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On voit que les prophéties se font à peu près comme les miracles. Ce qu'il y a de curieux, c'est de voir Bossuet prendre ces contes au pied de la lettre, et s'extasier sur le gouvernement de la Providence qui accomplit tant de prodiges pour servir de témoignage à la divinité du Christ. On oppose si souvent aux libres penseurs le nom de Bossuet, on les accuse si souvent d'oser n'être pas de son avis, qu'il ne sera pas inutile de montrer ce grand génie en flagrant délit d'erreur, et cela sur un point capital, puisqu'il s'agit de la Révélation. Nous lui laissons la parole: « Que faites-vous, prince du monde, en mettant tout l'univers en mouvement, afin qu'on vous dresse un rôle de tous les sujets de votre empire? Vous en voulez connaître la force, les tributs, les soldats futurs, et vous commencez, pour ainsi dire, à les enrôler. C'est cela ou quelque chose de semblable que vous pensez faire; mais Dieu a d'autres desseins que vous exécutez, sans y penser, par vos vues humaines. Son fils doit naître à Béthléem, humble patrie de David; il l'a fait ainsi prédire par son prophète, il y a plus de sept cents ans, et voilà que tout l'univers se remue pour accomplir cette prophétie (1) ».

Le langage est magnifique, mais plus il a de majesté, plus il devient ridicule, quand on met cette pompe en regard de la réalité. Bossuet explique les desseins de Dieu, comme s'il avait assisté à ses conseils. Ce n'est pas présomption, il a pour lui une prophétie, c'est à dire la parole de Dieu, il a pour lui l'Evangile, encore une parole divine. Or, il se trouve que toutes ces paroles de Dieu ne sont qu'un vain son de mots; que les faits sont faux, ou altérés; que la prophétie est imaginaire, ou appliquée à contre-sens par l'Évangeliste. Et cet amas de faux, de rêves creux, de traditions fictives, est d'après Bossuet la preuve par excellence de la révélation, preuve plus claire que la lumière du soleil! En vérité, Grotius, et à sa suite les anglicans, n'avaient pas tort de se défier de cette preuve si évidente, car si jamais évidence s'est tournée contre ceux qui s'en prévalent, c'est bien l'évidence des prophéties messianiques. Elles sont fondement: eh bien, l'édifice s'écroule avec ses fondements! Les réformés étaient mieux inspirés. Semler avait raison de dire qu'il ne fallait pas confondre le christianisme

(1) Bossuet, Élévations sur les mystères, XVI, 5. (OEuvres, t, III, pag. 610.)

avec les prophéties messianiques; il avait encore raison d'écarter les miracles, pour sauver l'essence de la religion chrétienne. Il faut aller plus loin. Tout en répudiant les prophéties et les miracles, tout en répudiant même le surnaturel, les protestants continuent à révérer la morale évangélique comme un idéal que l'humanité ne dépassera jamais. Il y a des libres penseurs qui tiennent le même langage. Singulière contradiction de l'esprit humain! Si Jésus-Chrit s'est cru le Messie et s'il s'est trompé en disant que les prophéties messianiques s'étaient accomplies en sa personne, il est prouvé qu'il était homme et comme tel sujet à erreur. Or, comment un être faillible enseignerait-il une doctrine parfaite? Si l'on rejette les prophéties et les miracles, il faut aussi rejeter l'idée d'une vérité divine, absolue.

§ 3. Les miracles

No 1. Qu'est-ce qu'un miracle?

