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gieuses? Nous pensions que la démocratie était le règne du droit; or, qui dit droit, dit liberté. Les démocrates n'ont raison qu'en une chose, c'est que la liberté ne doit point être une duperie; et dans la bouche de l'Église, elle est une sanglante dérision. Sous le nom de liberté, elle veut ressaisir la domination qui lui a échappé; car être libre a toujours voulu dire pour l'Église, qu'elle entend régner, directement ou indirectement. Il faut donc veiller à ce que la liberté ne devienne pas une arme pour tuer la liberté; car que serait la liberté, si l'Église était maîtresse? La liberté de penser ne serait plus qu'un vain mot, et la liberté politique une hypocrisie. Mais faut-il pour cela que le législateur abolisse le catholicisme, comme les empereurs chrétiens abolirent le paganisme? Que l'État sauvegarde ses droits en face de l'Église ; qu'il l'empêche de s'emparer du monopole de l'enseignement, sous l'ombre de liberté; qu'il l'empêche de ressusciter les couvents, sous prétexte de liberté; puis que l'avenir religieux de l'humanité soit abandonné à la libre discussion, nous ne craignons point le résultat de cette lutte pacifique. Que les libres penseurs se gardent d'appeler la violence à leur aide! Quand même le moyen serait légitime, quand même on voudrait y voir des représailles justifiées par la longue tyrannie de l'Église, nous disons que le moyen serait très mal choisi et qu'il irait directement contre le but que l'on a en vue.

Il nous semble que l'expérience faite pendant la Révolution est décisive. On se plaint qu'elle n'ait pas eu recours à la force. Il est vrai que l'Assemblée constituante resta dans les strictes limites du droit; nous avons prouvé dans notre Étude sur l'Église et l'État que les accusations des ultramontains sont de vaines clameurs. C'est la résistance du clergé, c'est la provocation à la révolte, c'est la complicité de l'épiscopat dans la contre-révolution, enfin c'est la guerre de la Vendée qui poussèrent l'Assemblée législative et la Convention à sévir contre les prêtres réfractaires. La violence légale ne manqua donc point. Ajoutez-y la violence illégale qui se fit par les représentants en mission dans les départements. S'il y a un reproche à adresser à la Révolution, c'est d'avoir abandonné le terrain du droit, pour celui de la force. Et quel en fut le résultat? Nous allons entendre le témoignage d'écrivains catholiques. L'abbé Barruel fut contemporain de la persécution

dirigée contre le clergé; il avait vu les hauts prélats avant 89, il les vit après leur émigration. Nous lui laissons la parole:

<< En s'appesantissant sur le clergé catholique, la main de Dieu avait de grands relâchements, de vrais désordres à punir... La persécution, en ajoutant au zèle des fervents, appela au repentir ceux qui avaient la foi du sacerdoce, sans en avoir les mœurs; et la grâce opéra des changements qui tenaient du prodige. Des prélats qui naguère étalaient le luxe des laïques, humilièrent leur tête sous le joug de la simplicité évangélique. Des hommes qui avaient recherché les richesses de l'Église, s'honorèrent d'être devenus pauvres pour la cause de Dieu. Des prêtres qui aimaient à partager les joies du monde, embrassèrent la pénitence; la croix de Jésus-Christ réduite à elle seule, et sans tout ce mélange du culte de la cour et du culte de la foi, leur semblait plus glorieuse... « Je le vois bien, disait un de ces hommes, dans lequel nous avions vu d'abord un riche du siècle plutôt qu'un apôtre de l'Église, «< je le vois bien, du faste des grandeurs et du sein des richesses, notre Dieu nous rappelle aux vertus, aux combats, au dénûment des premiers siècles; il faut y préparer notre âme par la retraite et la méditation. >>

