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universel pour la République, et afin qu'il repose sur des bases inébranlables, ils l'ont consacré à la Raison.

Un discours en vers sur l'anniversaire de la mort de Louis XVI, compose l'Evangile de l'Eucologe républicain. Ce sont, dit l'abbé Gaume, les diatribes d'usage contre la tyrannie, et la glorification de la liberté. Après l'Évangile, vient le Prône; déclamation furibonde contre les prêtres, les nobles et les rois. Voici une prière prononcée par un jeune républicain à cette occasion: «< Dieu bienfaisant, toi que j'adore et qui as choisi la Raison pour être le génie tutélaire de la France, reçois nos vœux... Reçois les serments que les enfants, doux espoir de la patrie, te font par ma voix, de vivre pour la Liberté, la Raison et l'Égalité. Donne-nous la prudence et le courage nécessaires à des républicains vertueux. » L'Eucologe se termine par des prières destinées à remplacer le Pater, le Credo et le Décalogue du culte catholique. Nous en citerons quelques traits:

« Liberté, bonheur suprême de l'homme sur la terre, que ton · nom soit célébré par toutes les nations! Que ton règne bienfaisant arrive, pour détruire celui des tyrans! Que ton culte sacré remplace celui de ces idoles méprisables que tu viens de renverser!...

« Je crois dans un Être suprême qui a créé les hommes libres et égaux, qui les a faits pour s'aimer et non pour se haïr, qui veut être honoré par des vertus, et non par le fanatisme, et aux yeux duquel le plus beau culte est celui de la Raison et de la Vérité !... Je crois à la destruction prochaine de tous les tyrans, à la régénération des mœurs, à la prapagation de toutes les vertus et au triomphe éternel de la Liberté. »

Les commandements du républicain, on les devine : « Servir la République jusqu'à la mort, » en voilà l'essence. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que dans un livre écrit en 93, on ordonne la tolérance pour tous les cultes. C'est peut-être à cause de sa modération que l'Office républicain trouva peu de faveur; le petit livre qui le contient est devenu une rareté bibliographique. Il manquait aux révolutionnaires une condition essentielle pour établir une religion, c'est l'esprit religieux. Nous applaudissons aux sentiments patriotiques, à l'amour de la liberté, à la passion de l'égalité, nous préférons le culte de la Raison au fanatisme orthodoxe, mais tout cela ne suffit point pour émouvoir le cœur. Le législateur vint en

aide aux nouveaux apôtres. Une loi du 1er nivôse an III ordonna de célébrer des fêtes chaque décadi, dans toutes les communes de la République. Elles devaient commencer par une instruction morale mise à la portée de tous les citoyens. Cette espèce de prédication était confiée aux pères de famille. Après cela, on donnait lecture des décrets portés par la Convention dans le courant de la décade. La fête se terminait par des chants, des danses et d'autres exercices adaptés aux mœurs républicaines. Le législateur prévit qu'il serait impossible de trouver dans toutes les communes, des pères de famille capables de composer un discours moral. Il chargea le comité d'instruction publique de faire un recueil d'instructions et de chants patriotiques, en s'aidant du concours des gens de lettres et des artistes les plus distingués par leurs talents et par leur civisme. Enfin la Convention voulut que les fêtes fussent célébrées en plein air, quand le temps le permettrait, sinon dans un local choisi par les communes. Voilà la religion civile organisée. Chenier, le rapporteur de la loi de l'an III, nous dira dans quel esprit elle fut portée.

