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pas le pouvoir de bien faire: tu me l'as donné ce pouvoir, et, avec lui, la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le choisir. Je n'aurais donc pas d'excuse, si je faisais le mal. Je prends devant toi la résolution de n'user de ma liberté que pour faire le bien, quelques attraits que le mal paraisse me présenter. » Voilà l'engagement d'une âme religieuse; mais qui n'en prend de pareils, et qui ne les viole? Nous aimons le bien, et nous faisons le mal. Nous avons le pouvoir de faire le bien, mais nous avons aussi le pouvoir de faire le mal, et ce sont nos mauvaises passions qui l'emportent. Ne devons-nous pas demander à Dieu son appui pour faire le bien? Les théophilanthropes ne le faisaient point, parce qu'ils ne voulaient pas du dogme de la grâce. Ils avaient raison de le répudier, tel que les chrétiens le conçoivent, comme une faveur exclusive que Dieu accorde aux prédestinés, car cette croyance est un outrage à la Divinité. Mais de ce que la grâce des chrétiens est fausse, faut-il conclure qu'il n'y a point de lien entre le Créateur et la créature, autre que celui de la création? Les théophilanthropes eux-mêmes ne le croyaient pas, nous venons d'en faire la remarque. Si Dieu se manifeste dans le mal qui nous frappe, ce mal même n'est-il pas une grâce, dans le sens théologique, une peine tout ensemble et une excitation au bien? Les théophilanthropes ne poussèrent pas leur principe plus loin, parce qu'ils répudiaient systématiquement toute théologie. C'était l'esprit du dix-huitième siècle, suite de la réaction contre les absurdités du catholicisme. Les théophilanthropes étaient trop près de la philosophie, pour qu'ils pussent s'affranchir de son influence. C'est la cause de leur faiblesse. Les philosophes du dernier siècle n'avaient pas pour mission de fonder une religion nouvelle, mais de démolir l'ancienne, et de déblayer le terrain pour des successeurs qui, plus heureux qu'eux, seront appelés à édifier. Ce temps n'était point venu, quand les théophilanthropes essayèrent de formuler la doctrine de leurs maîtres et d'en faire un culte.

Eux-mêmes n'avaient pas confiance dans leur œuvre, et n'osaient pas avouer le but vers lequel ils tendaient. S'ils se défendaient d'être une secte, c'est qu'en réalité ils n'avaient pas conscience de ce qui fait l'essence de la religion. Le fameux vers de Voltaire : Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer, implique que

pour lui la religion était une question d'utilité plus qu'un besoin de l'âme. Tel est aussi le sentiment des théophilanthropes. Ils ont des prédicateurs, des moralistes, mais aucun d'eux n'a de ces élans de l'âme vers l'infini que l'on trouve chez les hommes pour qui la religion est une nécessité de la vie. Chemin, le seul docteur de la secte, dit en tête de son Code de religion et de morale: « Les principes religieux ne peuvent qu'être utiles et jamais dangereux. Cette idée est développée dans l'Année religieuse des théophilanthropes qui est comme la théologie des adorateurs de Dieu. Nous citerons quelques traits du chapitre intitulé Religion (1):

<< La religion est nécessaire aux mortels : c'est une vérité sentie par les législateurs de tous les peuples, de tous les âges. Elle leur est nécessaire, non pas seulement pour les contenir lorsqu'ils sont loin des regards de la loi, mais pour les exciter à la pratique constante de la loi, pour leur en rendre les devoirs plus aisés à remplir et les charges moins onéreuses... La religion est le principal et le plus ferme ciment de la société. Otez la religion; sur quelle base solide établirez-vous la vertu et le bonheur des peuples? Qui garantira la société de la licence et de l'insubordination? qui maintiendra l'inviolabilité des lois, quand il n'y aura plus de frein qui commande aux passions?... Les opinions religieuses influent également sur l'homme et sur la société. De combien de douceur n'est pas privé celui à qui la religion manque? quel sentiment peut le consoler dans ses peines? quel spectateur anime les bonnes actions qu'il fait en secret? quelle voix peut parler au fond de son cœur? quel prix peut-il attendre de sa vertu? comment doit-il envisager la mort? Le triomphe de la religion, c'est de consoler l'homme dans ses malheurs. >>

