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dans un rapport fait au nom du comité d'instruction par Eschassériaux : « Répandre parmi le peuple les éléments de la morale républicaine, l'enflammer par le récit et le souvenir des belles actions, lui imprimer l'amour des lois, retracer sans cesse ses droits et ses devoirs; produire en lui l'énergie des passions généreuses, lui imprimer les grandes pensées de la liberté, l'attacher à la patrie par tout ce que l'instruction peut avoir de plus touchant et le plaisir de plus innocent, voilà le plan de l'institution que nous avons tracé. Chaque fête civique offrira une vertu, un bienfait de la nature, de la société ou de la révolution à célébrer. Trop longtemps l'esprit humain a été égaré et obscurci par des idées métaphysiques qu'il n'a jamais pu comprendre; il est temps de soumettre à la raison de l'homme les idées simples et les biens réels qui sont le bonheur de la société. Les premiers de tous les législateurs du monde, vous allez mettre devant lui la morale publique en action et consacrer les hommages d'un grand peuple aux vertus sociales et aux droits les plus sacrés du genre humain. >>

Les législateurs de la Révolution espéraient «< que les fêtes décadaires feraient oublier au peuple, jusqu'au souvenir des anciens rites, des cérémonies antiques, et du joug qui pesait depuis tant de siècles sur sa tête. » Quand on met ces paroles de Lequinio en regard des faits, on voit que les révolutionnaires se faisaient une singulière illusion sur leur religion civile. En apparence, elle s'est évanouie comme tant d'erreurs passagères auxquelles l'esprit humain s'abandonne dans les époques de révolution. La religion décadaire est tombée dans un oubli si complet, qu'il nous a fallu accumuler les témoignages pour démontrer que ce n'était point un rêve de Robespierre et de quelques Jacobins, mais une pensée sérieuse de la plus puissante Assemblée qui ait jamais gouverné les destinées d'un grand peuple. On peut maudire la Convention, on peut la flétrir, mais les pygmées de notre siècle ont mauvaise grâce de se moquer des Titans de 93. Quand le nain rit du géant, c'est le nain qui se ridiculise. Il faut donc apprécier sérieusement cette œuvre, quoiqu'elle ait échoué.

La religion que les conventionnels croyaient morte s'est ranimée; les hommes ont déserté les autels de l'Être suprême pour ceux du Christ. Est-ce à dire qu'il faille saluer dans le triomphe du catholicisme la victoire de la vérité sur l'erreur? Si, comme la

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raison nous l'enseigne, l'Homme-Dieu est une impossibilité absolue, une contradiction dans les termes, la réaction religieuse aura. beau condamner du haut de la vérité révélée la religion naturelle de Rousseau, et les tentatives de ses disciples pour la réaliser, cela ne prouvera point que le Christ soit Dieu. Cette simple réflexion devrait suffire pour inspirer un peu de modestie aux partisans du passé. Le fait ne décide rien en cette matière. En dépit de la réaction, en dépit de l'avortement des religions civiles, le christianisme traditionnel reste une religion fausse dans son essence; or, l'erreur, quand elle aurait pour elle l'autorité des siècles, n'en est pas moins condamnée à périr. Que si dans la religion des révolutionnaires, il y a des principes vrais, il faut dire que l'avenir leur appartient, quoiqu'ils aient succombé en apparence. Laissons donc le fait de côté, et voyons où est la vérité.

