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l'autre, que nous ne pouvons pas vérifier, prétend que ces lois ont éprouvé des violations, des exceptions, si l'on veut. Le premier témoignage contre-balance au moins le second, s'il ne le détruit pas (1). Diderot n'avait donc pas tort de dire : <«< Je croirais sans peine un honnête homme qui m'annoncerait que Sa Majesté vient de remporter une victoire complète sur les alliés; mais tout Paris m'assurerait qu'un mort vient de ressusciter à Passy, que je n'en croirais rien (2). » Et Voltaire ajoute : « On dit que, si tout Paris a vu ressusciter un mort, on doit en avoir la même certitude que quand tous les officiers de Fontenoi assurent qu'on a gagné le champ de bataille. Mais, révérence parler, mille personnes qui me racontent une chose improbable, ne m'inspirent pas la même certitude que mille personnes qui me disent une chose probable; et je persiste à penser que cent mille personnes qui ont vu ressusciter un mort pourraient bien être cent mille personnes qui ont la berlue (3). »

En réalité, il n'y a point d'événement miraculeux qui soit établi sur une parfaite évidence: « On ne trouve pas, dit Hume, un seul miracle attesté par un nombre suffisant de témoins d'un bon sens et d'un savoir assez généralement reconnu, pour pouvoir nous rassurer contre les illusions qu'ils auraient pu se faire à eux-mêmes; . de témoins d'une intégrité assez incontestable pour les mettre au dessus de tout soupçon d'imposture, d'une réputation assez accréditée aux yeux de leurs contemporains pour avoir beaucoup à perdre au cas qu'on les eût convaincus de fausseté, et dont, en même temps, le témoignage roule sur des faits arrivés d'une manière assez publique, et dans une partie du monde assez célèbre, pour qu'on n'eût pas pu manquer d'en découvrir l'abus (4). »

Les réponses à cette rude attaque ne manquèrent point; mais, comme d'habitude, ceux qui prennent la défense des choses surnaturelles, compromettent le surnaturel qu'ils veulent défendre. A entendre les écrivains chrétiens, les témoins qui rapportent les miracles du Christ, réunissent toutes les conditions que l'on peut

(1) Hume, Essai sur les miracles, t. II, pag. 13, ss.

(2) Diderot, Pensées philosophiques, XLVI. (OEuvres, t. I, pag. 119.)

(3) Voltaire, Lettre du 28 décembre 1755, à d'Alembert. (OEuvres, t. LXII, pag. 15.) (4) Hume, Essai sur les miracles. (OEuvres philosophiques, t. II, pag. 67.)

exiger pour ajouter foi à leur témoignage : ils sont nombreux, dit Leland, ils sont contemporains (1). Quand on demande aux apologistes où sont ces témoins contemporains si nombreux, ils citent d'abord les disciples de Jésus-Christ, les apôtres, les évangélistes. Des apôtres, il ne reste que quelques épîtres dont plusieurs ne sont pas authentiques. Quant aux Évangiles, on ne sait ni où, ni quand, ni par qui ils furent écrits. De tous ces témoins prétendus, il n'y en pas un seul qui déclare avoir vu les miracles de Jésus-Christ; leurs témoignagnes ne sont donc pas des dépositions proprement dites, ce sont des ouï dire, ce qu'on appelle en droit commune renommée, la plus dangereuse des preuves, parce que c'est la plus vague. Nous voilà loin, bien loin des témoins nombreux et contemporains.

