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tives des théophilanthropes. Portalis croit qu'une religion nouvelle est impossible : « On ne fait pas une religion comme on promulgue des lois. Si la force des lois vient de ce qu'on les craint, la force d'une religion vient uniquement de ce qu'on la croit. Or, la foi ne se commande pas. » La raison est péremptoire; mais elle ne prouve pas qu'une religion nouvelle ne puisse s'établir, elle prouve seulement qu'on ne peut la fonder par une loi. C'est la condamnation de la religion civile de Rousseau et de Robespierre, ce n'est pas encore la condamnation de la théophilanthropie.

Portalis continue: « Dans l'origine des choses, dans des temps d'ignorance et de barbarie, des hommes extraordinaires ont pu se dire inspirés, et, à l'exemple de Prométhée, faire descendre le feu du ciel, pour animer un monde nouveau. Mais ce qui est possible chez un peuple naissant, ne saurait l'être chez des nations usées, dont il est si difficile de changer les habitudes et les idées. » Voilà un ordre d'idées que l'on est étonné de trouver chez Portalis. N'est-ce point rapporter l'origine des religions à l'ignorance et à la barbarie? Puis, n'est-ce pas condamner les nations civilisées à conserver éternellement cet héritage? Et si elles se décident à le répudier, doivent-elles renoncer à toute religion? Portalis, sans doute, ne songeait pas à Jésus-Christ, quand il parlait de Prométhée. Mais aujourd'hui la question est posée ainsi. L'humanité ne croit plus à la divinité du Christ : nous parlons des hommes qui pensent, le reste ne compte point. Faut-il que l'humanité se prosterne à tout jamais devant le Christ, bien qu'elle ne croie plus à l'Homme-Dieu? Et si elle renonce au culte de Jésus-Christ, doit-elle renoncer à toute religion?

Portalis insiste : « Les lois humaines peuvent tirer avantage de leur nouveauté, parce que souvent les lois nouvelles annoncent l'intention de réformer d'anciens abus ou de faire quelque nouveau bien; mais, en matière de religion, tout ce qui a l'apparence de la nouveauté, porte le caractère de l'erreur ou de l'imposture. L'antiquité convient aux institutions religieuses, parce que, relativement à ces sortes d'institutions, la croyance est plus forte et plus vive, à proportion que les choses qui en sont l'objet ont une origine plus reculée. »Ne croirait-on pas, en lisant ces lignes, que notre religion est encore aujourd'hui ce qu'elle était au berceau

du monde? Nos croyances ont commencé par être nouvelles : on. peut fixer l'année et le jour où elles ont pris naissance. Si le christianisme a été une nouveauté, il n'est donc pas de l'essence de la religion d'être aussi vieille que le monde; s'il y a eu des innovations, des révolutions religieuses, il peut encore y en avoir.

Non, dit Portalis : « On ne croit à une religion, que parce qu'on la suppose l'ouvrage de Dieu. Tout est perdu, si on laisse entrevoir la main de l'homme (1). » Voilà le grand argument que l'on oppose à toute innovation religieuse, argument que l'on croit invincible. Il est vrai que les vieilles religions rapportent leur origine à Dieu; est-ce à dire que cela soit de l'essence de la religion? Il faut s'entendre quand on parle de l'origine divine des institutions religieuses. Ceux qui ont une croyance quelconque, peuvent croire qu'elle vient de Dieu, sans croire qu'ils la tiennent d'une révélation directe, miraculeuse. Faut-il nécessairement que Dieu s'incarne dans le sein d'une Vierge, pour communiquer la vérité aux hommes? Qui oserait le soutenir? Ce serait dire qu'avant JésusChrist, il n'y avait point de religion. On croyait, avant la venue du Christ, que Dieu inspirait des prophètes pour annoncer ses volontés. S'il inspire des prophètes, pourquoi n'inspirerait-il point l'humanité? Ce serait toujours une révélation-divine, mais au lieu d'être miraculeuse, elle se ferait par l'intermédiaire de la raison et de la conscience. De fait, il n'y en a jamais eu d'autre. Telle est aujourd'hui la conviction de tous ceux qui se servent de leurs yeux pour voir. Si cette conviction devenait universelle, et il est sûr qu'elle le deviendra, serait-ce la fin de toute religion, de toute foi? Quelle absurdité! Ce qui se passe sous nos yeux donne un démenti à Portalis, et à tous ceux qui pensent comme lui qu'une nouvelle religion est impossible. Les sectes avancées du protestantisme ne croient plus à la divinité du Christ; elles ne croient plus à une révélation miraculeuse, et cependant elles ont une religion; il peut donc y avoir une religion, sans un Prométhée, sans un Homme-Dieu, sans un prophète. Ce que nous disons des protestants, est vrai aussi des juifs. Ils ne croient plus que Dieu se soit montré en chair et en os à Moïse, ils ne croient plus que l'Éternel lui ait dicté les commandements de la Loi; ils sont cependant