La République avait deux ennemis, l'athéisme des enragés, et le fanatisme des orthodoxes. « Si l'on ne veut perdre la chose publique, dit Chénier, il faut bien se garder d'écouter ces énergumènes qui, dans leur débauche d'athéisme, prenant l'ivresse pour de l'enthousiasme, voudraient égarer la raison du peuple dans le chaos de leurs abstractions délirantes, et qui trop peu politiques pour savoir attendre, trop peu penseurs pour savoir douter, dénonceraient Fénelon et Las Casas comme des persécuteurs fanatiques, Rousseau comme un dévot, Voltaire comme un homme à préjugés, Bayle et Montaigne, ces sceptiques célèbres, comme des modérés en philosophie. » La réprobation des enragés nous montre déjà quelle espèce de guerre Chénier voulait faire aux fanatiques du passé : « Les préjugés, dit-il, sont des maladies chroniques; la patience et le régime guérissent le malade, les remèdes extrêmes lui donnent la mort. La guerre redoutable aux préjugés est une guerre philosophique; les préjugés sont des opinions; on ne tire pas le canon contre eux. On peut tuer les hommes, on ne saurait tuer l'opinion. Tout pouvoir fondé sur la violence doit périr; la raison seule est éternelle. »

Le législateur de l'an III n'abolit point le culte catholique, mais

il éleva autel contre autel, et il espérait que la lumière de la vérité dissiperait les ténèbres de la superstition. Écoutons Chénier : <«<< Sur les deux continents, les nations se sont égorgées pour des religions rivales, mais également ennemies des nations, et le sang des hommes a coulé pour des opinions que les hommes ne comprenaient pas. C'est avec une raison active et pratique, c'est avec des institutions tutélaires de la liberté, qu'il faut attaquer des institutions tyranniques et antisociales. La philosophie ne commande pas de croire; les dogmes, les mystères, les miracles lui sont étrangers; elle suit la nature, et n'a pas la folle prétention de changer ses lois immuables, d'interrompre son cours éternel. >>

La philosophie est la lumière qui dissipera toutes les folies du catholicisme. C'est dans cet esprit que devaient être rédigées les instructions morales, cet élément essentiel des fêtes décadaires. Le chant et la musique concouraient au même but. Telle était la pensée du législateur, mais tout dépendait de l'exécution de la loi. La Convention fit appel à ses membres, pour qu'ils lui proposassent leurs idées sur l'organisation de la nouvelle religion. Un grand nombre de discours furent imprimés par ordre de l'Assemblée. Nous allons essayer d'y chercher l'esprit qui animait le législateur révolutionnaire. Ce qui domine dans toutes ces ébauches de religion civile, c'est l'idée fixe que la religion chrétienne s'identifiait avec le fanatisme qui ensanglantait la République, et la conviction qu'il fallait l'extirper. Les conventionnels jugeaient le christianisme traditionnel par ses excès, et ils en traçaient un tableau qui ressemble à une caricature. Voici ce que Lequinio dit des fêtes catholiques : « Ce sont les fêtes de l'hypocrisie et du mensonge pour les prêtres qui y président, de l'abrutissement intellectuel, civil et politique pour les populations qui y prennent part. Elles ont pour but la domination des tyrans, la dégradation de l'esprit, l'esclavage des peuples. » Avouons que si tel n'était point le but de ceux qui instituèrent les fêtes chrétiennes, il n'en est pas moins vrai qu'en réalité là où le clergé exerce une domination incontestée, les solennités religieuses semblent destinées à abêtir les hommes, afin d'en faire des esclaves dociles.

L'empire funeste du sacerdoce s'était conservé jusqu'au dixhuitième siècle; il se maintient encore de nos jours dans les cam

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pagnes. Qu'est-ce que le christianisme des villageois? Le paganisme, avec des formes chrétiennes. Il fallait donc répandre les lumières à flots. C'est dans cet esprit, dit Lequinio, que l'on doit organiser les fêtes décadaires : « Éclairer les citoyens, afin d'anéantir toute espèce de fanatisme; faire sentir le prix de la liberté; resserrer les liens de la fraternité, conduire enfin au bonheur, par l'adoucissement des mœurs et par la vertu : tel doit être l'objet de vos fêtes populaires, et vous devez en diriger le plan de manière à les rendre spécialement utiles à ceux qui en ont le plus besoin. C'est dans les campagnes que l'homme reste le plus isolé; c'est là que l'ignorance est enracinée plus profondément et qu'elle est plus universelle ; c'est là que le fanatisme exerce avec plus d'énergie sa funeste puissance et qu'il transforme souvent en furieux des hommes égarés qui pensent courir après la vertu; c'est donc aussi là que vous avez particulièrement à faire dominer la salutaire influence de vos fêtes décadaires. »