« Ces dispositions, continue Barruel, devenues à peu près générales parmi les ecclésiastiques non assermentés, avaient fait d'eux des hommes tout nouveaux. Leur vie était infiniment plus regulière. On les voyait courir avec les évêques à ces retraites spirituelles, où ils puisaient dans la prière, le jeûne et la pénitence, la force d'en haut qui pouvait seule les soutenir, et leur donner la nouvelle vie à laquelle le ciel les appelait. Dans les fléaux tombant sur leur patrie, ils voyaient ou la main du Père céleste châtiant des enfants qu'il aime encore, qu'il veut rendre meilleurs, ou ces arrêts terribles qui arrachent la foi aux nations qui en abusent. Ils y voyaient la France ou convertie ou réprouvée. Ils conjuraient leur Dieu de ne pas détourner pour toujours ses bénédictions; et leur vie épurée et leur constance dans la foi de leurs pères semblaient le premier gage d'une providence qui punissait la France, mais ne la rejetait pas ; qui voulait la laver de ses iniquités, vivifier sa foi, et non la livrer pour toujours aux démons de l'hérésie, du schisme et de l'impiété (1). »

(1) Barruel, Histoire du clergé pendant la révolution française, pag. 103.

Le tableau est poétisé; pour mieux dire, c'est un homme de foi qui suppose la même foi chez tous les ministres de Dieu. Mais il est certain que ceux qui conservaient une étincelle de christianisme, devaient éprouver les sentiments décrits par l'abbé Barruel. Ils sont trop naturels pour n'être point l'expression de la réalité. Un autre abbé, homme de génie, Lamennais, dans le dernier ouvrage qu'il écrivit comme croyant, voit dans la Révolution et dans ses excès un événement providentiel destiné à sauver la religion. Il faut tenir compte de cette appréciation, ne fût-ce que pour guérir les démocrates de leur velléité de violence : « Une mort prochaine, totale, menaçait le catholicisme. Dieu eut pitié de la France; il ouvrit les trésors de sa miséricorde et envoya la Révolution. On n'en a vu que le côté terrible; on en devait voir encore les salutaires conséquences. Sans elle, où en serions-nous? Il ne fallait rien moins que cette tempête pour balayer les vapeurs mortelles qui couvraient la société infecte et stagnante... La Révolution donna au catholicisme comme une seconde naissance. Après les désastres et les crimes des sanglantes années de la terreur, la foi se retrouva vivante sur les débris dispersés de l'autel... Pauvre désormais et en butte aux persécutions du pouvoir, le clergé avait recouvré sur l'échafaud et dans les cachots son caractère originel, ses vertus, son zèle, tout ce qui fait sa force. Ceux qui l'ont vu, le peuvent dire : c'était une touchante pompe qu'un lambeau de soutane jeté sur les cicatrices du confesseur, et de puissantes paroles que les paroles de paix qui sortaient de sa poitrine altérée par l'air des prisons... Jamais les croyants ne furent plus nombreux, jamais leur foi ne fut plus profonde et plus simple (1)... >>

Nous ne croyons pas que la Révolution ait sauvé le catholicisme. La décadence n'était pas uniquement dans le clergé, dans les abus de l'Église, elle était dans la religion. Une foi datant de dix-huit siècles ne pouvait convenir à des hommes qui n'avaient plus ni les sentiments, ni les idées, ni les besoins des contemporains de Jésus-Christ, à des hommes qui avaient des aspirations de liberté, de vie politique, que les disciples du Christ, et Jésus lui-même, ne soupçonnaient point. Il y avait un abîme entre la re

(1) Lamennais, Affaires de Rome.

ligion et la société, que la Révolution ne pouvait pas combler. Il faut pour cela une rénovation religieuse, une transformation du christianisme traditionnel. Mais il est certain que les excès de la Révolution, les orgies de 93, dégoûtèrent plus d'un incrédule de la doctrine des philosophes. Il est certain encore que la persécution donne une force nouvelle aux religions qui conservent un germe de vie. C'est dire que la violence sauverait le catholicisme, s'il pouvait être sauvé. Que les démocrates y pensent à deux fois avant d'imiter les empereurs chrétiens. Le paganisme était mort; il s'agissait seulement de l'enterrer. Le christianisme n'est point mort; il peut se transformer, et il se transformera. C'est à cette œuvre que la démocratie intelligente doit prêter son appui, et non à une œuvre de destruction.

