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votre maître, de ce tremblement de terre, de ces ténèbres épaisses qui obscurcirent la lumière du soleil pendant trois heures; de cet ange qui descendit du ciel avec le bruit et l'éclat du tonnerre, pour ouvrir le tombeau du Christ: et vous prétendez que ces soldats ne se convertirent pas! bien plus, il faut ajouter qu'ils ne parlèrent pas de ces prodiges, puisqu'à Rome on les ignorait! Croyez-moi, si votre Messie avait fait seulement la moindre partie des miracles que vous lui attribuez, l'empereur et le sénat en eussent d'abord été informés; cet homme divin eût été le sujet de tous nos entretiens, et l'objet de l'admiration universelle. Cependant il est encore inconnu à tout le monde; les Juifs mêmes le regardent comme un imposteur. Convenez qu'il a fallu un miracle plus grand que tous les miracles de Jésus-Christ, pour captiver ainsi dans l'obscurité, une histoire que vous supposez aussi publique, aussi merveilleuse que la sienne. Reconnaissez votre égarement; car enfin, c'est à votre imagination seule, que tous ces prodiges doivent leur naissance (1). »

Les chrétiens à qui sans doute les païens faisaient cette objection; en sentirent la gravité. Ils eurent recours à leur moyen favori, le faux; c'était le seul du reste qui fût possible comment attester des chimères, sinon par des preuves chimériques? Ils se mirent à l'œuvre, et bientôt les témoignages abondèrent on eut les actes de Pilate, plus ses lettres à Tibère; on eut la correspondance entre saint Paul et Sénèque; on eut les prophéties des Sybilles, annonçant avec une précision surprenante, les miracles, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Malheureusement les faux supposent le règne de l'ignorance; quand les ténèbres intellectuelles font place à la lumière de la raison, les faux sont invoqués contre les faussaires. Il ne reste qu'une planche de salut aux apologistes qui se respectent, c'est de répudier cette œuvre de mensonge, pour s'en tenir aux témoignages historiques. Ils insistent sur ce que les ennemis mêmes de Jésus-Christ, les philosophes furent forcés d'avouer qu'il avait opéré un grand nombre de prodiges Celse le reconnaît, Julien ne le nie pas. Voilà donc les miracles prouvés, et les miracles attestent la révélation.

Fréret répond que ces aveux sont loin d'être aussi décisifs que

(1) Fréret, Examen critique du Nouveau Testament. (OEuvres, t. II, pag. 178-180.)

se l'imaginent les chrétiens accoutumés à recevoir sans examen toutes les preuves qu'ils croient favorables à leur cause. Les Pères de l'Église reconnaissent les oracles, ainsi que les prodiges opérés par les thaumaturges du paganisme, sauf à les attribuer au diable. Est-ce une raison pour croire au diable et à ses œuvres? Tout cela ne prouve qu'une chose, c'est que la crédulité était générale. Mais en avouant que Jésus-Christ avait fait des miracles, les philosophes n'entendaient point admettre qu'il fût Fils de Dieu, pas plus qu'ils ne reconnaissaient la divinité de Pythagore " et d'Apollonius. Les philosophes attachaient une médiocre importance à ces prestiges. Celse en parle avec un mépris peu déguisé; il ne se donne pas seulement la peine de discuter ceux que l'on attribuait à Jésus-Christ, parce que, dit-il, ils n'ont rien qui soit au dessus des tours de passe-passe que font les charlatans (1). Voilà ce que l'on appelle un témoignage en faveur du Christ!

