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l'invincible horreur de tous les despotes pour les usurpations et pour la tyrannie, leurs tendres égards pour l'innocence opprimée, leur respect religieux pour les droits de l'humanité. Ils nous accusent d'irréligion! Qu'elle est édifiante, la piété des tyrans! et combien doivent être agréables au ciel, les vertus qui brillent dans les cours! Ils publient que nous avons déclaré la guerre à la Divinité même. De quel Dieu nous parlent-ils? En connaissent-ils d'autres que l'orgueil, que la débauche et tous les vices? Ils se disent les images de la Divinité! Est-ce pour faire déserter ses autels? Ils prétendent que leur autorité est son ouvrage. Non, Dieu créa les tigres, mais les rois sont le chef-d'œuvre de la corruption humaine (1). >>

Il y a une triste vérité dans ces terribles accusations. Oui, la royauté du dix-huitième siècle n'était plus que corruption et pourriture. Mais la Convention aurait dû ajouter que les rois étaient l'image de la société. La société aussi tombait en dissolution. Est-ce parce que l'immoralité trônait à Versailles et à SaintPétersbourg? Les cours avaient certes une funeste influence sur les nations. Mais il faut avouer que dans les peuples mêmes, au moins dans les classes élevées, le sens moral s'éteignait. Il n'y avait ni moralité publique, ni moralité privée. C'était un vieux monde qui s'en allait, parce que les sources de la vie étaient viciées. La République avait l'ambition de régénérer l'humanité. Dès lors, elle devait inaugurer le règne de la morale. La Convention dit avec orgueil à l'Europe monarchique : « Quel peuple rendit jamais un culte plus pur que le peuple français à la Divinité, lui qui a proclamé sous ses auspices les principes immuables de toute société humaine? Les lois de la justice éternelle étaient dédaigneusement appelées les rêves des gens de bien; nous en avons fait d'imposantes réalités. La morale était dans les livres des philosophes; nous l'avons mise dans le gouvernement des nations. >>

Quelle est la morale sur laquelle la Convention voulait élever l'édifice de la République? Est-ce la morale évangélique que Rousseau proclamait divine? Les révolutionnaires n'étaient point de cet avis. Robespierre dit dans son discours sur l'Etre suprême que la morale est encore dans l'enfance : « La raison de l'homme res

(1) Buchez, Histoire parlementaire, t. XXX, pag. 316.

semble au globe qu'il habite; la moitié en est plongée dans les ténèbres quand l'autre est éclairée. Les peuples de l'Europe ont fait des progrès étonnants dans ce qu'on appelle les arts et dans les sciences, et ils semblent dans l'ignorance des premières notions de la morale publique. Ils connaissent tout, excepté leurs droits et leurs devoirs, D'où vient ce mélange de génie et de stupidité? De ce que, pour se rendre habile dans les arts, il ne faut que suivre ses passions, tandis que pour défendre ses droits et respecter ceux d'autrui, il faut les vaincre. >>

Le christianisme aussi disait à l'homme qu'il devait vaincre ses passions; cependant après un règne de dix-huit siècles, il aboutit à une corruption effrénée, et à la nécessité d'une révolution. N'était-ce pas une preuve vivante de l'insuffisance ou de l'impuissance de la vieille morale et par conséquent de la vieille religion? Robespierre fait appel au grand dogme qui a inspiré la philosophie du dix-huitième siècle, au progrès. « Tout a changé dans l'ordre physique, tout doit changer dans l'ordre moral et politique. La moitié de la révolution du monde est déjà faite, l'autre moitié doit s'accomplir. » C'est un fait considérable. On a dit que Robespierre et le comité de salut public songeaient à établir une nouvelle religion. Il est certain que le décret de la Convention proclamait les dogmes fondamentaux de la religion naturelle, et il allait plus loin que les philosophes au dogme il ajoutait un commencement de culte, des fêtes qui toutes avaient un caractère moral et religieux. Voici maintenant Robespierre qui déclare que la morale qui fait l'essence de sa religion civile, est encore dans l'enfance, et qu'elle doit se perfectionner comme tout se perfectionne. Ici les révolutionnaires dépassaient les philosophes, pour mieux dire, ils exprimaient leur vraie pensée. En apparence les libres penseurs enseignaient que le progrès, en fait de religion, consistait à abolir toute religion; mais ils entendaient seulement proscrire les religions révélées, avec leur cortége de dogmes absurdes qui semblent inventés pour abêtir les hommes et pour les tenir dans une servitude perpétuelle. Ils ne répudiaient pas pour cela les vérités éternelles de la morale. Robespierre fit un pas de plus, il introduisit le progrès dans le domaine de la morale et il fit de la morale une religion. Une religion progressive, voilà donc le dernier mot de la philosophie, telle qu'elle fut interprétée par la Convention.