Ainsi la religion est un supplément indispensable de la législation. Si donc la société était si bien organisée, que les lois fussent toujours obéies, elle pourrait à la rigueur se passer de religion! La religion est encore une consolation pour le malheureux. Donc elle est inutile aux heureux de ce monde! et à mesure que l'on parviendra à diminuer le nombre des déshérités, l'utilité de la religion diminuera également! Non, ce n'est point là le lan

(1) Deuxième année, pag. 8-13.

gage d'hommes qui sentent le besoin de la religion. Pour eux, il ne s'agit point d'utilité; ils ne conçoivent pas que l'homme moral vive sans foi, pas plus qu'ils ne comprennent comment l'homme physique pourrait vivre sans air. Il leur faut une foi, fussent-ils, au point de vue du vulgaire, les hommes les plus heureux du monde; et ils croiraient avilir la religion, s'ils la ravalaient jusqu'à en faire un auxiliaire du Code pénal et du Code d'instruction criminelle.

La religion vit de foi, donc il lui faut des croyances. Une religion sans dogmes est une chose aussi absurde qu'une philosophie sans principes. Tel n'était point l'avis des théophilanthropes. Nous citerons à ce sujet un passage intéressant d'un mémoire lu par Larevellière-Lépeaux à l'Institut, classe des sciences morales et politiques (1). Il n'est pas vrai que Larevellière ait été le grand pontife de la théophilanthropie, par l'excellente raison que les théophilanthropes n'avaient pas de pape, pas même de prêtres; il resta toujours étranger au culte nouveau. Mais il est vrai qu'il partageait les sentiments des adorateurs de Dieu; ces sentiments pour mieux dire, étaient ceux du dix-huitième siècle.

L'auteur demande s'il faut des dogmes et un culte religieux. Il répond oui, parce sans dogme et sans culte, il est impossible d'inculquer dans l'esprit du peuple les principes de morale, ni de la lui faire pratiquer. Larevellière admet que pour les hommes qui pensent, le culte, la CROYANCE MÊME est inutile. Mais pour la multitude, et bien des gens, dit Labruyère, en font partie qui ne s'en doutent pas, pour la multitude il faut un point d'appui, un dogme ou deux, qui servent de base à la morale, et un culte qui en dirige l'application, ou du moins qui l'y rappelle. Mais il faut que les dogmes et les rites soient d'une extrême simplicité. Pas de sacerdoce, comme corps : le prêtre ne doit être que le ministre de l'association religieuse. « Si par le plus grand des sacriléges, il se dit ministre de Dieu, la religion devient superstition, extravagance et instrument de domination. Si le culte est chargé de dogmes et de pratiques minutieuses, il rétrécit l'esprit, il dégénère en cérémonies extérieures de dévotion, au profit du prêtre, mais aux dépens de la morale. Telle est la religion romaine, de toutes les sectes chrétiennes la plus opposée aux progrès et à l'exercice de la saine morale et la plus contraire à la liberté. »