Les révolutionnaires avaient-ils tort de répudier, à la suite des philosophes, les dogmes incompréhensibles du christianisme historique? Ce qui prouve qu'ils étaient dans le vrai, c'est que la conscience moderne a également déserté la foi antique. Sauf quelques rares momies, les chrétiens eux-mêmes ne professent plus leurs dogmes que de bouche; ils sont de l'avis de la philosophie, que c'est la pratique de la vertu qui procure le salut, et non la foi. Et qu'entendent-ils par vertu? Est-ce toujours la perfection évangélique? C'est si peu l'idéal de l'Évangile, que les hommes l'ignorent; ils ne le connaissent pas plus que si la bonne nouvelle n'avait jamais été prêchée. Qu'est-ce à dire? C'est que la religion qui a été pendant des siècles une religion de l'autre monde, monde imaginaire, tend à devenir une religion du monde réel. N'est-ce pas là la religion de Rousseau et de la Convention? Le culte décadaire est donc, dans son essence, un progrès considérable sur le christianisme. Oui, la religion doit changer de nature avec nos sentiments et nos idées. Notre conception de la vie s'est modifiée; il en doit être de même de nos croyances. Nous nous intéressons à la liberté civile et politique bien plus qu'à la grâce et à la prédestination; nous tenons à l'égalité en ce monde bien plus qu'à l'égalité dans le ciel; nous estimons les vertus morales plus que les vertus théologiques. La religion qui ne tient pas compte de ces faits, qui les contrarie et les maudit, est fausse et elle doit se transformer, si elle ne veut périr. Tel est le chris

tianisme traditionnel. La religion naturelle, formulée par les révolutionnaires, donnait satisfaction à ces besoins, pour mieux dire, elle en était l'expression. A elle donc appartient l'avenir. Nous demandera-t-on pourquoi elle a succombé? Nous allons répondre à la question, en parlant de la dernière forme qu'elle revêtit, du culte des théophilanthropes:

No 3. Les théophilanthropes

I

Les fêtes décadaires eurent peu de succès; il leur manquait le caractère religieux qui, malgré les abus et les excès, caractérise le dimanche chrétien. Des municipaux en écharpe, lisant les décrets de la Convention, ou récitant une homélie républicaine, étaient d'assez mauvais remplaçants des curés. Quelle que fût l'ignorance des oints du Seigneur, ils avaient la foi; or, peut-il y avoir une religion, sans un élément quelconque de foi? Le fanatisme républicain tint lien de foi à Robespierre et à ses sectateurs. C'était une foi aussi absolue, aussi exclusive, aussi haineuse même que celle des catholiques romains. Les hommes de 93 croyaient à la liberté, à l'égalité, comme les adorateurs du Christ croyaient à sa divinité. Ils ne reconnaissaient aucun droit, pas même le droit de vivre à ceux qui repoussaient la République, de même que les fanatiques de l'ancienne religion poursuivaient jusqu'à la mort ceux qui osaient nier ce que l'Église enseigne. Si les catholiques étaient convaincus de l'infaillibilité des papes, les républicains étaient tout aussi persuadés de l'infaillibilité du peuple. De là leur intolérance; elle témoigne contre leur fanatisme, mais elle témoigne aussi pour l'ardeur de leur foi aveugle.

Cet amour fanatique de la liberté n'était partagé que par une faible minorité; la France n'était pas républicaine. Sous le Directoire, il fallut des coups d'État pour maintenir l'élément républicain au pouvoir, en attendant qu'un autre coup d'État rétablit la royauté et à sa suite le catholicisme. Malgré les efforts du gouvernement, la religion civile s'en allait, ainsi que la République. Ce fut alors que des citoyens se réunirent pour fonder sous le nom

de théophilanthropie une religion, ou un culte, qui n'était en réalité qu'une autre forme de l'idée de Robespierre et des fêtes décadaires. Il y avait cependant une différence, et elle est grande : ce n'est point la loi qui fonda la théophilanthropie; elle dut son origine première à un besoin religieux; aussi eut-elle quelque chose de plus intime, de plus religieux que les tentatives officielles de la Convention nationale.