(1) Portalis, Discours et Rapports sur le concordat, pag. 17.

toujours attachés au mosaïsme, comme les réformés le sont au christianisme. Qu'est-ce à dire? Que la religion est tout ensemble ancienne et nouvelle. Elle se modifie incessamment, comme toutes les choses humaines. Cette transformation s'accomplit, sous la loi du progrès. C'est aussi de cette manière que se fera la révolution religieuse dont le dix-huitième siècle avait l'instinct. Il ne viendra pas un nouveau Prométhée, il ne viendra pas un nouveau Christ, mais le christianisme traditionnel se transformera. Ce sera une religion tout ensemble nouvelle et ancienne, de même que le christianisme fut nouveau et ancien.

IV

Il nous sera facile maintenant d'apprécier l'œuvre de Napoléon. A entendre nos modernes catholiques, on dirait que le premier consul fut plus qu'un nouveau. Constantin, plus qu'un second Théodose; on croirait qu'il fut un Messie, ou au moins un apôtre convaincu de la divinité du christianisme dont il rétablit les autels. Écoutons un de ces écrivains qui font de l'histoire de fantaisie : << Remettre la France en communication avec le centre de l'unité catholique, dit M. de Carné (1), fut le plus grand service qu'un gouvernement ait jamais rendu à un peuple; et lorsqu'on songe au déchaînement de tant de passions et de tant d'intérêts, aux fureurs de l'impiété naguère encore triomphante, il est impossible de ne pas voir dans le concordat de 1801 une œuvre d'audace et de génie sans précédent dans l'histoire. » Est-il bien vrai que le concordat fut le triomphe de la religion sur l'impiété?

Au train dont vont les choses, on finira par faire de Napoléon un béat. Mettons la réalité à la place de ces fictions historiques. Le premier consul aimait à s'entretenir avec Monge, savant distingué et libre penseur : « Tenez, lui dit-il un jour, ma religion est bien simple. Je regarde cet univers si vaste, si compliqué, si magnifique, et je me dis qu'il ne peut être le produit du hasard, mais l'oeuvre d'un être inconnu, supérieur à l'homme, autant que l'univers est supérieur à nos plus belles machines.

(1) De Carné, l'Église et l'État. (Le Conservateur, t. X, pag. 519.)

Cherchez, Monge, aidez-vous de vos amis les mathématiciens et les philosophes, vous ne trouverez pas une raison plus forte, plus décisive, et, quoi que vous fassiez pour la combattre, vous ne l'infirmerez pas. Mais cette vérité est trop succincte pour l'homme; il veut savoir sur lui-même, sur son avenir, une foule de secrets que l'univers ne dit pas. Souffrez que la religion lui dise tout ce qu'il éprouve le besoin de savoir, et respectez ce qu'elle aura dit. Il est vrai que ce qu'une religion avance, d'autres le nient. Quant à moi, je conclus autrement que M. de Volney. De ce qu'il y a des religions différentes qui naturellement se contredisent, il conclut contre toutes, il prétend qu'elles sont toutes mauvaises. Moi, je les trouverais plutôt toutes bonnes, car toutes au fond disent la même chose (1). » Un autre jour, il disait à son interlocuteur, dans les jardins de la Malmaison: «< Tenez, dimanche, j'étais seul dans cette solitude; le son de la cloche de Ruel vint frapper mon oreille, je fus ému, tant est forte la puissance des premières habitudes. Quelle impression cela ne doit-il pas faire sur des hommes simples et crédules!... En Égypte, j'étais mahométan; je dois être catholique en France. JE NE CROIS PAS AUX RELIGIONS, mais l'idée d'un Dieu (2)! »

