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quables, il lie son ânon à la vigne, démontrent par surabondance de droit que Jésus est Dieu (1). » Voltaire ne rit pas toujours. Son indignation éclate quand il entend Pascal démontrer comme quoi les prophéties devaient être obscures. « Quelle réponse de charlatans et de fanatiques! Quoi! si Dieu parle par la voix d'un prophète qu'il inspire, il ne parlera pas clairement ! Quoi! le Dieu de vérité ne s'expliquera que par des équivoques qui appartiennent au mensonge (2) ! »

III

Les apologistes orthodoxes ne prouvaient qu'une chose, c'est que les prophéties sont un fondement ruineux pour le christianisme. On comprit dans le camp réformé qu'il fallait se hâter de les abandonner, si l'on voulait sauver l'édifice. Déjà au dixhuitième siècle, Grotius donna ce conseil, et Semler, nous l'avons dit, abonda dans ses sentiments. Le même instinct se fit jour en Angleterre, et chose curieuse, ce furent les sauveurs en titre qui désertèrent les premiers la preuve démonstrative de la révélation. Ils le firent à contre-cœur, mais la nécessité les pressait, impérieuse. Comment se défaire des prophéties, alors que les Évangiles les invoquent à chaque page, alors que les défenseurs du christianisme s'y appuyaient comme sur un roc? On trouva autant de difficulté à se débarrasser de cette preuve incommode, qu'on en avait eu pour l'expliquer. « Les miracles seuls, dit un docteur anglican, démontrent la révélation. Si les évangélistes citent les prédictions de l'Ancien Testament, c'est par voie d'allusion, ou d'accommodation, sans en prétendre tirer une preuve, sinon dans un sens éloigné et mystique (3). » Ainsi les prophéties sont une preuve, et elles ne sont pas une preuve. Elles ne jouent plus qu'un rôle très secondaire, ces prétentieuses prédictions messianiques. Pour avoir voulu s'élever trop haut, jusqu'au ciel, Dieu les a abaissées. Que les théologiens ne profitent-ils de la leçon !

(4) Voltaire, de la Paix perpétuelle. (OEuvres, t. XXVI, pag. 48.)

(2) Idem, ibid. (OEuvres, t. XXVI, pag. 53.)

(3) Recueil Boylien, t. II, pag. 430, ss.

Un évêque, le docteur Sherlock, entra en lice et écrivit un traité en deux volumes sur l'usage et les fins de la prophétie. C'est un chrétien sincère et il ne manque pas de prévoyance. Dès son premier discours, il jette les prophéties par dessus bord, pour sauver le gros de la cargaison et surtout l'équipage : car que deviendraient les évêques, s'il n'y avait pas de révélation? Le prélat affirme que les prophéties ne sont pas l'argument par excellence de la révélation chrétienne. Bossuet avait affirmé le contraire, d'un ton plus décidé encore. A qui faut-il croire? à l'évêque de Meaux, ou à l'évêque de Londres? Notre embarras augmente, quand nous voyons les deux champions invoquer l'Écriture sainte. L'évêque anglican soutient que saint Pierre parle des prophéties comme d'une faible lumière qui devait servir seulement jusqu'à ce qu'il en vînt une plus grande. L'évêque français cite les paroles du prince des apôtres; elles disent clairement que saint Pierre mettait l'autorité des prophètes au dessus de toutes les autres preuves. Mais il y a avec l'Écriture sainte des accommodements. Le docteur anglais interprète l'épître de saint Pierre à sa façon, et prouve merveilleusement que quand l'apôtre dit que la parole des prophètes est très ferme, et qu'il faut s'y attacher, cela veut dire qu'elle n'est point solide et qu'il ne faut pas s'y appuyer. La démonstration est lumineuse (1).

