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gion des théophilanthropes. On a reproché au clergé les adulations dont il fut trop prodigue envers Napoléon. Le clergé est toujours adulateur de la force, quand la force s'emploie à son profit. En 1802, sa reconnaissance se comprend. Le premier consul dut faire violence à ceux-là mêmes qui l'avaient élevé au pouvoir suprême, pour leur imposer le catholicisme. C'est avec ses grenadiers qu'il fit le coup d'État du 18 brumaire; or l'armée était hostile au rétablissement de la vieille religion. « Jamais, disaient les soldats, les drapeaux français n'avaient été couverts de tant de lauriers, que depuis qu'ils avaient cessé d'être bénits. » Les généraux les plus illustres, et parmi eux des compagnons d'armes de Bonaparte partageaient cette aversion. On connaît la réponse d'un officier au premier consul qui lui demandait comment il avait trouvé la cérémonie de Notre-Dame, célébrée à l'occasion de la restauration du culte : « C'était, dit Delmas, une belle capucinade; il n'y manquait qu'un million d'hommes qui ont péri pour détruire ce que vous rétablissez (1). » Bignon qui rapporte ce mot, ajoute que l'on a tort de l'admirer, parce qu'il est faux. Il n'est pas aussi faux que le prétend l'historien français. Les détails dans lesquels nous sommes entré sur la haine que les révolutionnaires portaient au catholicisme, attestent que la Révolution avait la volonté bien arrêtée de détruire la vieille religion. Cette haine existait encore en 1801. Nous en avons des témoignages qui ne laissent aucune doute. Tous les corps constitués, le conseil d'État, le Corps législatif, le Tribunat étaient remplis des partisans de la Révolution, et on ne dira pas que ceux qui presque tous se rallièrent à Napoléon, étaient des hommes de 93. Eh bien, le projet de concordat éprouva une opposition unanime. Une froideur silencieuse, dit Portalis, accueillit, dans le conseil d'État, la communication que lui fit le premier consul du traité qu'il venait de signer; c'était cependant dans le sein de cette compagnie que Napoléon comptait les partisans les plus dévoués. Ce fut bien pis au Corps législatif; il protesta contre la restauration du culte catholique, en portant à la présidence Dupuis, l'écrivain plus connu que lu, qui démontre à sa façon, que le christianisme est une fable basée sur des faits. astronomiques. C'était l'esprit de Voltaire qui s'insurgeait contre

(1) Bignon, Histoire de France depuis le 18 brumaire, chap. xI,

l'infâme dont on relevait les autels. Napoléon, qui osait déjà beaucoup, n'osa point présenter le concordat isolé au Corps législatif; il le fit accompagner des lois organiques, dont l'esprit, décidément gallican, devait lui concilier les suffrages de ceux qui redoutaient le catholicisme romain. Au Tribunat, il y eut un véritable soulèvement contre la restauration catholique; il fallut un nouveau coup d'État pour briser sa résistance, en le mutilant (1).

Qui était le vrai organe de l'opinion publique, Napoléon, ou le conseil d'État, le Corps législatif et le Tribunat? Nous avons dit ailleurs que le premier consul aussi bien que l'empereur était l'homme du passé, un vrai contre-révolutionnaire, si l'on entend par Révolution les idées de 89. Il restaura la vieille Église en 1801, comme il restaura la royauté en 1804. Le vrai esprit de la Révolution se trouvait donc dans les camps et dans les corps constitués; c'était l'esprit du dix-huitième siècle, la haine du catholicisme. Pour être juste, il faut ajouter que cet esprit n'était pas celui de la France. Il importe de le constater. Portalis, dans son discours au Corps législatif, cite les délibérations des conseils généraux des départements, échos fidèles des sentiments et des vœux du peuple. Dans certaines provinces, « on tenait au culte catholique presque autant qu'à la vie. » Partout «< les habitants des campagnes aimaient leur religion, ils regrettaient les dimanches et les fêtes; les temples étaient pour eux des lieux de rassemblement où les affaires, le besoin de se voir, de s'aimer, réunissaient toutes les familles, et entretenaient la paix et l'harmonie. » L'aveu est naïf: on regrettait le culte, comme une vieille habitude, pour le moins autant que par foi. Mais ces habitudes mêmes étaient respectables. Le préfet de la Manche écrit : « Ceux qui critiquent le rétablissement des cultes, ne connaissent que Paris; ils ignorent que le reste de la population le désire et en a besoin. Je puis assurer que l'attente de l'organisation religieuse a fait beaucoup de bien dans mon département. » Dans l'ancienne Belgique, les vœux étaient encore plus ardents. Le préfet de Jemmapes assure << que tous les bons citoyens, les respectables pères de famille, soupiraient après la restauration du culte (2). »>

(1) Portalis, Discours et Rapports sur le concordat, introduction par le vicomte Portalis, pag. 411.

(2) Idem, ibid., pag. 36-38.

A Paris, au contraire, et partout où régnaient les idées de la Révolution et les passions du dix-huitième siècle, la restauration du culte catholique rencontra une vive répulsion. C'était dédain, autant que colère. On méprisait les cérémonies du culte comme une mauvaise farce. Ces sentiments n'étaient pas ceux de quelques voltairiens; la masse de la population les partageait. Cela est si vrai que, lorsque le légat du pape vint à Paris, le gouvernement le fit entrer de nuit, comme une marchandise de contrebande. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est le commentaire que l'abbé de Pradt fait sur cette prudente conduite du premier consul: «< Si un seul rire eût donné le signal, dit-il, nous courions le risque de tomber dans le rire inextinguible des dieux d'Homère. Fouché (le ministre de la police) veilla à ce que Paris gardât son sérieux (1). »

Voilà une restauration religieuse vraiment édifiante! Est-ce que, au moins, le gouvernement qui y présida, poursuivait un but religieux? Avant d'apprécier l'œuvre de Napoléon, louée, autant que blâmée, il faut entendre les motifs du concordat que Portalis dé,veloppa devant le Corps législatif.