C'est aussi la croyance du dix-neuvième siècle. Mais nous ne croyons plus, comme les révolutionnaires, que la religion s'établisse par des décrets: il n'y aura jamais de religion civile. Cette erreur tenait à l'idée que Rousseau se faisait de l'État et de sa toute-puissance, et le comité de salut public était en quelque sorte l'incarnation du souverain de Rousseau. Ainsi s'explique le dessein qui nous paraît aujourd'hui si étrange de décréter des croyances et des fêtes qui, quoique dites civiles, étaient destinées à remplacer celles du catholicisme. Non, il faut que la religion se forme dans la conscience humaine, avant de devenir une institution publique. Ce travail se fait sous l'inspiration de ce même principe que Robespierre invoque pour fonder sa religion, le principe du progrès qui conduit le genre humain depuis sa naissance et qui l'aidera à réaliser sa destinée finale.

No 2. La religion décadaire.

I

L'on aurait tort de croire que la religion civile décrétée par la Convention fût une idée particulière à Robespierre et à son parti. Robespierre tomba, et précisément à la suite de la fête de l'Etre suprême où il avait, disaient ses ennemis, affecté une espèce de dictature, comme grand pontife du nouveau culte. Sa chute suivit de bien près son triomphe. Qui n'aurait pensé qu'elle entraînerait la ruine de ses conceptions religieuses? Il n'en fut rien. La religion civile resta l'idéal des vrais républicains, jusqu'à ce que Napoléon mît fin à la République et aux tentatives d'une religion nouvelle.

L'une des institutions les plus originales de la République, le calendrier républicain, se lie étroitement aux décrets que la Convention porta sur la proposition de Robespierre. On a cru, sur la foi des historiens, tous hommes politiques et très peu préoccupés de religion, que le calendrier était seulement destiné à marquer l'ère dans laquelle la France était entrée, en abolissant la royauté. Le rapport fait à la Convention par Fabre d'Églantine, nous dira sous quelle inspiration les hommes de 93 répudièrent l'ère chré

tienne (1). Quand on songe que cette ère est celle de Jésus-Christ, l'on ne peut douter que les révolutionnaires n'aient entendu détruire la vieille religion aussi bien que la vieille société. Qu'est-ce que l'ère ancienne? s'écrie le rapporteur de la Convention. «< Pendant dix-huit siècles, elle n'a presque servi qu'à fixer dans la durée les progrès du fanatisme, l'avilissement des nations, le triomphe scandaleux de l'orgueil, du vice, de la sottise, et les persécutions, les dégoûts qu'essuyèrent la vertu, le talent, la philosophie sous des despotes cruels, ou qui souffraient qu'on le fit en leur nom. » De quoi sont remplies les annales, marquées par l'ère chrétienne? «< Ce sont des fourberies, longtemps révérées de quelques hypocrites. L'opprobre doit frapper cette imposture séculaire, et poursuivre enfin ces infâmes et astucieux confidents de la corruption et du brigandage des cours. L'ère vulgaire fut l'ère de la cruauté, du mensonge, de la perfidie et de l'esclavage. »

