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rente, selon qu'un chrétien la donnera ou un philosophe. Cependant les théophilanthropes s'imaginaient que leur morale était identique avec le christianisme primitif : « Si l'on s'en tient à l'enseignement du Christ, dit un de leurs prédicateurs (1), il n'y a aucune différence. » Il a raison, si l'on se borne à l'écorce des choses. Jésus-Christ dit et il répète que l'amour de Dieu et l'amour des hommes sont les deux commandements qui. constituent toute la loi, toute la perfection; tels sont aussi les commandements de la théophilanthropie, comme le nom même l'exprime. Mais reste à savoir ce que cela veut dire, aimer Dieu, aimer les hommes. Les théophilanthropes aimaient-ils Dieu et les hommes, à la façon des premiers chrétiens, qui vendaient tout ce qu'ils avaient pour le distribuer aux pauvres? Évidemment non! Aimaient-ils Dieu et les hommes à la façon des solitaires de la Thébaïde? Encore une fois non! Aimaient-ils Dieu et les hommes, comme les moines, qui pratiquaient les conseils de l'Évangile? Toujours non! Et ils n'aimaient pas davantage Dieu et les hommes à la manière des Pères de l'Église qui prêchent l'intolérance et la contrainte, par charité. Les inquisiteurs qui envoyaient les hérétiques au bûcher étaient aussi animés de l'amour des hommes. Qu'en pensaient les théophilanthropes? Quand il y a tant de manière d'aimer Dieu et le prochain, ils auraient dû dire quelle était la leur. Ils le disent à la vérité; mais en se mettant en contradiction avec eux-mêmes.

La charité des théophilanthropes est en réalité celle des philosophes du dix-huitième siècle; c'est l'amour de l'humanité, abstraction faite de toute confession religieuse (2). Écoutons un prédicateur de la secte; il combat l'étroitesse de l'amour que les chrétiens ont pour les hommes : « Quoi! disent-ils, accoutumés qu'ils sont à ne voir des frères que dans ceux qui pensent comme eux; faut-il aimer ceux qui outragent chaque jour la Divinité par les hommages criminels et insensés qu'ils lui rendent? Oui, trop aveugles partisans de ces opinions religieuses; écoutez les grands principes de la raison universelle. La terre n'est la patrie, ni du chrétien, ni du mahométan, c'est celle de l'homme; c'est à l'homme que Dieu l'a donnée; il ne refuse à aucune secte, ni la lumière des

(1) Dubroca, Discours sur l'anniversaire de la théophilanthropie, Paris, an VI, pag. 10. (2) Parent, Discours sur l'amour de nos semblables, pag. 3.

astres, ni les influences du ciel, ni la fécondité du sol. Ce monde est sans contredit le royaume de Dieu, mais il n'est pas celui de Mahomet, ni celui du Christ. De quel droit vous croiriez-vous donc les privilégiés du ciel? La différence de culte ne peut rompre les liens de la fraternité universelle; les haines de religion sont du fanatisme et non de la vertu (1). »

Ces sentiments appartiennent à la philosophie du dix-huitième siècle, ce n'est pas la charité des chrétiens; car aussi haut que l'on remonte dans l'histoire du christianisme, on trouve l'esprit exclusif de la foi qui vicie la charité; on en trouve le germe jusque dans l'Évangile. Il fallait donc répudier le passé, au lieu de s'identifier avec lui. Les théophilanthropes, s'ils s'étaient rendu compte de leurs idées, se seraient aperçus qu'ils différaient du tout au tout d'avec la manière de penser des premiers chrétiens et de Jésus-Christ lui-même, si l'Évangile est l'expression exacte de sa doctrine. Qu'est-ce qui caractérise les conseils de perfection qu'il donne à ses disciples? Un spiritualisme exalté, excessif à ce point, que si les chrétiens l'avaient pris au sérieux, il y a longtemps que le genre humain n'existerait plus. En effet, le monde peut-il exister sans mariage, sans propriété, sans commerce, sans industrie? Eh bien, le Christ a prêché le célibat par son exemple et par ses préceptes, il a prêché l'abdication de la propriété, il a maudit les richesses et l'esprit de lucre. Que l'on essaie de construire une société avec des sentiments pareils!

Le spiritualisme évangélique est si étranger à nos mœurs que les chrétiens eux-mêmes ne le comprennent plus. Il ne faut donc pas s'étonner si les théophilanthropes qui se croyaient chrétiens, du moins pour la morale, célèbrent ce que l'Évangile réprouve. On lit dans un discours de Dubroca, le prédicateur habituel de la secte, un magnifique éloge du commerce : « C'est par lui que d'un bout du monde à l'autre les peuples fraternisent, que les connaissances se communiquent, que les intérêts se réunissent. Que deviendraient les liens de la fraternité universelle, si chaque peuple se contentait des richesses qu'il a? Chaque nation vivrait dans l'isolement, et toutes les sources de la bienveillance universelle seraient à la fois taries. Mais d'après l'ordre établi par la sagesse

(1) Dubroca, Discours de morale, pag. 106-108.

