Quand il n'existera plus rien d'arbitraire, quand le fait et le droit auront été distingués, il sera calme, il sera sûr qu'il aura jugé avec justice.... Je conclus à ce que le plan de M. Duport obtienne la priorité pour être mis à la discussion, sauf les amendemens. M. Garat l'aîné. Avant de décider auquel des trois plans qui vous ont été proposés, vous accorderez la priorité, je persiste à demander que la discussion soit fermée, et qu'on attende, pour prononcer, que les trois plans aient été imprimés, médités et connus. Je crois que ce moyen est le seul pour obtenir un jugement sain et avantageux à la chose publique. J'adopterais cependant préalablement la série de questions proposées par M. Barrère de Vieuzac ; car il ne suffit pas de savoir auquel des plans vous accorderez la priorité, mais il faut savoir si celui auquel vous l'accorderez sera praticable. M. de Crillon demande aussi que l'ordre de travail proposé par M. Barrère de Vieuzac, soit adopté..... M. Desmeuniers. Avant de mettre aux voix l'ordre de travail proposé par M. Barrère de Vieuzac, je prie cet orateur de considérer que sa première question ne doit pas être posée ainsi qu'il l'alui-même demandé: Établira-t-on, oun'établira-t-on pas des jurés? car il paraît que tout le monde est d'accord sur la nécessité d'en établir; mais il faut savoir auparavant s'il est possible d'en établir dès à présent. Je demande donc qu'on ajoute à la question ces mots, dès à présent. Votre comité ne l'a pas cru possible ; et puisque j'ai la parole, je vais vous offrir quelques-unes des réflexions qui ont déterminé son opinion. (On interrompt l'orateur, en criant que ce n'est pas le moment d'offrir ses réflexions.): M. Barrère de Vieuzac. C'est un principe constitutionnel qu'il s'agit de décréter en ce moment. Quand on aura décidé s'il y aura ou non des jurés, on discutera les moyens de les établir : par exemple, on cherchera, comme je l'ai posé dans une de mes questions, à déterminer si l'on peut, dès à présent, les établir en matière criminelle, comme le pensent beaucoup de gens, et pas encore en matière civile, comme le pensent encore beaucoup de gens.. Jere p On demande d'aller aux voix. L'ordre de travail proposé par M. Barrère de Vieuzac est relu et adopté. Le cours de ces débats fut assez irrégulièrement suivi; ce n'est pas que les questions accidentelles fussent moins nombreuses, mais les séances du soir leur avaient été spécialement consacrées. Ce fut dans une de ces séances, le 13 au soir, que Castellane * vint, pour la seconde fois, demander que l'on prît un parti sur les détenus par lettres-de-cachet, et présenter un projet en plusieurs articles sur ce sujet. Le premier ordonnait que dans six semaines, toutes les personnes détenues sans jugement préalable, seraient mises en liberté. Aussitôt l'abbé Maury courut à la tribune. Messieurs, dit-il, nous sommes placés entre deux grands intérêts: celui de la liberté, qui doit s'étendre également sur tout; celui de la société, qui ne doit jamais être troublé. Le premier article qui est soumis à notre discussion, ne regarde, ne parle que des condamnés, des décrétés et des fous. Il est évident que ce premier article, qui semble d'abord mettre à couvert la liberté publique, ne serait très-souvent qu'illusoire, car il accorde la liberté à des hommes coupables, peut-être, des plus grands forfaits. Nous commençons nos opérations par où nous devrions les finir. Organisons d'abord le pouvoir judiciaire et les · 'tribunaux ; il sera beau ensuite d'appeler à la liberté tous ceux qui pourront en jouir sans blesser les intérêts de la société. Quand bien même leur détention actuelle serait injuste, c'est un sacrifice qu'ils doivent faire à la société. S'il existe des innocens dans les prisons d'Etat, n'y a-t-il pas aussi un bien plus grand nombre de personnes accusées sans preuves? A la vérité, ce sont des maris qui ont empoisonné leurs femmes, des fils qui ont empoisonné leurs pères. Il n'existe aucune accusation légale contre ces personnes; les rendrez-vous pour cela à la société? Je ne conclus pas cependant que leur captivité doive être éternelle, mais seulement qu'il ne faut s'occuper de ces individus qu'après avoir -réglé l'intérêt général; et il ne peut exister dans la nation de volonté générale, s'il n'existe pas de loi. Touché du malheur d'être privé de la liberté, j'opine avec douleur, mais pénétré du sentiment profond de l'intérêt public, à ce que nous nous occupions d'abord de la confection des lois; aussitôt qu'elles seront faites, qu'il soit permis aux prisonniers d'invoquer la justice ordinaire. Celui qui ne l'invoquera pas doit rester dans les prisons; son silence prouvera qu'on peut l'y laisser sans injustice. M. de Robespierre. En me bornant au premier article soumis à votre discussion, j'observe que c'est sur le sort des personnes qui ne sont accusées, d'aucun crime que nous avons à prononcer. Nous ne favoriserons pas, sans doute, ces actes de despotisme; des législateurs n'ont autre chose à faire que d'anéantir ces abus. Comment les anéantir s'ils laissent gémir ceux qui sont dans l'oppression? En vertu de quoi ont-ils été privés de leur