Ouvrons un calendrier; quelle est la première chose qui nous frappe? A chaque jour nous trouvons inscrit le nom d'un saint. Écoutons ce que les révolutionnaires pensaient de ces prétendus élus « C'est le répertoire du mensonge, de la duperie ou du charlatanisme. Nous avons pensé que la nation devait chasser cette foule de canonisés de son calendrier, et mettre à leur place les objets qui composent la véritable richesse nationale, les dignes objets, sinon de son culte, au moins de sa culture; les utiles productions de la terre, les instruments dont nous nous servons pour la cultiver, et les animaux domestiques, nos fidèles serviteurs dans ces travaux; animaux bien plus précieux sans doute aux yeux de la raison que les squelettes béatifiés tirés des catacombes de Rome. » Ainsi l'âne et le bœuf sont placés par la Convention au dessus des saints dont le culte constitue toute la religion pratique des chrétiens!

Quel est le but du nouveau calendrier? « Les préjugés du trône et de l'Église, dit le rapporteur, les mensonges de l'un et de l'autre souillaient chaque page du calendrier dont nous nous servions... Une longue habitude a rempli la mémoire du peuple d'un nombre considérable d'images qu'il a longtemps vénérées et qui sont encore aujourd'hui la source de ses erreurs religieuses. Il est donc

(1) Buchez, Histoire parlementaire, t. XXXI, pag. 415, ss.

nécessaire de substituer à ces visions de l'ignorance les réalités de la raison, et au prestige sacerdotal la vérité de la nature. » Comment les prêtres s'y prenaient-ils pour tromper et dominer les hommes? << Ils n'étaient parvenus à donner de la consistance à leurs idoles qu'en attribuant à chacune quelque influence directe sur les objets qui intéressent réellement le peuple c'est ainsi que saint Jean était le distributeur des moissons, et saint Marc le protecteur de la vigne. » Fabre d'Églantine donne un exemple curieux de l'art que l'Église mettait à impressionner les âmes, au profit de sa domination. « Les prêtres dont le but universel et définitif est et sera toujours de subjuguer l'espèce humaine et de l'enchaîner sous leur empire, les prêtres instituaient-ils la commémoration des morts, c'était pour nous inspirer du dégoût pour les richesses terrestres et mondaines, afin d'en jouir plus abondamment euxmêmes, c'était pour nous mettre sous leur dépendance par la fable et les images du purgatoire. Mais voyez ici leur adresse à se saisir de l'imagination des hommes, et à la gouverner à leur gré! Ce n'est pas sur un théâtre riant de fraîcheur et de gaîté, qui nous eût fait chérir la vie et ses délices, qu'ils jouaient cette farce; c'est le second de novembre qu'ils nous amenaient sur les tombeaux de nos pères; c'est lorsque le départ des beaux jours, un ciel triste et grisâtre, la décoloration de la terre et la chute des feuilles remplissaient notre âme de mélancolie et de tristesse; c'est à cette époque que, profitant des adieux de la nature, ils s'emparaient de nous pour nous inculquer ce que leur impudence avait imaginé de mystique pour les prédestinés, c'est à dire les imbéciles, et de terrible pour le pécheur, c'est à dire le clairvoyant. »

Il faut lire dans le rapport de Fabre d'Églantine comment les révolutionnaires cherchèrent à s'emparer des images et des impressions de la nature, non plus pour tromper et exploiter les hommes, mais pour les éclairer et les perfectionner. La nouvelle distribution des mois en périodes de dix jours tendait à la suppression du dimanche. Romme, le premier auteur du projet, ennemi du catholicisme autant que républicain austère, avoua à l'abbé Grégoire que tel était surtout son but (1). Or qu'est-ce que le catholicisme pour l'immense majorité des fidèles, sinon

(1) L'abbé Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 122.

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