II

Les révolutionnaires, les disciples du dix-huitième siècle, répudiaient le catholicisme comme un amas de superstitions: Le monde, disaient-ils, est assez avancé pour renoncer à ces antiques préjugés. A cette banale objection, la réponse était facile. La foi est un besoin de l'homme; on ne peut pas plus l'empêcher de croire, qu'on ne peut l'empêcher de penser. Puisque l'immense majorité de la nation restait attachée au catholicisme, n'était-il pas aussi légitime que prudent de donner satisfaction à ses vœux? C'était ranimer les superstitions, disaient les voltairiens. Portalis leur répond que mieux vaut une croyance positive que l'absence de toute foi. On fermera en vain les temples; si les hommes ne peuvent plus prier dans les églises, ils ne cesseront point d'être croyants, et ils deviendront de plus crédules, su

(1) De Pradt, les Quatre Concordats, t. II, 212.

perstitieux et fanatiques. Veut-on remplacer la religion par l'irréligion? Qu'on y prenne garde, dit Portalis : « l'esprit d'irréligion, transformé en système politique est plus près de la barbarie qu'on ne pense (1). »

Il y a une objection plus sérieuse contre le catholicisme. Tous les philosophes, tous les écrivains politiques lui reprochent d'être inalliable avec la souveraineté civile; et l'histoire de la cour de Rome confirme à chaque page la vérité de cette accusation. Portalis y trouve une réponse péremptoire, dans les doctrines gallicanes. Ce n'est point le catholicisme ultramontain que Napoléon entendait restaurer, c'est le catholicisme de Bossuet. Les lois organiques consacrent les libertés de l'Église gallicane, avec une rigueur devant laquelle Bossuet eût peut-être reculé. Portalis fit plus; il combattit ouvertement, et avec une vivacité extrême, les maximes favorites des ultramontains. Aujourd'hui que l'Église entière menace de devenir ultramontaine, il n'est pas sans intérêt d'entendre un sincère catholique, un homme à qui nos réactionnaires mêmes sont obligés de rendre hommage, d'entendre Portalis condamner l'ultramontanisme, non seulement comme doctrine politique, mais même comme doctrine religieuse.

L'infaillibilité du pape est la base la plus solide de l'ultramontanisme. Portalis la repousse avec tous les gallicans. Il dit que c'est une prérogative nouvelle que l'on a voulu attribuer aux souverains pontifes, prérogative absurde et contraire à la tranquillité et à la conservation des États. « L'opinion du pouvoir du pape sur le temporel des rois, et celle de son infaillibilité sont deux opinions parallèles, enfantées par l'ambition pour s'étayer mutuellement. Car, comme disait Talon en 1665, se trouve-t-il aucun auteur ultramontain, qui, après avoir établi ce faux principe de l'infaillibilité du pape, n'en tire en même temps cette périlleuse conséquence, qu'il peut en certains cas prendre connaissance de ce qui concerne le gouvernement des États et la conduite des souverains?... En effet, si l'on pouvait persuader aux hommes que le chef d'une société ecclésiastique qui s'étend par toute la terre ne peut se tromper, il serait bientôt le souverain de l'univers...

(1) Portalis, Discours et Rapports sur le concordat, pag. 9, 15.

C'est ce qui faisait dire au rapporteur de la célèbre assemblée du clergé de 1682, qu'avec l'opinion de l'infaillibilité des papes, on ne pourrait être Français ni même chrétien. » Portalis ajoute que la doctrine de l'infaillibilité, donnant au pape un pouvoir au moins indirect sur le temporel, renverse les fondements mêmes de la société; il en conclut qu'avec cette croyance non seulement on ne peut être Français, mais qu'on ne pourrait être citoyen dans aucune partie du monde (1).

Portalis ne se doutait pas que la doctrine qu'il flétrit avec tant d'énergie, deviendrait celle du clergé français, et presque de toute l'Église catholique. Le gallicanisme a succombé sous les attaques des ultramontains. Preuve que les lois organiques n'étaient pas une garantie suffisante contre les envahissements de la cour de Rome. Elles eussent suffi, si elles avaient reçu une exécution sérieuse. Mais la force a manqué aux gouvernements qui se sont succédé en France; il s'en est trouvé qui avaient intérêt à ménager le clergé, à lui faire la cour. Enfin la tendance des idées religieuses est favorable à l'unité absolue de l'Église romaine; et contre ce courant, les lois sont une digue impuissante. Il reste donc vrai de dire que les adversaires du catholicisme avaient raison contre Portalis. Le catholicisme est envahissant de sa nature, ambitieux par essence. Et son ambition le mettra toujours en conflit avec l'État, avec la souveraineté civile. La guerre est éternelle, elle ne finira qu'avec la ruine de l'Église, ou avec la transformation du christianisme traditionnel.

Les révolutionnaires avaient un autre grief contre la religion catholique; ils lui reprochaient d'être l'alliée du despotisme, et l'ennemie mortelle de toute liberté. Il n'est guère question de cette accusation dans les discours de Portalis. La liberté n'était plus en faveur sous le consulat. L'orateur du gouvernement se borne à reproduire l'objection banale que le catholicisme est la religion des monarchies, et qu'il ne saurait convenir aux républiques. Portalis répond que les démocraties de la Suisse et toutes les républiques d'Italie suivent la confession romaine. La réponse est faible; car la remarque, qui est de Montesquieu, implique encore autre chose que l'incompatibilité avec une certaine

(1) Portalis, Discours et Rapports sur le concordat, pag. 46.

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