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la célébration du dimanche, la messe le matin, le cabaret l'aprèsmidi, la danse ou l'orgie le soir? Supprimer le dimanche, c'était détruire la vieille religion. Telle était bien la pensée des révolutionnaires.

Tous ceux que la passion de la liberté attachait aux idées nouvelles, unirent leurs efforts pour amener l'abolition du dimanche. C'était une question de vie ou de mort pour les partisans du passé comme pour les novateurs. Il ne suffisait point de décréter que la semaine aurait à l'avenir dix jours au lieu de sept, pour faire oublier le jour du repos consacré par le christianisme et par une tradition séculaire. Le clergé constitutionnel, quoique républicain, refusa de transporter la célébration des offices divins au décadi, parce qu'il pressentait que ce serait entrer dans une voie au bout de laquelle se trouvait la ruine du christianisme traditionnel : << On veut extirper le catholicisme, » dit l'intrépide Grégoire en face même des ennemis de sa religion. « Revenir à des mesures de sang, on n'ose; la qualité de persécuteur est si exécrable! Il faut donc trouver des moyens de persécuter et de ruiner le vieux culte, sans en avoir le nom (1). » Le clergé avait pour lui les populations restées chrétiennes, et même celles qui étaient indifférentes répugnaient à un changement qui contrariait les habitudes civiles autant que les habitudes religieuses. En réalité, le dimanche était le jour du repos et du plaisir, bien plus que le jour du Seigneur. Comment rompre des usages enracinés qui se confondaient avec l'existence journalière? On fit appel aux sentiments patriotiques des amis de la Révolution. Là société populaire de Nancy, dans une adresse à ses frères, les citoyens des campagnes, déclara que « quiconque voudrait conserver le dimanche, n'était point républicain; que c'était se proclamer ennemi des pauvres, de la liberté et de l'égalité (2). »

L'amour de la république et les passions anticatholiques qui l'accompagnaient, n'existaient guère que dans les grandes villes. Dans les départements, on n'était pas plus républicain que libre penseur. Les représentants en mission eurent recours aux mesures les plus singulières pour briser la résistance qu'ils rencon

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 288. (2) Idem, ibid, pag. 200.

traient. Un conventionnel décréta que « les individus qui célébraient l'ancien jour du dimanche par leur oisiveté, par des promenades, ou une parure affectée, payeraient une amende qui ne pourrait être moindre de cent sous chaque fois; et qu'ils seraient inscrits comme fanatiques sur un tableau affiché à la porte extérieure de la maison commune, ou du temple dédié à l'Etre suprême. » Un autre, le fameux Lebon, ordonna que tout domestique ou ouvrier, qui chômerait un autre jour que le décadi, serait arrêté comme suspect; et que les municipalités qui n'exécuteraient point cet arrêté, seraient elles-mêmes considérées comme suspectes, et traitées comme telles. Sous le régime de la Terreur, cela équivalait à une menace de mort (1).

La célébration du dimanche devint, aux yeux des révolutionnaires, le plus grand des crimes, le crime de lèse-république. On lit dans le rapport d'un représentant enj mission: « La religion catholique prescrit d'être fainéant et de rester les bras croisés. Pour établir son infernal empire, elle avait paré les jours de soidisant martyrs et de saints... La raison proscrit enfin ces noms avilissants d'un régime odieux. Remettez vos anciens calendriers à la société populaire de votre commune. Sociétés populaires, livrez-les aux flammes! Citoyennes, portez, au lieu de croix, les images de la félicité des hommes, de la déesse de la liberté. >> Puisque le culte chrétien, comme les révolutionnaires le croyaient, n'avait pour objet que des idoles, ne valait-il pas mieux le supprimer? C'est ce que firent les représentants de la Convention. Seulement comme la liberté des cultes existait encore en vertu de la loi, ils se bornèrent à défendre aux prêtres de célébrer aucun office divin, sauf les jours de décadi. Il y en eut qui prohiberent l'exercice du culte d'une manière absolue. C'était violence, mais on n'y regardait pas de si près, quand la persécution frappait les idoles et leurs ministres. Un commissaire de la Convention prononça la peine d'incarcération contre quiconque chômerait les fêtes et le sot dimanche, ou refuserait de célébrer les décadis. Un autre, considérant que, d'après le calendrier républicain, il n'y avait plus ni fêtes ni dimanches; que, par fanatisme religieux, les prêtres pourraient conserver des préjugés qui avaient servi de

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des sectes religieuses, t. I, pag. 242.

manteau aux hypocrites, arrêta que tous les prêtres convaincus d'avoir célébré des offices aux jours, ci-devant connus sous le nom de fêtes et dimanches, seraient conduits en prison, pour être punis comme infracteurs à la loi. Grégoire, à qui nous empruntons ces détails, remarque qu'il n'y avait point de loi qui punît la célébration d'un culte. Mais le catholicisme paraissait tellement inalliable avec la Révolution, que le fait seul de son existence semblait un crime. Les révolutionnaires firent la loi, et ils l'appliquèrent, par l'omnipotence du peuple souverain. Voici ce qu'écrit un représentant en mission : « La société populaire, voyant que de vieux imbéciles fêtaient encore les dimanches, voulut tirer parti de leur fainéantise. Le 8 floréal an II (dimanche des prêtres), elle les invita à se rendre sur le boulevard de la commune, pour y travailler au grand chemin. Deux cents prêtres, devenus citoyens, ont travaillé toute la journée, avec une ardeur vraiment patriotique. On a vu des vieillards de quatre-vingts ans traîner des chariots avec toute la vigueur de la jeunesse (1). »