Pour atteindre ce but la Convention voulait que les fêtes de la religion qu'elle instituait, fussent célébrées en plein air. Écoutons un des partisans décidés des fêtes décadaires, Eschassériaux : « C'est au grand jour que l'âme s'épanche, s'anime davantage, et que ses jouissances deviennent plus pures. Les fêtes civiques aiment à être célébrées en plein air. La présence de la nature, le cercle vaste d'un bel horizon, inspirent plus de gaîté et donnent plus de majesté aux grandes assemblées. L'intérieur obscur de nos temples, la forme de leur architecture, rappellent trop encore la terreur et les sombres impressions des idées religieuses, pour y concentrer toujours les citoyens... C'est devant son magnifique ouvrage qu'il faut célébrer l'Être suprême; il sera invoqué dans nos fêtes, non plus, comme autrefois, par l'orgueil et l'ambition qui a trompé les mortels, mais par des hymnes et des chants que lui adresseront la liberté, l'innocence et la vertu. C'est là le culte pur digne de lui et de l'homme libre. C'est dans les fêtes civiques que les hommes de toutes les religions viendront se réunir pour le célébrer. C'est là qu'ils viendront entendre la douce morale de la patrie, et oublier bientôt les illusions dangereuses par lesquelles le fanatisme avait surpris leur crédulité trompée. »

D'autres conventionnels voulaient que l'on se servit des temples chrétiens pour célébrer les fêtes décadaires. Il va sans dire que

l'on devait commencer par en bannir tout ce qui pourrait retracer les idées attachées aux inepties et aux mensonges du catholicisme. Ce sont les expressions de Lequinio. Il ajoute que ce serait un moyen d'arriver sans secousse à faire oublier l'ancien culte : « C'est favoriser la transition de la superstition à la lumière. >> Chose singulière! Les mêmes motifs avaient été invoqués au sixième siècle par le pape Grégoire le Grand pour ménager les superstitions des païens, en leur donnant une couleur chrétienne. Malheureusement, à force de ménager les erreurs populaires, l'Église les perpétua, et elle y ajouta celles qui sont inhérentes au christianisme. De là ce tas de croyances superstitieuses qui faisaient à la fin du dix-huitième siècle et qui font encore aujourd'hui toute la religion pour l'immense majorité des fidèles. Et l'on s'étonne de la persistance de l'élément superstitieux au sein de l'humanité, alors que jamais mauvaise herbe n'a été cultivée avec plus de soin que cette plante vénéneuse!

Quand on voit les révolutionnaires recourir instinctivement aux mêmes moyens que les papes pour remplacer ce que les uns et les autres appelaient les vieilles superstitions, par des croyances plus pures, on ne peut douter que la Convention n'ait eu pour but de fonder une religion nouvelle en même temps qu'une nouvelle société. Dans ses décrets, elle ne parlait que d'instructions morales; mais ceux de ses membres qui tenaient à la morale, sentaient la nécessité de lui donner un fondement religieux et des formes religieuses : « L'immense majorité de la nation, dit Rameau, est convertie à la liberté, non à la philosophie. Les hommes sont habitués à un culte, expression de leurs croyances religieuses. Il faut donc un caractère religieux aux fêtes décadaires, sinon le peuple retournera d'autant plus vite à ses anciennes habitudes. >> Il demandait en conséquence qu'une heure du matin fût consacrée à des actes religieux.

Mais grand fut l'embarras des révolutionnaires, quand ils essayèrent de formuler ces actes religieux. Le culte est l'expression de croyances positives; or, ces croyances leur manquaient, et ils n'en voulaient même point, car ils avaient horreur de tout ce qui s'appelle dogme. C'était se mouvoir dans un cercle vicieux. Voilà pourquoi, quand ils veulent préciser leur pensée, les orateurs de la Convention aboutissent toujours à des idées politiques. On lit

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