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douter que son âme généreuse n'eût embrassé avec transport la cause de la justice et de l'égalité! »

Robespierre ne dit rien de l'émule de Rousseau, mais il lui rend indirectement hommage. Nous l'avons entendu citer aux Jacobins le mot favori de Voltaire : Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer. La Révolution procède de Voltaire autant que de Rousseau. Robespierre tonne contre le fanatisme, contre les prêtres, comme aurait fait le grand incrédule. « Fanatiques, s'écrie-t-il, n'espérez rien de nous. Rappeler les hommes au culte pur de l'être suprême, c'est porter un coup mortel au fanatisme... Prêtres ambitieux, n'attendez donc pas de nous que nous travaillions à rétablir votre empire; une telle entreprise serait même au dessus de notre puissance. Vous vous êtes tués vous-mêmes, et on ne revient pas plus à la vie morale qu'à la vie physique. » Suit une vraie philippique contre la religion des prêtres, c'est à dire contre le christianisme traditionnel :

« Et d'ailleurs qu'y a-t-il entre les prêtres et Dieu ? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. (Applaudissements.) Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres! (Les applaudissements continuent.) Je ne connais rien de si ressemblant à l'athéisme que les religions qu'ils ont faites; à force de défigurer l'Etre suprême, ils en ont fait tantôt un globe de feu, tantôt un boeuf, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi. Les prêtres ont créé Dieu à leur image; ils l'ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable; ils l'ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendants de Clovis, pour régner sous son nom et se mettre à sa place; ils l'ont relégué dans le ciel, et ne l'ont rappelé sur la terre que pour demander à leur profit des dîmes, des richesses, des honneurs et de la puissance. (Vifs applaudissements.) Le véritable prêtre de l'Être suprême, c'est la nature; son temple, l'univers; son culte, la vertu. >>

Le grand crime que les révolutionnaires imputaient au christianisme, ne pouvait point manquer dans cet acte d'accusation. Robespierre apostrophe rudement les oints du Seigneur et leur demande: << Prêtres, par quels titres avez-vous prouvé votre mission? Avez-vous été plus justes, plus amis de la vérité que les autres hommes? Avez-vous chéri l'égalité, défendu les droits des peuples, abhorré le despotisme et abattu la tyrannie? C'est vous qui avez

dit aux rois : « Vous êtes les images de Dieu sur la terre; c'est de lui seul que vous tenez votre puissance. » Et les rois vous ont répondu : « Oui, vous êtes vraiment les envoyés de Dieu; unissons-nous pour partager les dépouilles et les adorations des mortels. » Le sceptre et l'encensoir ont conspiré pour déshonorer le ciel et pour usurper la terre.» (On applaudit.)

Robespierre recevait des applaudissements frénétiques, quand il attaquait la religion des prêtres; mais qu'allait-il mettre à la place du catholicisme? « Laissons les prêtres, dit-il, et retournons à la Divinité. Attachons la morale à des bases éternelles et sacrées; inspirons à l'homme ce respect religieux pour l'homme, ce sentiment profond de ses devoirs qui est la seule garantie du bonheur social. » Robespierre voulait mettre la vérité à la place des fictions; il espérait que les folies tomberaient devant la raison : << Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre elles-mêmes dans la religion universelle de la nature. » Robespierre demandait en conséquence que la liberté des cultes fût respectée, pour le triomphe même de la raison. Il n'avait pas peur des conspirations tramées par les prêtres; les terribles comités de salut public et de sûreté générale y mettaient bon ordre, et la guillotine fonctionnait en permanence.

Qu'est-ce que cette religion universelle de la nature qui devait absorber tous les cultes? C'est la religion naturelle de Rousseau qui allait devenir une véritable religion civile, puisqu'elle recevait la consécration de la loi. Rousseau était resté dans le domaine de la théorie; quand son disciple voulut mettre la doctrine en pratique, il s'aperçut que la religion, fût-elle purement civile, devait avoir un culte; il l'inaugura par la fête de l'Être suprême qui fit une si grande sensation en France et dans l'Europe entière : c'était la marque éclatante du retour de la Révolution aux principes éternels de la morale et de la religion. « Peuples, dit la Convention nationale dans sa réponse aux manifestes des rois ligués contre la République, peuples, vos maîtres vous disent que la nation française a proscrit toutes les religions, qu'elle a substitué le culte de quelques hommes à celui de la Divinité; ils nous peignent à vos yeux comme une nation idolâtre ou insensée. Ils mentent. Le peuple français et ses représentants respectent la liberté de tous les cultes et n'en proscrivent aucun. Ils honorent la vertu des martyrs de

l'humanité, sans engouement et sans idolâtrie; ils abhorrent l'intolérance et la persécution; ils condamnent les extravagances du philosophisme, comme les crimes du fanatisme. » C'était dire que la Révolution n'entendait être ni catholique, ni athée, mais que sous l'inspiration de Dieu, elle marcherait vers de nouvelles destinées religieuses.

Comment conduire la France vers ce but? Robespierre fait appel à l'éducation publique; il demande, et avec raison, qu'elle soit analogue au principe du gouvernement républicain et à la grandeur de ses destinées; il veut qu'on soustraie les jeunes générations à l'influence funeste des préjugés de famille; s'il avait vécu de nos jours, il aurait ajouté, et à l'influence plus funeste encore de ceux qui exploitent ces préjugés. L'éducation est le plus puissant instrument pour transformer un peuple; il faut un aveuglement sans nom pour la laisser dans les mains de ceux qui sont les ennemis nés de la liberté et de tout progrès. Mais l'éducation n'exerce son influence qu'à la longue, il faut aussi un aliment religieux aux hommes faits; l'instruction elle-même doit s'inspirer des idées et des croyances nouvelles. C'est dans ce but que Robespierre demande l'institution de fêtes nationales. Les fêtes jouent un grand rôle, non seulement dans le discours et dans les projets de Robespierre, mais pendant toute la durée de la République. Robespierre va nous expliquer l'esprit dans lequel elles furent instituées. Les historiens n'y voient qu'une copie des fêtes de l'antiquité païenne. Ce n'est pas rendre justice à la Convention : elle n'est pas plagiaire, elle est révolutionnaire.