Il est vrai que la loi qui établit l'ère nouvelle, ne proscrivait point le culte catholique. Mais les intentions du législateur allaient plus loin que ses paroles. Lorsque, dans des rapports officiels, on plaçait les animaux au dessus des saints et de leurs reliques, pouvait-on s'étonner, si partout où les révolutionnaires dominaient, il y eut une insurrection contre ces idoles? Le représentant Fréron porta à Marseille le décret suivant : « Considérant que les dimanches et fêtes sont rayés pour toujours du nouveau calendrier et que par là même les bienheureux et bienheureuses qui faisaient tous les honneurs de l'ancien, ont été condamnés pour ainsi dire à la déportation pour l'Espagne, le Portugal, l'Italie et les autres contrées de l'Europe où la tyrannie, aidée du fanatisme, se retranche contre la liberté arrête que la liberté et l'égalité sont les seules divinités qui méritent notre encens et nos hommages. » A Paris on remplaça les noms des saints qui désignaient les églises par des noms de vertus, tels que la Concorde, ou par des noms empruntés à l'agriculture et au commerce. Il y eut des saints que l'on transforma en philosophes. Le fondateur des sœurs de charité conserva son renom de bienfaisance; on mit

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des sectes religieuses, t. I, pag. 240-243.

sur sa statue l'inscription suivante : Vincent de Paul, philosophe français du dix-septième siècle. Le législateur vint en aide à cette croisade contre les bienheureux et les bienheureuses; il autorisa les communes à changer les noms qui rappelaient le fanatisme : il se trouva, au dire de l'abbé Grégoire, plus de 9,000 communes qui portaient le nom d'un saint (1).

II

L'abolition du dimanche et la déportation des saints, ne sont que l'une des faces du mouvement antichrétien de la Révolution. Ceux qui le dirigeaient, soit qu'ils eussent le sentiment religieux ou non, comprirent que les populations ne se laisseraient pas enlever leur dimanche, ni leurs idoles, si on ne les remplaçait par d'autres fêtes. Le décadi devait être le dimanche des républicains, et la République entendait qu'il n'y eût que des républicains sur son sol. Sous le Directoire, le ministre de l'intérieur écrivit aux administrations centrales et municipales : « Il serait à désirer que les ministres de tous les cultes s'accordassent à transporter aux décadis leurs fêtes et les cérémonies religieuses les plus importantes... C'est à chaque administration à examiner quelles sont les opinions dominantes dans son arrondissement, et d'agir d'après cet examen. Ici l'invitation suffira; là, il faudra plus que des conseils, et vous ferez parler l'autorité de la loi. Plus loin, le fanatisme religieux s'opposera à vos tentatives. Ailleurs et presque partout, vous aurez à combattre les préjugés et l'habitude. Chacun de ces obstacles doit être renversé par des moyens différents. J'en laisse le choix à votre intelligence et à votre patriotisme (2). »

Cette circulaire ne révèle pas encore toute la pensée des révolutionnaires. S'ils tenaient tant à ce que les cérémonies des diverses religions fussent transportées au décadi, c'est dans l'espoir que les vieux cultes finiraient par être absorbés par les fêtes décadaires. Sous la Convention, un représentant en mission fit l'aveu naïf de ce qu'il fallait faire : « La chute du catholicisme, dit-il, a

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 151, ss. 215, ss. (2) Idem, ibid., pag. 286.

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laissé un vide immense dans les classes peu aisées ; c'est la raison pour laquelle les prêtres qui continuent leurs cérémonies ont encore beaucoup de concours. Il faut, si j'ose parler ainsi, élever autel contre autel, sinon les institutions du catholicisme mettront toujours en opposition les mœurs privées et les mœurs publiques. >> Il voulait que les fêtes décadaires fussent célébrées dans les églises et avec accompagnement de l'orgue (1). C'était un nouveau culte qui prenait la place de l'ancien.

Nous avons de cela un témoignage intéressant dans un petit livre publié déjà en 1793, sous le titre d'Office des décadis ou discours, hymnes et prières en usage dans les temples de la Raison, par les citoyens Chénier, Dusausoir et Dulaurent (2). Le principal but de cet Eucologe de la religion décadaire, dit l'éditeur, est de propager les principes sacrés de la Raison, base inébranlable de notre impérissable République. Il commence par un hymne à la Liberté, espèce d'Introit à la messe révolutionnaire, dit l'abbé Gaume; nous en citerons quelques vers :

Descends, ô liberté, fille de la Nature;

Le peuple a reconquis son pouvoir immortel:
Sur les pompeux débris de l'antique imposture,

Ses mains relèvent ton autel.

Venez, vainqueurs des rois, l'Europe vous contemple,
Venez, sur les faux dieux étendez vos succès,

Toi, sainte liberté, viens habiter ce temple;
Sois la déesse des Français.

En guise d'Épître il y a un discours sur les fêtes décadaires : « Citoyens, dit l'auteur, le devoir d'un vrai patriote est d'employer tous ses moments à étendre, autant que ses moyens le lui permettent, les progrès de la Raison, de la Liberté et de l'Égalité. » Le prédicateur révolutionnaire explique ensuite que les fêtes décadaires ont pour but de rendre hommage à la Divinité et de faire jouir en commun les citoyens des plaisirs inappréciables de la liberté; puis il ajoute que les législateurs ont élevé un temple

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 259. (2) L'abbé Gaume, la Révolution, t. I, pag. 173, ss.

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