Malgré son talent d'interprète, l'évêque de Londres ne peut pas effacer les prophéties des Évangiles. Qu'en faire? Il est de l'avis de Semler. << Les prophéties, œuvre d'écrivains juifs, sont destinées aux Juifs, et ne sont bonnes que pour eux. Qu'importe à nous, chrétiens, que le Fils de Dieu ait été prédit par des Juifs? N'avons-nous pas les miracles et la résurrection? Les prophéties sont des preuves surabondantes, dont nous pouvons nous passer (2).» Cela s'appelle battre en retraite. Si les prophéties prouvaient pour les Juifs, elles doivent aussi prouver pour les chrétiens. Quant aux miracles, ils ne démontrent pas plus la divinité du Christ qu'ils ne démontrent la divinité de Moïse. Que si les prophéties ne prouvent la révélation que pour les Juifs, il faut dire que Dieu a pris une peine inutile; en effet, ils sont restés incré

(1) Sherlock, l'Usage et les fins de la prophétie, t. I, pag. 17, ss. (Traduction de Le Moine.) (2) Idem, ibid., t. I, pag. 71-77.

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dules, en dépit des prédictions messianiques. Mais, qui a appris aux apologistes du dix-huitième siècle que les prophéties n'étaient faites que pour les Juifs? Les Évangiles où elles sont citées comme ⚫ témoignages, sont écrits en grec, et s'adressent aux Grecs, pour mieux dire à toute la gentilité. Pourquoi donc Jésus-Christ, ou ceux qui rapportent ses paroles, invoquent-ils sans cesse les prophéties? On dirait, quand on lit les Évangiles, qu'ils sont écrits uniquement pour constater que toutes les actions du Christ, tous les événements de la vie, jusqu'aux moindres, ont été prédits. Cet appel incessant aux prophéties doit avoir un but. Si ce n'est pas comme témoignage de la révélation, pourquoi donc Jésus-Christ les cite-t-il à chaque instant? Pourquoi, encore après sa résurrection, alors que ses disciples étaient livrés au désespoir, cherchet-il à les convaincre que les prophéties avaient prédit sa mort?

L'évêque anglican répond que les prophéties et leur accomplissement servent à prouver que Jésus-Christ a dit vrai en assurant qu'il était celui que les prophètes avaient prédit; et que par là la vérité des Évangiles se trouve également démontrée (1). C'est une dernière planche de salut, pour sauver au moins le nom et l'apparence des prophéties; mais il n'y a pas de salut possible, le naufrage est inévitable, et il engloutit tout ensemble les prédictions messianiques, les Évangiles et la révélation. Que penser en effet des évangélistes, des prophètes et de Jésus-Christ, quand on voit que les passages des écrivains hébreux, cités à titre de prédictions, n'ont rien de commun avec les faits qu'ils prédisent? Si un écrivain profane procédait ainsi, on lui reprocherait de citer à faux; les prophéties messianiques seraient donc en définitive de fausses citations? L'accusation est trop grave et trop accablante, si elle est fondée, pour que nous ne produisions pas nos témoignages.

Saint Matthieu raconte que Joseph, averti en songe par un ange, s'enfuit en Égypte avec l'enfant Jésus et sa mère, pour échapper aux ordres cruels d'Hérode; il y resta, dit l'évangéliste, jusqu'à la mort du roi, afin que s'accomplit ce que le Seigneur avait prédit par le prophète : J'AI RAPPELÉ MON FILS D'ÉGYPTE (2). On cherche vainement un prophète qui ait prédit que le Messie se réfugierait en

(1) Sherlock, l'Usage et les fins de la prophétie, t. I, pag. 77-82. (2) S. Matthieu, II, 15.

Égypte, et que le Seigneur le rappellerait pour sauver la race d'Israël. Voilà donc une prédiction messianique qui est évidemment fausse. Où saint Matthieu l'a-t-il trouvée? Il a fait violence aux textes, comme font les interprètes orthodoxes. Le passage. qu'il cite est du prophète Osée, mais il ne se rapporte pas au Christ, car dans tout le chapitre, dans les deux qui précèdent, et dans les deux qui suivent, il n'est pas question du Messie. Osée parle du peuple d'Israël; pour faire sentir aux Juifs leur ingratitude envers un Dieu qui les avait comblés de bienfaits, le prophète met dans la bouche de l'Éternel ces paroles de reproches : Quand Israël était jeune enfant je l'aimai, et j'appelai mon fils hors d'Égypte. Bossuet avoue que, selon l'écorce de la lettre, cet endroit a rapport à la sortie d'Égypte du peuple d'Israël. Mais, dit-il, le Saint-Esprit nous apprend qu'il avait été de son dessein, que pour exprimer cette délivrance, le prophète se soit servi d'une expression qui convient expressément au Fils de Dieu (1). Si le Saint-Esprit nous apprend cela, il est un très mauvais interprète; qui donc croira que lorsque dans le premier hémistiche il est question du peuple d'Israël, le second hémistiche se rapporte au Christ, bien que le sujet soit toujours le même? Est-ce le mot de Fils qui doit justifier cette façon arbitraire d'expliquer l'Écriture? Cette expression se trouve encore ailleurs dans les livres saints pour marquer le peuple d'Israël (2). Il reste donc établi que la prétendue prophétie d'Osée est une mauvaise interprétation. Cependant Bossuet trouve les prophéties claires comme le jour! Avouons que la foi est un prisme merveilleux; elle fait voir des choses qui n'existent que dans l'imagination du croyant.