liberté? En vertu d'un acte illégal. Ne serait-ce pas consacrer cet acte illégal que d'ordonner des délais? Si quelque chose peut nous affecter, c'est le regret de siéger depuis dix mois, sans avoir encore prononcé la liberté de ces malheureux, victimes d'un pouvoir arbitraire. L'assemblée sera, sans doute, étonnée de voir que, lorsqu'il est question de la cause de l'innocence, on lui parle sans cesse, non pas de ces infortunés détenus, souvent pour leurs vertus, pour avoir laissé échapper quelques preuves d'énergie et de patriotisme; mais qu'on fixe son attention sur des hommes emprisonnés à la sollicitation des familles. Vous n'avez pas, sans doute, oublié cette maxime: Il vaut mieux faire grâce à cent coupables, que punir un seul innocent. Je propose pour amendement au premier article que tous ceux qui seront détenus seront mis en liberté le jour même de la publication du présent décret, et que dans huit jours votre décret sera publié. › Telle n'était pas l'intention du côté droit. Pour défendre l'effet des lettres-de-cachet, il attaqua l'institution du comité des recherches, et demanda en quelque sorte la suppression de celui-ci pour prix de l'abolition de l'autre. Non, s'écria Chapelier, il faut que le comité soit conservé pour répandre parmi les mal intentionnés une salutaire terreur. Cependant, il y eut une espèce de compromis. Le premier article proposé par M. de Castellane, fut convérti en décret, et le lendemain, sur un rapport spécial, on porta à trente les membres du comité, pour affaiblir par la difficulté du nombre et la longueur des délibérations, l'énergie du pouvoir qui lui était confié. Nul doute en effet qu'alors l'assemblée n'inclinât vers les partis moyens. Mais parmi ces interruptions qui, occupaient les séances du soir, plus d'une était de nature à rappeler la majorité dans la voie révolutionnaire, ainsi fut-il de celle qui suit. SÉANCE DU 20 MARS AU SOIR. [Une députation extraordinaire des ci-devant provinces de Bretagne et d'Anjou, admise à la barre, obtient la permission de parler. ⚫ Députés par trois millions d'hommes malheureux, mais prêts à sacrifier leur vie pour la patrie, nous venons exprimer leurs sentimens et leurs voeux. La Bretagne gémit sous un nouveau genre de féodalité aussi terrible que celui dont vous l'avez délivrée. Vous ne laisserez pas subsister sans doute les usemens de la province.... Votre décret concernant le marc d'argent nous a paru trop rigoureux; nous craignons de voir substituer l'aristocratie de l'opulence à l'aristocratie de la naissance. Nous ne balançons pas de venir déposer dans votre sein nos sollicitudes. Jamais nous n'avons manqué à nos engagemens, et jamais nous n'y manquerons. Le pacte fédératif entre la Bretagne et l'Anjou vous en est un sûr gårant. › M. le président. Vos mesures pour soutenir la constitution n'étaient pas inconnues à l'assemblée nationale. Servir la patrie fut toujours un besoin pour les Français, et surtout pour une province belliqueuse, voisine d'un Etat étranger. L'assemblée ne *voit dans vos milices qu'un appui pour la liberté, et un gage de prospérité pour la nation.... Elle pesera vos demandés dans sa sagesse; vous pouvez compter sur sa parfaite équité. ི་་ས་་ Le député qui avait déjà porté la parole, demande à faire lecture du pacte fédératif. M. le marquis de Bonnay. J'avoue que ce mot de pacte fédératif m'en impose; j'entrevois des inconvéniens à en autoriser la lecture. M. le président met aux voix : l'assemblée décide que le pacte sera lu. Pacte fédératif des ci-devant provinces de Bretagne et d'Anjou. Nous Français, citoyens de la Bretagne et d'Anjou, assemblés en congrès patriotique à Pontivy, par nos députés, pour pacifier les troubles qui désolent nos contrées, et pour nous assurer à jamais la liberté que nos augustes représentans et un roi citoyen viennent de nous conquérir, nous avons arrêté et arrêtons d'être unis par les liens indissolubles d'une sainte fraternité, de nous porter des secours mutuels en tous temps et en tous lieux, de défendre jusqu'à notre dernier soupir la constitution de l'Etat, les décrets de l'assemblée nationale, et l'autorité légitime et reconnue de nos rois. Nous déclarons solennellement que, n'étant ni Bretons, ni Angevins, mais Français et citoyens du même empire, nous renonçons à tous nos priviléges locaux et particuliers, et que nous les abjurons comme inconstitutionnels. Nous déclarons qu'heureux et fiers d'être libres, nous ne souffrirons jamais qu'on attente à nos droits d'hommes et de citoyens, et que nous opposerons aux ennemis de la chose publique toute l'énergie qu'inspirent le sentiment d'une longue oppression et la confiance d'une grande force. Nous invitons et nous conjurons tous les Français nos frères, d'adhérer à la présente coalition, qui deviendra le rempart de notre liberté et le plus ferme appui du· trône. › C'est aux yeux de l'univers, c'est sur l'autel du Dieu qui punit les parjures, que nous promettons et que nous jurons d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir la constitution française. › Périsse l'infracteur de notre pacte sacré, et prospère à jamais son religieux observateur!». 1 |