Le conflit entre la Révolution et l'Église eut encore un autre résultat bien plus funeste. On pourrait s'applaudir avec Lamennais de la seconde naissance du catholicisme, si réellement le sentiment religieux y avait gagné, car mieux vaudrait un clergé croyant que les abbés et les évêques incrédules du dix-huitième siècle. Mais la médaille a un revers. Quel est le catholicisme qui prévalut, grâce à la réaction? Jusqu'en 89, l'Église de France était tout entière attachée au gallicanisme. Or, quelles que soient les contradictions des gallicans, il faut avouer que leur doctrine est la seule qui se concilie avec la souveraineté de l'État; il faut avouer encore qu'elle a quelque chose de plus libre, de plus progressif que l'ultramontanisme. Dès que les décrets de l'Assemblée nationale parurent, le clergé opposant se rapprocha de Rome. Cela était dans la force des choses. La papauté fut la première à protester contre les principes de 89, et à accuser l'Assemblée nationale d'usurpation. Les intérêts étant les mêmes, l'alliance était naturelle; le clergé réfractaire chercha dans le saint-siége un appui contre les envahissements de la Révolution. Telle fut la cause première de l'invasion des idées ultramontaines dans la patrie de Bossuet.

Le gallicanisme se maintint dans le sein de l'Église constitutionnelle, mais il succomba avec elle. Vainement Napoléon donna l'appui de son autorité aux opinions gallicanes; le clergé accepta, il est vrai, les lois organiques, sans murmurer; que dis-je? il salua de ses acclamations le restaurateur des autels, il compara

le premier consul à Constantin, à Théodose. Mais cela ne l'empêcha point de prendre quelques années plus tard parti pour le pape contre Napoléon. Sous la restauration, le gallicanisme regagna quelque faveur; puis de nouvelles révolutions, en alarmant le clergé sur l'existence même de l'Église et du catholicisme, le jetèrent dans les bras de Rome. Aujourd'hui c'est l'ultramontanisme qui domine en France. Or, l'ultramontanisme est de toutes les doctrines religieuses, celle qui est le plus inalliable avec la liberté des individus et avec l'indépendance de l'État; organe d'une croyance immuable, l'Église de Rome combat toutes les idées modernes. Un clergé ultramontain est l'ennemi né de la société, telle qu'elle est sortie de la tourmente révolutionnaire.

Voilà ce que la Révolution gagna à la violence. Aussi souvent que l'on aura recours à la force pour extirper le catholicisme, on aboutira au même résultat. Cela est plus que naturel, cela est inévitable, fatal. Le catholicisme attaqué, menacé dans son existence, cherche son salut dans l'unité la plus absolue. Il concentre tous ses efforts pour se défendre, puis pour ressaisir la domination de la société; on sait qu'il a réussi, au delà de toute attente. Ainsi non seulement la violence manque son but, mais elle donne une nouvelle vie à l'adversaire qu'elle veut abattre. En définitive, la Révolution nous donne ce grave enseignement, que la violence est impuissante contre les croyances religieuses. La religion n'est pas une institution arbitraire qu'une loi crée, qu'une loi peut abolir; elle est un besoin de la nature humaine. C'est donc une entreprise insensée que de vouloir la ruiner. S'il y a une religion qui soit un danger pour la liberté, qui soit en opposition avec les progrès de la civilisation, il faut employer tous les moyens légitimes pour l'empêcher d'exercer son funeste empire; il faut répandre les lumières à flots. La vérité finira par l'emporter sur l'erreur.

§ 2. Le concordat.

I

Le concordat rétablit le catholicisme orthodoxe, et mit fin à l'Église constitutionnelle, ainsi qu'au culte décadaire et à la reli

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