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la vraie religion par des miracles est en harmonie avec l'idée que nous nous formons de la sagesse suprême. Rousseau prétend que non, et la conscience moderne est de son avis; se fondant sur ce qu'il est impossible aux hommes de distinguer les miracles des prestiges, il s'écrie : « Quoi! Dieu, maître du choix de ses preuves, quand il veut parler aux hommes, choisit par préférence celles qui supposent des connaissances qu'il sait qu'ils n'ont pas! Il prend pour les instruire la même voie qu'il sait que le démon prendra pour les tromper! Cette marche serait-elle donc celle de la Divinité? Se pourrait-il que Dieu et le diable suivissent la même route? Voilà ce que je ne puis concevoir (1). »

Il est encore plus difficile de le concevoir, quand on considère de près les miracles rapportés dans les Évangiles. Il y en a, dit Rousseau, que l'on ne peut prendre au pied de la lettre, sans renoncer au bon sens. Tels sont, par exemple, ceux des possédés. Y a-t-il des possédés? Il en abondait, paraît-il, du temps de JésusChrist, car il passa sa vie à chasser les démons. Comment se fait-il que cette race a disparu? Le diable a-t-il perdu son empire? S'il le conserve, pourquoi ne l'exerce-t-il plus? Rousseau répond : « On reconnaît le diable à son œuvre, et les vrais possédés sont les méchants; la raison n'en reconnaîtra jamais d'autres. Mais passons, voici plus. Jésus demande à un groupe de démons comment il s'appelle. Quoi! les démons ont des noms? les anges ont des noms? sans doute, pour s'entr'appeler entre eux, ou pour entendre quand Dieu les appelle? Ce nom, c'est Légion, car ils sont plusieurs, ce qu'apparemment Jésus ne savait pas. Ces anges, ces intelligences sublimes dans le mal comme dans le bien, ces êtres célestes qui ont pu se révolter contre Dieu, qui osent combattre ses décrets éternels, se logent en tas dans le corps d'un homme : forcés d'abandonner ce malheureux, ils demandent de se jeter dans un troupeau de cochons : ils l'obtiennent; ces cochons se précipitent dans la mer. Et ce sont là des preuves de l'auguste mission du Rédempteur du genre humain, les preuves qui doivent l'attester à tous les peuples de tous les âges et dont nul ne saurait douter, sous peine de damnation. Juste Dieu ! la tête tourne; on ne sait où l'on est. >>

(1) Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 1" partie.

Il faut nous arrêter à ces miracles; car ils jouent un grand rôle, non-seulement dans la vie de Jésus-Christ, mais encore dans l'établissement du christianisme c'est l'argument favori des premiers apologistes et des Pères de l'Église pour prouver la vérité de la religion chrétienne. Les chrétiens prétendaient que les démons étaient les dieux du paganisme, et ils étaient tout fiers de chasser ces fausses divinités. Pouvait-il y avoir un témoignage plus évident de la puissance divine de leur maître? Entre mille temoignages, nous nous contentons de citer les paroles de Tertullien. « Qu'on fasse, dit-il, venir quelqu'un qui soit tourmenté par le démon, le premier chrétien le forcera d'avouer qu'il n'est qu'un esprit immonde. Peut-il y avoir une preuve plus complète? Vos dieux sont soumis aux chrétiens; nous les obligeons malgré eux de sortir des corps des possédés (1). »

Voilà une preuve de la révélation chrétienne qui devrait singulièrement embarrasser les apologistes, si la foi leur laissait une lueur de bon sens. Vous demandez, dit Bergier, pourquoi Dieu emploie les exorcismes pour prouver la vérité de sa religion? D'abord Dieu permet aux démons de sortir de l'enfer pour venir tourmenter les hommes, parce que cela lui plaît ainsi. Cela ferme la bouche à cet impertinent questionneur de Rousseau : il fallait encore ajouter, comme la dame romaine dans Juvénal, que la volonté de Dieu tient lieu de raison. Dieu permet encore les possessions, dit Bergier, afin de faire éclater le pouvoir divin de Jésus-Christ, et pour confondre les préventions des incrédules (2). Mais les incrédules disent que les exorcismes, loin de les convaincre, les dégoûtent! Il n'y a pas jusqu'à Rousseau qui, malgré son respect pour l'Evangile, n'y tient plus. Ainsi nous aboutissons à ce singulier résultat, que les miracles, loin de convaincre les incrédules, produisent l'incrédulité!