éternelle qui a voulu qu'une portion des hommes eût besoin de l'autre, toutes les voies de la bienveillance universelle se rouvrent. Alors les sociétés comprennent qu'elles sont sœurs, comme les hommes sont frères (1). »

Cela est très juste; mais les Pères de l'Église ne parlent pas ainsi, et tel n'était certes pas l'idéal de l'Évangile. Les théophilanthropes n'étaient donc pas des chrétiens. Ils étaient des novateurs, des enfants du dix-huitième siècle, qui essayaient de réaliser la doctrine de leurs maîtres, les philosophes. Pourquoi n'eurent-ils pas le courage d'arborer leur drapeau? C'était, il faut l'avouer, impuissance. Leur inspiration n'était pas assez forte pour fonder une religion. Hommes médiocres, ils sentaient d'instinct qu'ils n'étaient pas à la hauteur de leur entreprise. Est-ce à dire qu'il faille les poursuivre par le ridicule, en y ajoutant encore la calomnie, comme font les catholiques? La théophilanthropie est, au contraire, un des faits les plus remarquables de la Révolution. C'est un signe des temps, et il faut être aveugle, comme le sont les partisans du passé, pour ne pas l'apercevoir. Les théophilanthropes éprouvaient le besoin d'une religion nouvelle, qui unît les hommes divisés. Nous avons dit qu'ils considéraient surtout la religion comme le lien nécessaire de la société, et comme une consolation pour ceux qui souffrent. Il faut dire plus. Il y avait chez eux legerme du sentiment religieux. «Dieu, disaient-ils, n'a pas besoin de notre culte, mais nous avons besoin de lui en rendre un. » Ils se réunissaient les jours consacrés au repos pour célébrer un culte, aussi simple que leur dogme : quelques inscriptions morales, un autel sur lequel ils déposaient, en signe de reconnaissance pour les bienfaits du Créateur, quelques fleurs ou quelques fruits, des lectures ou des discours moraux : tel était tout leur cérémonial. « Ce culte, dit leur catéchisme, en nous réunissant de temps en temps avec nos frères, pour adorer Dieu et pour nous encourager au bien, nous rappelle à des sentiments de respect pour la Divinité, de bienveillance pour nos semblables, à la pratique de nos devoirs, et fortifie dans notre âme l'amour de la vertu et l'horreur du vice (2). »

(1) Dubroca, Discours de morale, pag. 114.

(2) Manuel du théophilanthrope, dans le Code de Chemin, pag. 20, 59.

Nous avons dit que les théophilanthropes ne comprenaient pas l'importance des dogmes; mais il y a une autre face de la religion dont ils avaient un instinct très juste. Écoutons Larevellère : << La religion, dit-il, est surtout un sentiment du cœur. C'est du cœur que jaillit la source de la morale. C'est par le sentiment beaucoup plus que par la raison, que l'homme se dévoue au bonheur de ses semblables. » Cela est vrai, mais cela ne suffit point. Le sentiment seul conduit à la vague religiosité de Rousseau, et laisse l'homme sans guide et sans appui dans la tourmente des passions. La vie de Rousseau est un triste témoignage de l'inanité du sentiment abandonné à lui-même. Et la théophilanthropie nous donne le même enseignement comme religion. Si l'on veut un culte, il faut aussi vouloir une doctrine religieuse.

Cette leçon est à l'adresse des hommes de l'avenir. Les hommes du passé peuvent aussi puiser un enseignement dans les essais de religion naturelle qui se firent pendant la Révolution. Ils échouérent. Le catholicisme doit-il triompher de leur chute? Ce serait un triste triomphe, car s'il fallait en conclure qu'il n'y a point d'autre religion possible que le catholicisme, on arriverait à cette désolante conclusion que l'humanité avance vers une époque où il n'y aura plus de religion sur la terre. Il faut que le christianisme traditionnel se transforme, ou il périra. Voilà une autre leçon que nous donne l'histoire religieuse de la Révolution. Les sentiments hostiles au catholicisme qui la provoquèrent ne sont point éteints; ils s'étendent avec le progrès naturel et inévitable de la raison. Si on ne leur donne point satisfaction, ils briseront l'Église tout ensemble et la religion du passé.

CHAPITRE III

CONCLUSION

1. La réaction catholique

En 93, on croyait que le catholicisme était décidément mort. Madame Roland, écrivant ses Mémoires au pied de l'échafaud, crut devoir expliquer à ses lecteurs ce que c'était que l'enseignement du catéchisme : « Au train dont vont les choses, dit-elle, ceux qui liront ce passage, demanderont peut-être ce que c'était que cela; je vais le leur apprendre (1). » En 1800, un homme dont le témoignage n'est point suspect, écrit : « Une réaction religieuse bien marquée caractérise cette première année du dix-neuvième siècle. » Sylvain Maréchal ajoute en note: « Ce mot est d'autant mieux placé ici, que les personnes des deux sexes qui affichent en ce moment le plus saint zèle pour la maison du Seigneur, étaient notées naguère par une conduite tout au moins profane (2). >>

Il y a un grand enseignement dans ce fait. Les démocrates prêchent de nos jours la violence contre le catholicisme, ils reprochent aux révolutionnaires leurs ménagements pour les vieilles superstitions, ils invoquent contre l'Église l'arme dont elle s'est servie contre le paganisme, la force sous forme de loi (3). Faut-il relever ce qu'il y a de contradictoire et d'absurde de la part des démocrates, à faire appel à la violence contre des croyances reli

(1) Madame Roland, Mémoires, t. I, pag. 9. (Collection de Barrière.)

(2) Sylvain Maréchal, Pour et Contre la Bible, pag. xix.

(3) Quinet, Marnix de Sainte Aldegonde, préface.

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