans ses mœurs et dans ses transactions civiles, à qui l'on présente pour la première fois un plan d'ordre judiciaire : c'est une régénération qu'il s'agit de faire chez un peuple ancien. Pour savoir jusqu'à quel point il est permis de changer chez ce peuple les institutions dont il a l'expérience et l'habitude, il faut examiner, 1o quel est l'état de sa législation; 2o quelle est sa situation politique; 5o ce qu'on doit craindre ou espérer de l'opinion.

La législation et l'organisation de la machine judiciaire ont entre elles une correspondance impérieuse et invincible. C'est pour mettre les lois en activité que le régime judiciaire est établi: il faut donc l'assortir à l'esprit, à la nature et à la marche des lois ; car si ces deux parties ne sont pas d'accord, le mouvement sera nul ou funeste. On propose ici pour le moment actuel une organisation réduite aux derniers termes de la simplicité, lorsque notre législation est la plus étendue, la plus compliquée, la plus subtile et la plus obscure qu'on puisse imaginer. Ces deux choses sont tellement inconciliables, que l'obstacle qui en résulte ne pourrait être levé que lorsque nos lois seraient simplifiées, éclaircies et mises à la portée de toutes les classes de citoyens ; lorsque les livres, les légistes et les praticiens auraient disparù ; lorsque le règne de l'innocence et de la loyauté se serait établi sur les débris du pédantisme et de la charlatanerie du barreau, et lors

qu'enfin la vertu seule donnerait la capacité nécessaire pour

être juge,

Cette perspective qui nous a été présentée est trop séduisante; elle flatte trop l'opinion et les voeux de tout bon citoyen, pour qu'au premier aperçu elle ne produise pas une sorte d'enthousiasme c'est la sévère et tardive réflexion qui ramène par l'examen à des idées moins riantes, mais plus exactes. Nous voulons sans doute éclaircir, abréger nos lois, et surtout simplifier nos formes: je passe sur le temps que cette grande entreprise exigera; mais il est essentiel de ne pas s'exagérer l'effet de ces réformes. Chez une grande nation, riche, active, industrieuse, et où la civilisation, parvenue à sa dernière période, développera sans cesse les combinaisons infinies qui agitent et croisent tous les intérêts, on aura beau vouloir simplifier la législation, il est impossible qu'elle ne soit pas toujours la matière d'uné science étendue, et que la juste application des lois aux cas particuliers ne soit pas un talent difficile, fruit tardif de l'étude et de l'expérience réunies.

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Aucune graude société ne peut subsister sans un code de lois variées: partout où il y a un tel code, il est utile qu'il y ait des légistes on en trouve chez tous les peuples civilisés ; ils y sont d'autant plus honorés que le peuple est plus libre, plus ami de ses lois, plus soigneux de les conserver.

Ne croyons donc pas que quand nos lois seront simplifiées, nous aurons pour cela une législation très-simple; mais quand cela serait, et quand tous nos codes latins et français, leurs commentaires si funestes, et les répertoires de jurisprudence, plus funestes encore, seraient abrogés et proscrits, ils ne seraient pas pour cela supprimés de fait; ils existeraient plus poudreux qu'ils né sont à la vérité; mais enfin ils existeraient, et les fausses connaissances dont ils ont infecté tant de bons esprits, subsisteraient encore long-temps dans les têtes qui en sont meublées.

Il arrivera de là ce qui est arrivé du droit romain: quoiqu'il ne fasse pas loi dans les deux tiers de la France, le plaideur y va chercher sinon une loi, au moins un exemple, et très-souvent il

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en tire des raisonnemens et des considérations qu'il s'approprie, sans indiquer la source où il les a puisées.