(1) Voyez d'autres témoignages dans Fréret, Examen critique des apologistes. ( OEuvres, t. III, pag. 206-210.)

(2) Bergier, Traité de la vraie religion, t. VIII, pag. 479.

V

Que faut-il donc penser des miracles de l'Écriture sainte? Si l'on veut y voir une interversion des lois de la nature, il est évident que l'on doit répondre avec Spinoza qu'ils ne reposent que sur l'ignorance et sur la superstition (1). Le dix-huitième siècle abonda dans cette critique en l'exagérant. On lit dans un des écrits les plus modérés de cette époque : « Si une foi vive et ardente est nécessaire pour opérer des miracles, c'est par une foi simple et par un esprit soumis qu'on peut se mettre en état d'en voir; il n'y a que ceux qui sont persuadés de la possibilité des miracles, qui puissent en être témoins; le merveilleux fuit et redoute l'esprit incrédule, c'est son ennemi le plus dangereux. Les hommes simples ont vu des prodiges, ils en verronttoujours; les incrédules n'en ont point vu et n'en verront jamais (2). >>

C'est dire que les miracles sont une illusion de la foi. Mais là où il y a illusion, il y a grand danger que la mauvaise foi ne vienne l'exploiter. La crédulité et la fraude, telles sont les deux sources de tous les prodiges. C'est l'opinion unanime des libres penseurs. Écoutons d'Holbach : « Les miracles ne prouvent rien, sinon l'adresse et l'imposture de ceux qui veulent tromper les hommes, pour confirmer les mensonges qu'ils leur annoncent, et la crédulité stupide de ceux que ces imposteurs séduisent. Ces derniers commencent toujours par mentir, par donner des idées fausses de la Divinité, par prétendre avoir eu un commerce intime avec elle, et pour prouver ce commerce incroyable, ils font des œuvres incroyables, qu'ils attribuent à la toute-puissance de l'Étre qui les envoie. Tout homme qui fait des miracles n'a point des vérités, mais des mensonges à prouver. La vérité est simple et claire; le merveilleux annonce toujours la fausseté (3). »

La réaction qui s'est faite contre l'incrédulité du dix-huitième siècle a profité aux miracles. On ne voit plus dans les religions une œuvre d'imposture, ni des fourbes dans les révélateurs. Moïse et Jésus-Christ sont révérés même par les libres penseurs,

(1) Spinoza, Epist. XXI.

(2) Réflexions impartiales sur les Évangiles, pag. 53, (3) Le Christianisme dévoilé, pag. 74.