Hume tourne ce témoignage contre le christianisme; il dit que les miracles se font toujours dans des temps d'ignorance, et que, s'ils attestent une chose, c'est la bêtise humaine. Un ministre anglican, qui prit à tâche de combattre le philosophe écossais, demande si le siècle d'Auguste était une époque de ténèbres intellectuelles, si les Athéniens et les Romains étaient des hommes ignorants et stupides! La réponse de Leland est devenue un argument favori des apologistes. Hélas! il en est de cette preuve comme de toutes les autres : non seulement elle s'évanouit quand on la considère de près, mais elle témoigne contre la révélation miraculeuse. Si un miracle était opéré dans le sein de l'Académie des sciences, il aurait certes un grand poids. Mais quelle autorité peuvent avoir des prodiges accomplis, alors que les philosophes mêmes croyaient aux esprits et aux enchantements? Que le sénat de Rome ait cru à la mort du Christ, Fils de Dieu, et à sa résurrection, qu'est-ce que cela prouverait? Sous le règne de Tibère, on raconta la fable la plus extravagante sur la mort du grand Pan; on ne savait pas qui était le grand Pan: cela n'empêcha pas l'empereur d'ajouter foi à un conte qui ressemble à celui de la mère l'Oie (2). Les Romains de l'empire croyaient aux Tritons et aux

(1) Fréret, Examen critique des apologistes. (OEuvres, t. III, pag. 203-205.) (2) Fontenelle raconte cette fable dans son Histoire des oracles, chap. 1.

Néréides. Ce qu'il y a de plus singulier, l'existence de ces êtres imaginaires était attestée par des témoins dignes de foi. Une députation de Lisbonne fut envoyée à Tibère pour lui annoncer que l'on avait vu et entendu un Triton qui jouait de la conque. Le légat de la Gaule écrivit à Auguste qu'on apercevait sur la côte plusieurs Néréides mortes (1). Voilà le siècle d'Auguste! Nous pourrions remplir un volume de toutes les niaiseries que les écrivains les plus sérieux, les géographes, les naturalistes, admettaient sans la moindre difficulté, en invoquant au besoin le témoignage d'hommes considérables qui affirmaient avoir vu ce qui bien certainement n'existait pas. Il y a des époques où l'humanité a la crédulité de l'enfance telle était l'antiquité, tel était le moyen âge. Quand Pline croyait à l'impossible, faut-il s'étonner si le vulgaire croyait aux miracles de l'Évangile?

IV

Les philosophes du dix-huitième siècle nient tout miracle; ils nient surtout les prodiges que les chrétiens invoquent pour y appuyer la révélation. Ils ont, disent-ils, des raisons particulières pour se défier de ces faits merveilleux, c'est le témoignage de Jésus-Christ. Le maître dit à ses disciples : « Il s'élèvera de faux Chrits et de faux prophètes, et ils feront de grands signes et des prodiges, de sorte que les élus mêmes seraient séduits, s'il se pouvait (2). » Se fondant sur ces paroles, les docteurs chrétiens enseignent que le diable et ses suppôts peuvent faire des miracles, ou au moins des prestiges qu'il est impossible aux hommes de distinguer de ceux qui se font par l'action de Dieu. Rousseau conclut de là que les vrais miracles, en supposant qu'il y en ait, ne servent à rien. « La même autorité qui attește les miracles, atteste aussi les prestiges; et cette autorité prouve encore que l'apparence des prestiges ne diffère en rien de celle des miracles. Comment donc distinguer les uns des autres? et que peut prouver le miracle, si celui qui le voit ne peut discerner par aucune marque

(1) Voyez mes Etudes sur Rome, 2 édition, pag. 349.

(2) Matthieu, XXIV, 24.

assurée, et tirée de la chose même, si c'est l'oeuvre de Dieu ou si c'est l'œuvre du démon? Il faudrait un second miracle pour certifier le premier (1). »