Les théologiens et les philosophes, dit Bergier, ne s'accordent pas sur la définition des miracles; les théologiens mêmes ne s'entendent pas entre eux. Ce dissentiment est-il peu essentiel, comme le prétend l'apologiste français ? C'est ce que nous allons voir. Constatons d'abord ce que Bergier, le seul défenseur des miracles au dix-huitième siècle, pense de ces prodiges : « Les uns disent que le miracle est un effet visiblement contraire aux lois et au cours ordinaire de la nature; d'autres, que c'est une action supérieure aux forces naturelles de celui qui l'opère. Quelques-uns l'appellent une exception réelle et visible aux lois de la nature, une suspension ou un changement sensible dans le cours de la nature; d'autres un effet supérieur aux forces des agents naturels. Ces notions ne diffèrent que dans les termes. Les forces de la nature sont bornées par les lois mêmes de la nature. Toute action supérieure aux forces des agents naturels est donc contraire aux lois de la nature. » Ainsi le miracle est un acte surnaturel, contraire aux lois de la nature. Bergier ajoute que si le miracle interrompt les lois ordinaires de la nature, cela ne signifie pas que toutes les lois physiques soient suspendues; il suspend seulement l'effet d'une loi particulière dans son application à un corps déterminé. «< Lorsque

Dieu apparut à Moïse dans un buisson ardent qui ne se consumait point, il n'ôta pas au feu en général la force de brûler le bois; il ne le fit que pour le feu particulier qui embrasait le buisson (1) ». Les miracles ainsi entendus sont-ils possibles? Tous les libres penseurs du dix-huitième siècle répondent que non. Spinoza, leur chef, fut le premier à nier la possibilité des miracles, et dans son système philosophique, cela se comprend parfaitement. Le miracle suppose un Dieu distinct de la nature, un Dieu qui a fait la nature et ses lois, et qui peut aussi les défaire. Or, pour Spinoza, Dieu et la nature ne font qu'un, les lois de la nature et les décrets de Dieu sont identiques. Dès lors le miracle devient une chose absurde. << Si, dit le philosophe hollandais, il se produisait un phénomène qui fût contraire aux lois générales de la nature, il serait également contraire au décret divin, à l'intelligence et à la nature divines; de même si Dieu agissait contre les lois de la nature, il agirait contre sa propre nature, ce qui est le comble de l'absurde. Je conclus qu'il n'arrive rien dans la nature qui soit contraire à ses lois universelles. Tout ce qui arrive se fait par la volonté de Dieu et son éternel décret; en d'autres termes, tout ce qui arrive, se fait suivant des lois et des règles qui impliquent une nécessité et une vérité éternelles. Ces lois et ces règles, bien que nous ne les connaissions pas toujours, la nature les suit invariablement, et par conséquent elle ne s'écarte jamais de son cours immuable. Si rien n'arrive dans la nature que ce qui résulte de ses lois, si ces lois embrassent tout ce que l'entendement divin lui-même est capable de concevoir, si la nature garde éternellement un ordre fixe, il s'ensuit qu'un miracle ne peut s'entendre qu'au regard des opinions des hommes, et ne signifie rien autre chose qu'un événement dont les hommes, ou du moins celui qui raconte le miracle, ne peuvent expliquer la cause naturelle par une analogie avec d'autres événements semblables qu'ils sont habitués à observer (2) ».

Le point de départ de ce raisonnement est l'identité de la nature et de Dieu, c'est à dire le panthéisme. Mais on peut maintenir la conclusion, tout en répudiant le principe. Dieu est

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. V, pag. 33-35.

(2) Spinoza, Tractatus theologico-politicus, c. vI. (Traduction de Saisset.)

distinct de la nature, mais les lois qu'il lui a données n'en sont pas moins fixes et immuables, ce qui détruit l'idée d'une exception. En ce sens les philosophes du dix-huitième siècle nient la possibilité du miracle. Il est inutile de parler des matérialistes. D'Holbach n'admet d'autre Dieu que les lois éternelles de la nature. C'est à peu près le panthéisme de Spinoza; partant les miracles sont une impossibilité radicale. D'Holbach va plus loin, il nie qu'ils soient possibles, même au point de vue du déisme : « Un miracle est un effet contraire aux lois constantes de la nature; par conséquent Dieu lui-même ne peut faire des miracles sans blesser sa sagesse. Dieu, qui a tout prévu, en faisant le monde, contrarierait les lois qu'il lui a imposées ! Ces lois étaient donc fautives, ou du moins, dans certaines circonstances, elles ne s'accordaient plus avec les vues de Dieu puisqu'il a cru devoir les suspendre (1)! »