comme les plus grandes figures de l'humanité. Dans cet ordre d'idées, les miracles cessent d'être une imposture inventée pour confirmer la fraude. Que faut-il donc penser des prodiges attribués à Moïse et à Jésus-Christ? Spinoza a inauguré une explication des miracles que la science moderne peut accepter. Il remarque d'abord que l'on a mal entendu l'Écriture sainte. Quand elle dit qu'une chose est l'œuvre de Dieu, elle veut dire qu'elle a été faite suivant les lois et l'ordre de la nature, et point du tout, comme le croit le vulgaire, que la nature a cessé d'agir pour laisser faire Dieu. Si donc nous rencontrons dans l'Écriture certains faits dont la cause naturelle nous échappe, ou même qui semblent contraires aux lois de la nature, cela ne doit point nous arrêter; nous devons demeurer convaincus que tout ce qui est effectivement arrivé est arrivé naturellement. Si l'Écriture rapporte tout directement à Dieu, en négligeant les causes naturelles, c'est que son but n'est pas d'expliquer les choses par leurs causes prochaines, mais de les présenter de façon à exciter la dévotion des hommes et particulièrement du vulgaire. Il faut encore tenir compte, dit Spinoza, de l'imagination de ceux qui rapportent les faits. Quand on lit dans la Bible que le mont Sinaï à lancé de la fumée parce que Dieu venait d'y descendre entouré de flammes, ou que le prophète Élie est monté au ciel sur un char enflammé traîné par des chevaux de feu, il ne faut voir dans ces représentations fantastiques que les opinions de ceux qui les racontent; ils les donnent comme réelles, et ils les croient réelles. Ce n'est pas une raison pour que nous prenions ces imaginations pour des réalités. Restent les événements qui sont évidemment contraires aux lois de la nature. Spinoza n'hésite pas à dire que ces choses ont été mises dans les livres saints par une main sacrilége: car ce qui est contre la nature, dit le philosophe, est contre la raison, et ce qui est contre la raison est absurde et doit être rejeté (1).

Sur ce dernier point, les interprètes modernes se sont écartés de la doctrine de Spinoza ; non pas qu'ils admettent des faits contraires à la nature, mais ils les expliquent par la tradition ou par le mythe, comme disent les écrivains allemands. C'est dire que

(1) Spinoza, Tractatus theologico-politicus, C. VI.

l'illusion de la foi est la source principale des faits miraculeux. Mais la foi exclut-elle nécessairement la fraude? Nous avons des fraudes sans nombre que l'on appelle pieuses; puisqu'on accole ces deux mots qui semblent s'exclure l'un l'autre, il faut croire qu'il y a une espèce de piété qui se concilie avec le calcul, disons le mot, avec l'imposture. Ce ne sont pas des libres penseurs qui ont imaginé les fraudes pieuses, ce sont des chrétiens. Les chrétiens ne doivent donc ni s'étonner, ni se plaindre si les libres penseurs les prennent au mot; seulement là où les premiers honorent la piété, lors même qu'elle a recours à la fraude, ceux-ci flétrissent la fraude, lors même que la piété s'y mêle; pour mieux dire, ils ne veulent pas voir une vraie piété là où il y a un mélange d'imposture. Il faut appeler les choses par leur nom : que la tradition, que le mythe aient produit des miracles, nous le croyons volontiers, mais quand le mensonge, quand l'imposture jouent un rôle dans la tradition, ou dans la formation du mythe, flétrissons-les, sinon nous aurons l'air d'excuser ce qui ne mérite pas d'excuse, la mauvaise foi.

Les miracles de l'Évangile remontent à ce qu'on appelle les beaux temps du christianisme; et il répugne à ceux auxquels la religion est chère, de croire que les chrétiens, dans la première ferveur de la foi, aient forgé des miracles pour y appuyer leur croyance ou pour la répandre. Toutefois il est certain qu'il y a des faux qui remontent au berceau du christianisme : « Les premiers chrétiens, dit Voltaire, ont imaginé de fausses prédictions des sibylles; ils ont supposé des Évangiles; ils ont cité d'anciennes prophéties qui n'existaient pas; ils ont fabriqué des lettres de Paul à Sénèque et de Sénèque à Paul; ils ont supposé même des lettres de Jésus-Christ; ils ont interpolé des passages dans l'historien Josèphe; ils ont forgé des constitutions apostoliques et jusqu'au symbole des apôtres. S'ils sont reconnus faussaires sur tant de points, ils doivent être reconnus faussaires sur les autres. Or, les Évangiles sont les seuls monuments des miracles de Jésus; ces Évangiles si longtemps ignorés se contredisent; donc ces miracles sont d'une fausseté palpable (1). >>

La conclusion est trop absolue. Toujours est-il que des fraudes

(1) Voltaire, Questions sur les miracles. (OEuvres, t. XLI, pag. 302-324.)

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