<< Rassemblez les hommes, dit Robespierre, vous les rendrez meilleurs; car les hommes rassemblés chercheront à se plaire et ils ne pourront se plaire que par les choses qui les rendent estimables; donnez à leur réunion un grand motif moral et politique, et l'amour des choses honnêtes entrera avec le plaisir dans tous les cœurs; car les hommes ne se voient pas sans plaisir. L'homme est le plus grand objet qui soit dans la nature; et le plus magnifique de tous les spectacles, c'est celui d'un grand peuple assemblé... Un système de fêtes nationales bien entendu serait à la fois le plus doux lien de fraternité, et le plus puissant moyen de régénération. Ayez des fêtes générales et plus solennelles pour toute la république. Ayez des fêtes particulières et pour chaque lieu,

qui soient des jours de repos et qui remplacent ce que les circonstances ont détruit. Que toutes tendent à réveiller les sentiments généreux qui font le charme et l'ornement de la vie humaine, l'enthousiasme de la liberté, l'amour de la patrie, le respect des lois! Que la mémoire des tyrans et des traîtres y soit vouée à l'exécration; que celle des héros de la liberté et des bienfaiteurs de l'humanité y reçoive le juste tribut de la reconnaissance publique; qu'elles puisent leur intérêt et leurs noms mêmes dans les événements immortels de notre Révolution et dans les objets les plus sacrés et les plus chers au cœur de l'homme... Invitons à nos fêtes et la nature et toutes les vertus. Que toutes soient célébrées sous les auspices de l'Etre suprême, qu'elles lui soient consacrées; qu'elles s'ouvrent et qu'elles finissent par un hommage à sa puissance et à la liberté. »

Citons quelques-unes de ces fêtes; elles valent bien celles qui s'étalent dans nos rues. La République célèbre la Liberté, l'Humanité, l'Amour de la patrie. Les paroles de Robespierre ne sont pas indignes de la grandeur du sujet : « Tu donneras ton nom sacré à l'une des plus belles fêtes, ô toi fille de la nature, mère du bonheur et de la gloire! toi seule légitime souveraine du monde, détrônée par le crime; toi à qui le peuple français a rendu l'empire, et qui lui donnes en échange une patrie et des mœurs, auguste Liberté! Tu partageras nos sacrifices avec ta compagne immortelle, la douce et sainte Égalité. Nous fêterons l'Humanité, l'humanité avilie et foulée aux pieds par les ennemis de la République française. Ce sera un beau jour que celui où nous célébrerons la fête du genre humain; c'est le banquet fraternel et sacré, où, du sein de la victoire, le peuple français invitera la famille immense dont seul il défend l'honneur et les imprescriptibles droits! Nous célébrerons aussi tous les grands hommes, de quelque temps et de quelque pays que ce soit, qui ont affranchi leur patrie du joug des tyrans, ou qui ont fondé la liberté par de sages lois. >>

Les fêtes décrétées par la Convention ont toutes un caractère moral. C'est la morale qui est l'essence de la religion civile de Robespierre, comme de toute religion naturelle. Remarquons cependant une différence entre le Catéchisme du citoyen français, et les décrets de la Convention nationale. Volney ne dit pas un mot de

l'immortalité de l'âme; il ne songe pas à établir un culte. Les orgies de 93 firent sentir la nécessité d'appuyer la morale sur les croyances universelles du genre humain. Robespierre voulait fonder la République sur la vertu. Lors de sa lutte contre les enragés, il développa cette idée aux Jacobins : « Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est à dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu je parle de la vertu publique, qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois. » Ce n'était pas exclusivement la vertu publique sur laquelle Robespierre entendait fonder la liberté; à ses yeux la vertu publique ne fait qu'un avec la vertu domestique. Citons ses belles paroles pour les recommander aux méditations de tous ceux qui s'intéressent à l'avenir de notre civilisation : « Tout ce qui tend à purifier les mœurs, à élever les âmes, à diriger les passions du cœur humain vers l'intérêt public, doit être adopté ou établi par vous. Tout ce qui tend à les concentrer dans l'abjection de l'intérêt personnel, à réveiller l'engouement des petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le système de la Révolution française, ce QUI EST IMMORAL EST IMPOLITIQUE; ce qui est corrupteur, est contre-révolutionnaire. La faiblesse, les vices, les préjugés sont le chemin de la royauté (1). >>

Robespierre oppose la vertu républicaine aux vices monarchiques. Il va sans dire que le portrait qu'il fait de la monarchie est une caricature. Mais tout n'était pas de l'exagération. Dans son adresse aux peuples, la Convention nationale repoussa avec indignation le reproche d'immoralité et d'irréligion que les rois coalisés adressaient à la République : « Les rois accusent le peuple français d'immoralité! Peuples, prêtez une oreille attentive aux leçons de ces respectables précepteurs du genre humain. La morale des rois, juste ciel! et la vertu des courtisans! Peuples, célébrez la bonne foi de Tibère et la candeur de Louis XVI, vantez la tempérance et la justice de Guillaume et de Léopold; exaltez la chasteté de Messaline, la fidélité conjugale de Catherine; louez

(1) Buchez, Histoire parlementaire, t. XXXI, pag. 271, 273.

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