Voltaire est un adversaire décidé du panthéisme de Spinoza et de l'incrédulité des Holbachiens. Cela ne l'empêche pas de nier la possibilité des miracles: « On appelle miracle, dit-il, la violation des lois divines et éternelles. Qu'il y ait une éclipse de soleil pendant la pleine lune; qu'un mort fasse deux lieues de chemin, en portant sa tête entre ses bras, nous appelons cela un miracle. Peut-il y avoir une violation des lois immuables de la nature? C'est une contradiction dans les termes : une loi ne peut être à la foi immuable et violée. » Mais une loi, étant établie par Dieu, ne peut-elle pas être suspendue par son auteur? Non, répond Voltaire, car il est impossible que l'Etre infiniment sage ait fait des lois pour les violer. Il ne pourrait déranger sa machine que pour la faire mieux aller; or, il est clair qu'étant Dieu il a fait cette immense machine aussi bonne qu'il l'a pu : il n'y changera donc jamais rien. Voltaire nie encore la possibilité des miracles parce qu'ils supposent en Dieu des vues particulières, tandis qu'il n'agit que par des règles universelles. « Ira-t-il déranger toute la nature pour un seul canton dans ce petit globe! Bouleversera-t-il tout le monde planétaire, en arrêtant le soleil, et cela pour permettre aux Juifs de tuer quelques centaines d'Amorrhéens (2)? »

(1) Le Christianisme dévoilé, pag. 70. — Le Bon sens, § 129.

(2) Voltaire, Dictionnaire philosophique, au mot Miracle, sect. I. (OEuvres, t. XXXVII pag. 295); - Questions sur les miracles, 2 lettre (t. XLI, pag. 317.)

Les philosophes trouvèrent un contradicteur dans leur camp. Rousseau demande si Dieu peut faire des miracles, c'est à dire s'il peut déroger aux lois qu'il a établies? « Cette question, répond-il, sérieusement traitée, serait impie, si elle n'était absurde. Ce serait faire trop d'honneur à celui qui la résoudrait négativement que de le punir; il suffirait de l'enfermer. Mais aussi quel homme a jamais nié que Dieu pût faire des miracles (1)? » Sans doute, si l'on se place au point de vue de la toute-puissance divine, on peut dire avec Rousseau, qu'il est absurde de douter si. Dieu peut faire des miracles. Mais la question ne se présente point d'une façon aussi absolue; nous ne sommes pas en présence de Dieu : qui oserait dire ce qu'il peut ou ce qu'il ne peut pas ? Nous sommes en présence de la nature. Or, depuis que les hommes observent la nature, ils reconnaissent qu'elle obéit à des lois générales, immuables il faut donc croire que Dieu a voulu lui donner des lois éternelles. Peut-on concilier avec ces lois éternelles une violation, un dérangement opéré dans un but particulier? Telle est la vraie difficulté. Le vulgaire des chrétiens répond hardiment que oui, parce qu'il se représente Dieu comme un législateur humain, abrogeant aujourd'hui ce qu'il a fait hier. Mais cette conception est celle d'hommes ou de peuples restés dans l'état d'enfance. Quand on étudie Dieu dans ses œuvres, et qu'on voit ses lois toujours les mêmes, on est en droit de se demander si elles ne participent point de l'éternité et de l'immutabilité du Créateur.

Ce problème a beaucoup occupé un philosophe chrétien du dixseptième siècle. Malebranche ne s'inquiète pas des faits, il déduit les lois qui régissent le monde de l'idée de Dieu. Dieu étant la perfection, doit agir d'une manière toujours égale et uniforme. C'est le propre d'un être imparfait d'agir tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Dieu imprime à ses œuvres son propre caractère. Il n'a pas de volontés particulières et changeantes, mais des volontés générales. On doit donc croire qu'il a donné à la nature les lois les plus stables, les plus universelles. C'est en ce sens que Malebranche célèbre sans cesse la simplicité des voies de Dieu. Cependant les miracles impliquent une dérogation aux lois générales, ils impliquent une intervention de Dieu dans la nature pour en

(1) Rousseau, Lettres de la montagne, 1 partie.

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