Abbadie a donné un autre tour à son apologie. Ce sont des contemporains, dit-il, qui parlent à des contemporains de ce qui s'est passé au vu et au su de tout le monde; conçoit-on qu'ils nous aient débité des fables ou des mensonges? Il fait ce raisonnement sur les miracles de l'Ancien Testament, aussi bien que sur ceux du Nouveau; c'est son argument de prédilection, il le reproduit à chaque instant, il en triomphe (2). Hélas! c'est le triomphe de la foi, de l'illusion, de l'aveuglement. On suppose d'abord que les écrivains sacrés furent contemporains des événements qu'ils racontent. C'est une contre-vérité pour Moïse, de même que pour les évangélistes; et avec la supposition tout l'échafaudage tombe. Écoutons Voltaire « Conçoit-on bien, dit le déclamateur et mauvais raisonneur Abbadie, que Moïse ait pu instituer des mémoriaux sensibles d'un événement reconnu pour faux par plus de six cent mille témoins? Pauvre homme! tu devais dire par deux millions de témoins; car six cent trente mille combattants supposent assurément plus de deux millions de personnes. Tu dis donc que Moïse lut son Pentateuque à ces deux ou trois millions de Juifs! Tu crois donc que ces deux ou trois millions d'hommes auraient écrit contre Moïse, s'ils avaient découvert quelque erreur dans son Pentateuque, et qu'ils eussent fait insérer leurs remarques dans les journaux du pays! Il ne te manque plus que de dire que ces

(1) Leland, A defence of christianity, t. II, pag. 110, ss.

(2) Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne. t. II, pag. 156.

trois millions d'hommes ont signé comme témoins, et que tu as vu leur signature (1). »

Les témoins fussent-ils nombreux, fussent-ils contemporains, ne mériteraient encore aucune créance, quand même ils déposeraient de ce qu'ils ont vu. Ici les apologistes se récrient, ils accusent les incrédules de calomnier le caractère des disciples du Christ. Ne nous arrêtons pas aux gros mots, et raisonnons. Nous admettons que tous les apôtres étaient de saints personnages, et nous les recusons précisément à cause de leur sainteté, c'est à dire à cause de leur foi. Hume dit que des hommes animés par l'enthousiasme de la religion, vont jusqu'à s'imaginer qu'ils voient ce qu'ils ne voient pas, ce qui n'a même aucune réalité (2). Rien de plus vrai, on n'a qu'à ouvrir les Évangiles pour s'en convaincre. Quels sont les miracles habituels du Christ? Il chasse les démons, et il donne mission à ses apôtres de les chasser. Supposons que les apôtres attestent qu'ils ont vu leur maître chasser une légion de diables du corps de deux possédés, et les envoyer dans un troupeau de porcs; faudrait-t-il leur ajouter foi? Si la question était posée devant des jurés ayant leurs cinq sens, ils répondraient que l'on doit envoyer ces témoins aux petites maisons. Le diable joue un grand rôle dans les Évangiles; il tente Jésus, il le transporte sur une montagne, il lui offre les royaumes de ce monde dont il est le seigneur et maître. Que penser de témoins qui viendraient dire qu'ils ont vu Satan transporter le Christ à travers les airs? Le diable est un être chimérique; les témoins qui attestent ses faits et gestes ont donc vu ce qui n'existait point, comme le dit Hume, ce qui n'avait de réalité que dans leur imagination. Donc ces témoignages ne prouvent qu'une chose, la crédulité que donne la foi.

C'est la bonne foi des apôtres qui, selon Abbadie, forme une preuve invincible de la révélation: ils n'ont pu croire à JésusChrist, dit-il, sans croire à ses miracles, et ces miracles, ils les ont vus et touchés (3). Toujours la même illusion fondée sur des suppositions imaginaires. Qui a appris aux apologistes que les

(1) Voltaire, Examen important de mylord Bolingbroke, chap. 11. (OEuvres, t. XXX, pag. 145.). (2) Hume, Essai sur les miracles. (OEuvres, t. II, pag. 19.)

(3) Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, t. II, pag. 123.

apôtres ont vu et touché les miracles? Les évangélistes. Et qui sont ces évangélistes? On l'ignore. Supposons que ce soient des apôtres ou des disciples des apôtres, leur bonne foi vient de leur crédulité; ajouterait-on foi à des témoins disposés à croire tout, même l'impossible: Nous savons par l'Écriture que les disciples du Christ, tous sans exception, croyaient à la fin prochaine du monde; cette croyance, ils la tenaient, ils disaient du moins la tenir de Jésus-Christ. Voilà un témoignage on ne peut pas plus précis; en faut-il conclure avec Abbadie, qu'il forme une preuve invincible de la fin du monde? Il y a un apôtre, et un des · plus grands, qui croyait à un règne de mille ans de Jésus-Christ sur cette terre. Les rêveries apocalyptiques de saint Jean deviennent-elles pour cela une vérité? Quand la foi fait croire les choses les plus incroyables, quelle autorité peuvent avoir les témoignages qui reposent sur cette base fragile?

