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religion. Aussi, tout en disant que leur religion était la religion naturelle, et que cette religion remontait aux premiers hommes, ne voulaient-ils point passer pour une secte; ils se déclaraient institut de morale, en tête des lettres qui servaient à leur correspondance officielle (1). Loin de former une secte nouvelle, ils entendaient << réunir celles qui existaient dans un seul sentiment, celui de la piété, de la charité, de la concorde et de la tolérance (2). » Si les théophilanthropes ne font que répéter ce que toutes les sectes pensent, que viennent-ils faire, et pourquoi prêchent-ils ? << La théophilanthropie, répondent-ils, s'est établie par le mouvement spontané d'un, puis de plusieurs pères de famille; leur unique but a été de créer une institution bienfaisante, qui guérît les plaies de la Révolution, qui rapprochât les cœurs en prêchant l'indulgence mutuelle et l'oubli de tous les torts, qui ramenât toutes les sectes à la tolérance universelle, qui donnât à la morale la plus douce, la plus pure qui jamais ait été professée, une sanction à l'abri de toute critique, et qui resserrât tous les peuples par les liens d'une véritable fraternité. » Voilà pourquoi ils organisèrent leur culte et ils dirigèrent leurs exercices de manière qu'ils pussent être suivis par les sectateurs de toutes les religions; ils ne voulaient contredire ni abjurer les principes d'aucune secte, et ils ne professaient d'autres dogmes que ceux universellement adoptés par toutes les nations (3).

C'est une nouvelle erreur ou une nouvelle illusion. Comment les théophilanthropes ne voyaient-ils point qu'ils heurtaient de front toutes les sectes, par leur prétention de les réunir toutes? Ignoraient-ils que parmi ces sectes, il y en avait qui étaient absolument inalliables avec la théophilanthropie? Le seul dogme de la tolérance universelle que les théophilanthropes professaient, devait porter les catholiques à condamner une doctrine qui à leurs yeux n'était que l'indifférence universelle. Si une Église pouvait se rappocher des théophilanthropes, c'était l'Église constitutionnelle. Issue de la Révolution, proscrite à Rome, elle aurait dû, semble-t-il voir avec indulgence une religion qui invoquait les grands principes de l'Évangile, l'amour de Dieu et la charité. Mais il suffit

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 390.

(2) Chemin, Code de religion et de morale, pag. xxiv.

(3) Idem, ibid.

d'avoir une goutte de sang catholique dans les veines, pour être intolérant. L'Église constitutionnelle était orthodoxe, donc elle ne pouvait accepter la fusion de toutes les sectes que prêchaient les théophilanthropes. Un concile les frappa d'une censure solennelle. Il est intéressant d'entendre les reproches que les catholiques républicains faisaient aux adorateurs de Dieu et aux amis des hommes: << Chargés solidairement du dépôt sacré de la foi, les pasteurs doivent signaler toutes les erreurs qui en altéreraient la pureté, et prévenir les fidèles contre tout ce qui peut les égarer. Dans ces dernières années, l'incrédulité a dirigé ses attaques contre l'ensemble des vérités révélées qu'elle veut arracher du cœur des fidèles, pour leur substituer le déisme, sous le nom de théophilanthropie; elle s'efforce d'ailleurs d'introduire l'indifférentisme, en insinuant que toutes les religions sont au niveau, qu'en conséquence, on doit vivre dans celle où l'on est né, comme si la vérité n'était pas une, et que l'erreur pût jouir des mêmes droits que la vérité. »

« Le concile métropolitain se doit à lui-même de proclamer en face de l'Église universelle et de la postérité, son attachement invariable à la foi de l'Église catholique, en frappant d'anathème, les erreurs contraires à la foi. En conséquence, le concile métropolitain, considérant comme contraire à la foi toute proposition tendante à persuader que chacun peut continuer à vivre en sûreté de conscience dans sa religion, quelle qu'elle soit, cette assertion ne pouvant s'appliquer qu'à la seule véritable religion, ledit concile repousse avec horreur le déisme connu sous le nom de théophilanthropie, comme une apostasie de la foi et un renoncement à toute vérité révélée (1). »

L'Église constitutionnelle avait-elle tort de réprouver la théophilanthropie comme le fruit de l'incrédulité, comme identique avec le déisme, comme la négation de la foi révélée? Au point de vue de la vieille orthodoxie, la censure du concile gallican est parfaitement légitime. Mais aussi elle prouve pour la millième fois l'incompatibilité radicale du christianisme traditionnel et de la philosophie. Il était impossible d'être plus modestes, plus accommodants que les théophilanthropes; mais par cela seul qu'ils rejetaient le dogme qu'il n'y a point de salut sans la foi, ils étaient

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 428.

apostats. Ils étaient en effet apostats, et en dépit de leur charité et de leur tolérance universelle, ils étaient au fond hostiles au catholicisme. Comment en eût-il été autrement? Ne procédaient-ils pas du dix-huitième siècle et de la Révolution? C'est comme disciples des philosophes qu'ils professaient la religion naturelle; ils étaient donc ennemis nés de la religion révélée. Si les catholiques réprouvaient la théophilanthropie, de leur côté les théophilanthropes faisaient la guerre au catholicisme.