Voilà la religion de Napoléon : c'est, sauf quelques nuances, la religion de Voltaire. Les catholiques diraient que c'est la peste de l'indifférentisme, et au point de vue de l'orthodoxie, ils auraient raison. Il faut ajouter, que ces sentiments étaient ceux de toute la classe éclairée. Nous avons entendu Portalis invoquer le témoignage des conseils généraux et des préfets pour prouver aux révolutionnaires que la masse de la nation désirait le rétablissement du culte catholique. Il lui échappe un autre aveu qui contraste singulièrement avec cette déclaration. Il constate « l'indifférence de notre siècle pour les institutions religieuses, et pour tout ce qui ne tient pas aux sciences et aux arts, aux moyens d'industrie et de commerce qui ont été si heureusement développés de nos jours et aux objets d'économie politique sur lesquels nous paraissons fonder exclusivement la prospérité des États. » C'est, en apparence, une indifférence bien dédaigneuse : « Fiers de l'état de

(1) Thiers, Histoire du Consulat, liv. XII.

(2) Bignon, Histoire de France depuis le 18 brumaire, chap. xx.

perfection où nous sommes arrivés, trop confiants dans nos lumières, nous imaginons que, sans aucun danger pour le bonheur commun, nous pourrions désormais renoncer à ce que nous appelons préjugés antiques. » Ce que les catholiques appellent indifférence, n'est autre chose que la transformation des vieilles croyances; c'est la religion de l'autre monde qui fait place à une religion de ce monde-ci. Tel étant l'état des esprits au commencement du dix-neuvième siècle, pourquoi restaurer la vieille religion, à laquelle les croyants mêmes ne croyaient plus?

C'était pour Napoléon une question d'utilité, un moyen de gouvernement, un instrument de pouvoir. Portalis ne s'en cache point. La religion est utile, elle est nécessaire, comme fondement de l'ordre public « Pourquoi existe-t-il des magistrats? pourquoi existe-t-il des lois? pourquoi ces lois annoncent-elles des récompenses et des peines? C'est que les hommes ne suivent pas uniquement leur raison, c'est qu'ils sont naturellement disposés à espérer et à craindre, et que les instituteurs des nations ont cru devoir mettre cette disposition à profit pour les conduire au bonheur et à la vertu. Comment donc la religion, qui fait de si grandes promesses et de si grandes menaces, ne serait-elle pas utile à la société? Les lois et la morale ne sauraient suffire. Les lois ne règlent que certaines actions; la religion les embrasse toutes. Les lois n'arrêtent que le bras; la religion règle le cœur. Quant à la morale, que serait-elle, si elle demeurait reléguée dans la haute région des sciences, et si les institutions religieuses ne l'en faisaient descendre pour la rendre sensible au peuple? La morale sans préceptes positifs laisserait la raison sans règle; la morale sans dogmes religieux ne serait qu'une justice sans tribu

naux. »

Voilà qui est clair. La religion sert de cour d'assises et de bourreau à la morale. Il faut outre les lois criminelles, outre les bagnes et l'échafaud, un enfer et des démons, pour contenir ceux qui n'auraient pas peur du code pénal. Que deviendrait donc la société, si les hommes ne croyaient plus à Satan et à son royaume? Puisque le catholicisme avec son dogme terrible de l'enfer est un si précieux moyen de gouvernement, il faut lui donner une place dans l'État, et tâcher de le fixer, de le consolider. Il est immuable de sa nature; c'est une maxime excellente qui assure la stabilité;

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