On voit d'où vient l'horreur que les théophilanthropes, ainsi que tous les sectateurs de la religion naturelle, témoignaient pour les dogmes; ils auraient voulu s'en passer complétement, de crainte d'aboutir aux excès du catholicisme. Mais en évitant un écueil, ils tombèrent dans un autre. Ils voulaient fonder une religion, et ils répudiaient ce qui fait l'essence de la religion, la foi à certaines vérités révélées par la conscience générale, sous l'inspiration de Dieu. C'était se condamner d'avance à échouer. Les théophilanthropes ont suivi à la lettre l'opinion de Larevellière : ils se contentent d'un dogme ou deux; ils croient, dit leur Manuel, à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme. Ils admettent des peines et des récompenses dans la vie future, mais sans s'expliquer sur la destinée qui nous attend: «< Comment Dieu récompense-t-il les bons, et punit-il les méchants? C'est ce que nous ne pouvons connaître dans cette vie; et nous n'avons pas besoin d'approfondir cette question, pas plus que la nature de Dieu et celle de l'âme. Ces questions sont au dessus de notre intelligence, et il nous suft de savoir, d'après la magnificence et l'ordre de l'univers, d'après le témoignage de tous les peuples, et celui de notre conscience, qu'il existe un Dieu, qu'on ne peut concevoir un Dieu sans l'idée de toutes les perfections; que par conséquent ce Dieu est bon, qu'il est juste, qu'ainsi la vertu sera récompensée, et le vice puni (1). »

Non, cela ne suffit point; car, en restant dans ces vagues généralités, l'on ne sait s'il faut croire ou non à l'enfer, au paradis et au purgatoire. Les théophilanthropes répudiaient certes ces fables du christianisme, comme faisaient leurs maîtres, les philosophes. Mais ils ne le disaient pas, ils se contentaient de les passer sous silence, en affirmant que l'homme ne peut rien savoir de la vie future. Toujours est-il que pour écarter les croyances erronées des chrétiens, les théophilanthropes devaient se faire une idée quelconque de la vie future; car ce n'est que par la vérité que l'on peut combattre l'erreur. Et il faut aux hommes une croyance positive, sinon ils n'abandonneront pas leur foi, quelque superstitieuse qu'elle soit, ou s'ils la désertent, ce sera pour tomber dans

(1) Réflexions sur le culte, sur les cérémonies civiles et sur les fêtes nationales, Paris, an V. (Pag. 1-10.)

l'incrédulité absolue. Est-il bien vrai d'ailleurs que l'homme ne peut rien savoir de la vie future? Cette vie peut-elle différer en essence de la vie présente? N'y a-t-il pas dès ce monde des expiations et des récompenses? Notre existence actuelle ne serait-elle pas la continuation et la suite d'une existence précédente? Voilà des questions auxquelles toute religion doit faire une réponse. C'est parce que la solution donnée par le christianisme traditionnel ne satisfait plus ni l'intelligence, ni l'âme que l'humanité le déserte; mais elle ne le désertera définitivement que lorsqu'une nouvelle croyance sera acceptée par la conscience générale.

III

Les théophilanthropes ne voulaient qu'un dogme ou deux; ils avaient peur de la théologie. En quoi consistait donc la religion? Dans la morale. Mais la morale n'est que l'expression d'une conception de la vie. Les théophilanthropes restant dans l'incertitude sur ce point capital, leur morale devait en souffrir. Elle est sans principes certains, empruntée de partout, aux sages de tous les temps, à Confucius, à Socrate, à Cicéron, à Fénelon. Il y a certainement des notions communes sur la règle des mœurs, dans toutes les religions, dans toutes les philosophies; mais il y a aussi des différences fondamentales. Si l'on confond tout, on aboutit à un éclectisme inintelligent, ou plutôt au syncrétisme; il est impossible que la morale de l'antiquité païenne soit identique avec celle du spiritualisme chrétien. Pour découvrir dans ces systèmes contraires, les éléments de vérité qu'ils renferment, il faut posséder une doctrine qui leur soit supérieure. Or, c'est précisément cette doctrine qui faisait défaut aux théophilanthropes. De là le vague et l'insuffisance de leur morale.

Les principes fondamentaux des théophilanthropes sont empruntés à Confucius et à l'Évangile : « Celui qui chérit ses semblables, fait aux autres tout ce qu'il voudrait qu'on lui fit. Il ne fait à personne ce qu'il ne voudrait pas qui lui fût fait. » Ces maximes tant vantées sont loin d'être une règle sûre de conduite; reste en effet à déterminer ce que chacun estime devoir faire ou ne pas faire, en ce qui le concerne; et la réponse sera bien diffé

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