Nous avons sous les yeux un discours sur la différence entre la superstition et la religion naturelle, prononcé dans plusieurs temples de théophilanthropes, par un de leurs prédicateurs (1). Il va sans dire que sous le nom de superstition, l'orateur attaque la religion catholique. Il reproduit toutes les accusations que les philosophes avaient lancées contre le catholicisme. La superstition divise les hommes, elle engendre la haine, la guerre, les persécutions, l'intolérance. Faut-il demander quelle est cette superstition? Qui dit Église intolérante, nomme l'Église catholique. Notre prédicateur a des reproches plus graves à adresser au catholicisme : « C'est, dit-il, un système d'erreurs et de préjugés dont les principes primitifs sont d'interdire l'usage de la raison, de fermer les yeux à la vérité. » Que la religion catholique soit inalliable avec la liberté de penser, cela est un axiome. Le théophilanthrope va plus loin, il accuse la superstition de courber l'homme sous le joug du prêtre et les peuples sous la domination de l'Église. Cela encore est écrit sur toutes les pages de l'histoire. Les philosophes reprochaient à l'Église de vicier la morale par des commandements arbitraires qui transformaient des actions indifférentes ou même vertueuses en crimes, et qui exaltaient comme la vertu par excellence l'obéissance absolue au sacerdoce. Notre théophilanthrope dit aussi que la superstition confond la notion de la vertu et du vice. Enfin, il répète la flétrissure que la philosophie avait infligée à la révélation chrétienne, en disant qu'elle n'a pour fondement que l'imagination des enthousiastes, ou l'intérêt des fourbes. Ainsi imposture et folie, voilà le christianisme traditionnel.

(1) Laurisset.

II

Ces blasphèmes semblent donner raison à l'Église constitutionnelle. Les théophilanthropes seraient-ils donc venus prêcher l'incrédulité sous le nom de l'amour de Dieu? L'accusation est absurde. Celui qui adore Dieu, n'est pas un incrédule, sauf aux yeux des sectateurs étroits du Dieu-Homme. Voltaire lui-même n'était pas un incrédule, car il fut le défenseur ardent, convaincu de l'existence de Dieu, contre les athées et les matérialistes. Ses disciples firent un pas de plus vers la religion, car ils ne s'inspirèrent pas exclusivement de lui; les hommes de la Révolution ne procèdent point de tel ou tel philosophe, comme d'un chef de secte; ils procèdent de la philosophie et ils subirent l'influence de l'immense bouleversement qui commença en 89, et qui n'est pas encore à son terme. La théophilanthropie était plus qu'un vague déisme; c'était une religion, tandis que le déisme n'est qu'une conception philosophique. C'est une différence énorme. Les théophilanthropes vont nous dire quelles étaient leurs croyances; le lecteur jugera s'ils méritent d'être flétris comme des incrédules.

Ils s'intitulaient Institut de morale, mais leur morale était une religion. Elle était basée sur ce précepte : « Adorez Dieu, chérissez vos semblables. » Qu'entendaient-ils par adorer Dieu? « C'est, dit le Manuel des théophilanthropes (1), rendre hommage à sa puissance, à sa bonté, et le remercier de ses bienfaits; c'est ne pas murmurer des événements que nous regardons comme des malheurs, mais nous y soumettre comme à un effet de la volonté divine, et en profiter pour fortifier notre âme, pour la rendre indépendante de tout ce qui est hors de nous, pour nous accoutumer à n'attacher l'idée de bien qu'à la sagesse et à la vertu, et l'idée de mal qu'au crime. » Voilà une définition que les déistes ne signeraient point; car ils ne reconnaissent que des lois générales dont Dieu est l'auteur; ils n'admettent point l'intervention incessante de la Divinité dans le gouvernement du monde et dans la direction de nos destinées. C'est la raison pour laquelle le déisme ne pourra

(1) Chemin, Code de religion et de morale, pag. 5.

jamais devenir une religion. Les théophilanthropes, en voyant la main de Dieu dans les malheurs qui nous frappent, en disant que nous devons accepter le mal, et le tourner à notre profit, étaient sur la voie d'une doctrine bien différente et bien plus profonde, d'une doctrine qui peut devenir une religion, puisqu'elle admet un lien entre l'homme et son créateur. Nous disons que les théophilanthropes étaient dans la voie qui conduit à la vérité; mais leur inspiration ne fut pas assez puissante pour les mener jusqu'au but. Il n'en est pas moins intéressant de les suivre dans leurs efforts c'est assister au travail lent mais continu qui se fait dans la conscience générale pour élaborer les croyances de l'humanité.

Les théophilanthropes avaient des prières; voici celle qu'ils adressaient chaque matin à Dieu : « Père de la nature, je bénis tes bienfaits, je te remercie de tes dons. J'admire le bel ordre de choses que tu as établi par ta sagesse, et que tu maintiens par ta providence, et je me soumets pour toujours à cet ordre universel... Je ne t'adresserai pas d'indiscrètes prières. Tu connais les créatures sorties de tes mains; leurs besoins n'échappent pas plus à tes regards que leurs plus secrètes pensées. Je te prie seulement de redresser les erreurs des autres et les miennes; car presque tous les maux qui affligent les hommes proviennent de leurs erreurs. Plein de confiance en ta justice, en ta bonté, je me résigne à tout ce qui arrive; mon seul désir est que ta volonté soit faite. » Jusqu'ici nous sommes d'accord avec les théophilanthropes, et nous nous associons à leur prière. Quelle distance entre cette soumission complète à la volonté de Dieu, et celle que les chrétiens professent! Les catholiques acceptent aussi la volonté de Dieu, mais ils ont un moyen de la tourner à leur profit, car ils imaginent que Dieu ressemble à un prince dont on gagne la faveur, soit en le flattant personnellement, soit en se conciliant la protection de ses courtisans, ou de ses favorites.

Mais il y a une lacune dans la prière des théophilanthropes, et elle est considérable. Ils ne demandent rien à Dieu, disent-ils. Rien? pas même son appui pour faire le bien? Non. On lit dans la prière du matin que nous venons de citer (1): « Je ne te demande

(1) Manuel des théophilanthropes, dans le Code de religion de Chemin, pag. 17.

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