Nous aurons des lois nouvelles! Vous venez d'en faire deux très-récentes : l'une pour les municipalités, l'autre pour les corps administratifs. Voyez quelle foule immense de questions elles occasionnent sur leurs dispositions même les plus claires! Quand le corps entier de la législation sera refondu ne croyez-vous pas qu'il s'élevera mille incertitudes, et que ce sera par les lois, les usages, la jurisprudence ancienne que beaucoup de plaideurs voudront faire juger ce qui paraîtra douteux dans le nouveau code et ce qu'il n'aura pas décidé? Vous regardez donc, me dirat-on, la diminution et l'abréviation des procès comme impossibles. Je n'ai pas cette idée affligeante; mais je suis convaincu qu'un si grand bien ne sera pas l'effet immédiat de la refonte des lois, qui n'est pas elle-même un événement prochain. Lorsqu'une meilleure législation d'abord, ensuite le bienfait d'une éducation nationale, et les progrès de l'esprit public, auront éclairé le peuple, changé ses mœurs et assaini ses idées, c'est alors seulement qu'on pourra voir disparaître les scandales judiciaires qui tiennent autant au défaut de mœurs publiques qu'aux vices de nos lois.

Je conclus qu'il ne serait pas sage d'organiser en ce moment l'ordre judiciaire d'après l'état moral hypothétique auquel il faut espérer que la nation parviendra un jour; mais qu'il faut se conformer à l'état actuel de la législation, aux mœurs et au caractère présent du peuple.

La situation politique de la nation dans le moment actuel est une seconde considération qui mérite d'être pesée avec exactitude. Pendant qu'un peuple travaille à sa constitution, tous les ressorts de l'ordre public sont dérangés, et il faut que la révolution qui produit un si grand mouvement soit marquée à des caractères de justice et d'intérêt public bien frappans pour que tous les malheurs de l'anarchie ne s'établissent pas entre la destruction des anciens pouvoirs et la création des nouveaux. C'est par là que. la régénération qui s'opère en France sera éternellement mémo

rable. Mais n'oublions pas qu'il faut pour son succès qu'au moment où la constitution va paraître, toutes les parties de la machine politique soient remises non-seulement en place, mais encore en activité. Or, la véritable et utile activité du pouvoir judiciaire, le plus important de tous pour l'entier rétablissement de l'ordre, ne naîtra pas de cela seul que ce pouvoir sera organisé par des décrets; elle dépend absolument de ce que le mode de l'organisation accueilli par la confiance publique et rendu efficace dès les premiers momens de son exécution, rétablisse dans l'opinion le respect pour les juges et la soumission aux jugemens: sans cela il n'y aura qu'un vain simulacre de justice et une stagnation absolue dans son exercice, au moment où il devient plus intéressant d'accélérer son action et d'accroître sa force. N'oublions pas encore combien, dans un temps de fermentation et au milieu des mécontentemens individuels, la prudence oblige d'être réservés dans les changemens qui pourraient, en grossissant le parti de l'opposition, augmenter l'indisposition des esprits, et par elles les forces de résistance.

Ces secondes considérations, sans être aussi absolument décisives que celle qui les a précédées, ne pourraient pas sans doute détourner de faire dans l'ordre de la justice les changemens qui y sont nécessaires pour compléter et affermir la constitution; mais elles conduisent du moins à examiner si, dans les circonstances actuelles, il serait prudent d'aller au-delà de ce qui est indispensable et suffisant, et si l'excès ou la précipitation du bien ne pourrait pas produire un grand mal.

J'en ajoute une troisième, relative à ce qu'il faut espérer ou craindre de l'opinion publique. Dans tous les temps, elle s'est montrée infiniment active et inquiète sur la matière que nous traitons; le très-grand nombre des citoyens dans les provinces prend infiniment moins d'intérêt à la manière dont la chose publique est administrée qu'à celle dont les individus sont jugés. La raison en est simple: en France les particuliers, ayant toujours été écartés de l'administration, en connaissaient peu la théorie; et comme ils n'en ressentaient la malfaisance que par des effets généraux et

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