Les catholiques aiment à ridiculiser les essais qui se font de temps à autre pour fonder un nouveau culte. Ils travestissent la théophilanthropie comme ils travestissent le saint-simonisme. On lit dans une histoire de l'Église catholique qui jouit d'une grande autorité chez les ultramontains, que ce fut Larevellière qui inventa la religion des théophilanthropes. C'est une contre-vérité; si l'abbé Rohrbacher se permet ce petit mensonge, c'est pour pouvoir ajouter que le culte nouveau était une véritable comédie, « parce que Larevellière était petit, bossu, contrefait, un véritable polichinelle ». Après avoir calomnié l'origine de la théophilanthropie, l'historien catholique ne pouvait se faire scrupule de médire de ses sectateurs : «< Comme parmi eux, dit-il, on trouvait des hommes tarés et couverts de crimes, le peuple leur donna le sobriquet de filous en troupe (1) ». Si l'on écrivait l'histoire du christianisme dans cet esprit haineux et populacier, que ne pourrait-on pas dire des crimes qui le souillent? L'abbé a-t-il oublié les faux sur lesquels repose son Église? Faut-il lui rappeler les faux miracles, les fausses prophéties, la fausse donation de Constantin, les fausses décrétales et les faux innombrables des moines? Quand on se place au point de vue de la libre pensée, le catholicisme tout entier n'est qu'une gigantesque imposture. Que si l'abbé est curieux de voir des gens tarés et couverts de crimes, il n'a qu'à lire la biographie des papes; il trouvera là des monstres comme il n'en existe pas dans nos bagnes.

Laissons là ces misérables reproches. La théophilanthropie est une religion, il faut l'apprécier par ses croyances. Quand on dit que la théophilanthropie est une religion nouvelle, on attribue à ses fondateurs une ambition qu'ils n'avaient point. Ils s'en défendaient même. On lit dans l'Instruction sur l'organisation et la célé

(1) L'abbé Rohrbacher, Histoire de l'Église catholique, t. XXVII, pag. 563.

bration du culte des théophilanthropes (1): « Si quelqu'un vous demande quelle est l'origine de votre religion et de votre culte, voici ce que vous pouvez lui répondre : Ouvrez les plus anciens livres connus, cherchez-y quelle était la religion, quel était le culte des premiers humains dont l'histoire nous ait conservé le souvenir. Vous y verrez que leur religion est celle que nous appelons religion naturelle, parce qu'elle a l'auteur même de la nature pour principe. C'est lui qui l'a gravée dans le cœur des premiers humains, dans le nôtre, dans celui de tous les habitants de la terre, cette religion qui consiste à adorer Dieu et à chérir ses semblables, ce que nous exprimons par un seul mot, celui de théophilanthropie. Ainsi notre religion est celle de nos premiers parents; c'est la vôtre, c'est la nôtre, c'est la religion universelle. Quant à notre culte, il est aussi celui de nos premiers pères. Nous voyons dans les livres anciens, que les signes extérieurs par lesquels ils rendaient leurs hommages au Créateur étaient d'une grande simplicité. Ils lui dressaient un autel de terre; ils lui offraient, en signe de reconnaissance et de dévoûment, quelques-unes des productions qu'ils tenaient de sa main libérale. Les pères exhortaient leurs enfants à la vertu; tous ils s'encourageaient, sous les auspices de la Divinité, à l'accomplissement de leurs devoirs. Ce culte simple, les sages de toutes les nations n'ont cessé de le professer, en respectant les autres, et l'ont transmis jusqu'à nous sans interruption. »

Il est inutile d'insister sur l'illusion que se faisaient les théophilanthropes, en rapportant l'origine de leur religion jusqu'au ber-* ceau du monde. Chose singulière ! toutes les religions ont la même prétention. Les chrétiens disent que la révélation faite par JésusChrist est identique au fond avec celle de Moïse, identique avec celle que Dieu fit au premier homme. Mahomet aussi croyait revenir à la religion des patriarches. Il y a erreur de tous les côtés; mais elle se conçoit moins chez les théophilanthropes que chez les mahométans et les chrétiens. Ils venaient à la fin d'un siècle, dont le drapeau était le progrès, et ils niaient le progrès religieux! En réalité, ils n'avaient point l'audace qu'il faut pour établir une

(1) Code de religion et de morale naturelle à l'usage des adorateurs de Dieu et des amis des hommes, rédigé par Chemin, Paris, an VII. (Pag. 41.)

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