Nous pourrions citer des faits par milliers à l'appui de ce que nous disons de l'illusion de la foi. Un seul suffira à notre but. On sait le bruit que les jansénistes firent au dix-septième siècle du miracle de la sainte épine. Les jésuites s'en moquèrent, et la postérité est de leur avis. Cependant parmi les hommes qui ajoutèrent foi à ce prétendu miracle se trouve Pascal. On ne dira pas que les apôtres étaient supérieurs à Pascal, mathématicien au berceau, penseur profond et écrivain de génie. Par ses premières études, il était peu disposé à croire des chimères. Mais du moment où il se livra tout entier à la religion, la foi obscurcit son intelligence à ce point qu'il devint aussi crédule qu'un enfant. Croirons-nous le miracle de la sainte épine sur le témoignage de Pascal? Et si nous le rejetons, malgré cette haute autorité, pourquoi croirions-nous aux prodiges de l'Évangile qui ne sont pas attestés par des Pascals?

Hume fait une remarque très juste sur les miracles qui entourent les origines du christianisme; c'est qu'au moment où les religions s'établissent, tout ce qui les concerne se passe à l'ombre, les faits réels aussi bien que les prodiges, par l'excellente raison que les croyants seuls s'y intéressent, et que les fidèles sont en petit nombre. Tout prend une couleur merveilleuse aux yeux de ceux qu'anime l'enthousiasme de la foi. Qui contrôle leurs récits? qui en prend même connaissance? Personne. Cela est

si vrai que des siècles se passèrent après la venue du Christ, et les hommes qui par goût, par profession en quelque sorte, s'occupaient des croyances religieuses, ignoraient jusqu'au nom de Jésus, on n'avaient aucune idée de sa doctrine. Sénèque et Plutarque furent dans une ignorance complète. Marc-Aurèle qui persécuta les chrétiens, dit-on, ne savait rien d'eux, sinon leur obstination. Dès lors les témoignages des écrivains sacrés perdent toute valeur; ce sont des sectaires qui vantent leur secte.

III

Les libres penseurs remarquent que Jésus-Christ ne fit jamais de miracles devant les pharisiens. Cependant les Juifs ne cessaient de lui demander des signes. Pourquoi donc n'en fit-il pas en présence de ceux qui doutaient de sa puissance? Les incrédules répondent que c'est parce que les pharisiens ne croyaient pas au Christ, que le Fils de l'Homme ne pouvait pas opérer de prodiges, quand ils étaient présents. Ce qui revient à dire que pour voir des miracles, il y faut croire d'avance, ou, si l'on veut, que le doute des spectateurs paralyse la vertu miraculeuse du thaumaturge, à peu près comme les expériences magnétiques ne réussissent qu'à l'égard de ceux qui ont foi au magnétisme (1). Les apologistes, en voulant expliquer la conduite de Jésus, ne font que confirmer les soupçons injurieux de ses ennemis. Rousseau dit que le Christ aurait dû faire des miracles auprès de ceux qui n'avaient pas la foi n'était-ce pas le meilleur moyen de leur donner la foi sans laquelle il n'y a pas de salut? Non, répond Bergier. Si le Fils de Dieu refusa de faire des signes sur la demande des pharisiens, c'est qu'il ne voulait pas que ses miracles fussent inutiles (2). Pourquoi inutiles? Est-ce que les Juifs n'attendaient pas un Messie? ce prophète des prophètes ne devait-il pas attester sa mission par des prodiges plus éclatants que ceux de Moïse? II fallait donc des miracles pour convaincre les pharisiens. JésusChrist craignait-il que leur incrédulité ne persistât, en dépit des prodiges qu'il opérait? Cette crainte n'eût pas été fondée, si ses miracles avaient été réellement tels que les Évangiles les rappor

(1) Fréret, Examen critique du Nouveau Testament. (OEuvres, t. II, pag. 184.) (2) Bergier, le Déisme réfuté, t. II, pag. 142.

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