Les orthodoxes ont réponse à tout; le lecteur va juger si leurs raisons sont de nature à fortifier la révélation. Vous demandez, dit Calmet, comment on peut distinguer les miracles des prestiges. Rien de plus simple : l'Église vous l'apprendra, et vous avez de plus la doctrine dont la sainteté confirme les miracles. Le savant bénédictin prévient l'objection qu'on lui fera. «< N'est-ce pas un cercle vicieux que tout cela et une pétition de principes? Je vous demande une marque pour distinguer les vrais et les faux miracles, et vous me dites que les vrais miracles sont ceux qui servent à confirmer la saine doctrine; et si je vous demande la preuve de la doctrine, vous me citez les miracles; s'il y a des miracles pour et contre, je dois m'en rapporter à l'Église; que si je doute quelle est la vraie Église, vous me renvoyez aux miracles et à la doctrine. » L'objection n'est pas faible. Que répond-on? Pascal paie d'audace, ou il se paie de mots; il affirme hardiment << que les miracles discernent la doctrine et que la doctrine discerne les miracles (2). » Ainsi le cercle vicieux est avoué, et il est élevé à la hauteur d'une vérité! Cela est excellent pour les croyants, mais les incrédules? Le père Calmet nie qu'il y ait une pétition de principes. «< Dieu étant la vérité même, ne peut nous induire en erreur, ni autoriser le mensonge et l'imposture par son approbation et par une suite de vrais miracles; ayant promis l'infaillibilité à son Église, il ne peut manquer à sa promesse. Lors donc que, dans le doute, je renvoie à la doctrine ou à l'Église, je le fais en conséquence du principe que Dieu ne peut tromper, et que la décision de son Église est la décision de son Saint-Esprit. L'Église tire donc sa force de la parole de Jésus-Christ. Les miracles et la doctrine sont appuyés sur le même fondement. Ce n'est point là une pétition de principes; c'est un enchaînement de preuves, qui se prêtent mutuellement de la force et de la lumière (3). »

Calmet ne s'aperçoit pas qu'il s'égare de plus en plus dans son

(1) Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 1" partie.

(2) Pascal, Pensées, XXIII, 4.

(3) Calmet, Dissertation sur les miracles. (Commentaire de l'Ancien Testament, t. II, pag. xxiv, s.)

cercle vicieux. Son raisonnement implique en effet que le lecteur croit à Jésus-Christ, qu'il croit à la mission que le Christ a donnée à l'Église, qu'il croit à l'infaillibilité de l'Église. Or, les miracles ont précisément pour objet de prouver la divinité du Christ, et tout ce que l'on appelle révélation. Cela revient donc à dire qu'il faut avoir la foi, qu'alors les miracles deviennent une preuve démonstrative, un fondement, comme dit Pascal. Fort bien. Mais les miracles sont-ils faits pour ceux qui croient, ou pour ceux qui ne croient pas? Il est évident qu'ils n'ont de raison d'être que si l'on y voit un moyen employé par la Providence pour convaincre les hommes de la vérité d'une doctrine, ou au moins de la mission de celui qui la prêche. Si les hommes avaient cette conviction indépendamment des miracles, ne serait-il pas absurde que Dieu intervertît les lois de la nature pour la leur donner? Que si les miracles sont nécessaires pour établir une religion, il faut que les hommes puissent s'assurer de leur vérité, indépendamment de la doctrine, sinon le cercle vicieux est évident.

En réalité, la révélation et les preuves qui l'appuient sont un immense cercle vicieux. Pourquoi faut-il des miracles pour établir le christianisme? Parce que le christianisme est lui-même miraculeux, surnaturel, et dans son fondateur et dans sa doctrine. Mais comment convaincre les hommes que le Fils de Dieu s'est incarné, qu'il est mort et ressuscité, et qu'il a enseigné des vérités auxquelles la raison ne peut atteindre, qu'elle ne peut même pas comprendre? On invoque pour cela des miracles. C'est prouver le miracle par le miracle. Spinoza en a déjà fait la remarque; il écrit à Oldenburg : « Je considère la foi aux miracles et l'ignorance comme choses équivalentes, par la raison que ceux qui prétendent établir l'existence de la religion sur les miracles, prouvent une chose obscure par une chose plus obscure encore et qu'ils ignorent au suprême degré (1). » Diderot a répété l'objection en d'autres termes, et elle est irréfutable. « Prouver l'Évangile par les miracles, c'est prouver une absurdité par une chose contre nature (2). »

Reste à savoir si le dessein que l'on suppose à Dieu d'établir

(1) Spinoza, Epist. XXIII,

(2) Diderot, Addition aux pensées philosophiques, n° 24.

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