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Saint Matthieu, après avoir raconté le massacre des Innocents, ajoute Alors fut accompli ce qu'avait annoncé le prophète Jérémie en ces termes : Une voix a été entendue dans Rama, des pleurs et de longs sanglots, la voix de Rachel pleurant ses fils, et elle ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus (3). » Quand on cherche cette prétendue prédiction dans Jérémie, on est tout étonné de voir qu'il n'est pas question du Messie. Le prophète

(1) Possuet, Élévations sur les mystères, XIX, 2. (OEuvres, t. III, pag. 657.)

(2) Strauss, Das Leben Jesu, t. I, pag. 275, s.

(3) S. Matthieu, II, 17, 18.

parle de la désolation du peuple élu; lors de son exil on entendait à Rama, où avaient été réunis les Israélites déportés, les lamentations des femmes de Bethléem, située à une distance de plusieurs lieues. Qu'est-ce que ces paroles ont de commun avec le Messie? Rien, pas plus qu'avec le grand Thomas, dit Voltaire.

On dirait que saint Matthieu a voulu accumuler dans un même chapitre des témoignages qui attestent l'inanité des prophéties messianiques. Il termine en racontant que Joseph, à son retour d'Égypte, craignant le fils d'Hérode qui régnait en Judée, se retira dans la Galilée, et y demeura dans la ville appelée Nazareth, afin que s'accomplît ce qu'avaient dit les prophètes: Il sera appelé Nazaréen (1). Au dire de l'évangéliste, ces mots devraient se trouver dans plusieurs prophètes, or ils ne se trouvent dans aucun. Voilà donc une prophétie messianique prise en l'air, et qui n'en est pas moins, selon Bossuet, claire comme le jour. Et c'est sur ces fondements imaginaires que repose la révélation!

Encore une prophétie où les faits sont altérés; c'est cependant l'Esprit-Saint qui l'a dictée! Saint Luc rapporte qu'en ces jours-là, un édit de César Auguste ordonna qu'on fit le dénombrement des habitants de toute la terre. Premier fait controuvé; il n'y a jamais eu de dénombrement général. L'évangéliste nous apprend ensuite que le recensement fut fait par Cyrénus, gouverneur de Syrie. Second fait impossible. A l'époque où cela aurait dû avoir lieu, d'après Saint Matthieu, la Judée était gouvernée par Archelaüs, roi national, et partant les magistrats romains n'y avaient aucune autorité. Enfin il est dit que tous les Juifs allaient se faire inscrire chacun dans sa ville; que Joseph aussi alla à Bethléem, la ville de David, avec Marie son épouse qui était grosse. Troisième erreur. Chez les Romains, chacun était recensé dans la ville qu'il habitait, et non dans celle d'où il tenait son origine. Pourquoi l'évangéliste a-t-il altéré les faits, ou pourquoi la tradition les a-t-elle imaginés? C'est qu'il y avait une prophétie formelle qui annonçait que le Messie devait naître dans la ville de David (2). Il fallait donc y amener Marie, et pour l'y mener, il fallait accommoder les faits selon la prophétie (3).

(1) S. Matthieu, II, 23.

(2) S. Luc, II, 4-5. Michée, V, 1.

(3) Strauss, Das Leben Jesu, t. I, pag. 242-250.

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