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dance un peu vague, sentimentale plus que réelle. Il sentait la nécessité de croyances religieuses, ne fût-ce que comme appui de la morale et comme fondement de la société. Dans son Contrat social, il rejette le christianisme évangélique, parce que c'est une religion de l'autre monde, qui dans son spiritualisme excessif, dédaigne la liberté, et qui, s'il ne prêche point l'esclavage, s'accommode du moins avec le despotisme. Rousseau repousse à plus forte raison le catholicisme qui, outre ce vice originel, est encore inalliable avec l'État, dont il brise la souveraineté, en revendiquant au profit de l'Église et de son chef, le pape, un pouvoir au moins indirect sur l'État. Pour sauver les croyances essentielles de l'humanité, sans lesquelles il ne voyait pas de société possible, l'auteur du Contrat social imagina de faire de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme des lois civiles auxquelles tout citoyen devait se soumettre. Nous avons apprécié ailleurs cette conception inconséquente : c'était au fond la religion naturelle, transformée en religion d'État. Ainsi un nouveau catholicisme, mais incomplet et ne suffisant pas aux besoins de l'âme.

Rousseau, républicain et libre penseur, trouva de nombreux disciples parmi les révolutionnaires les plus ardents. Robespierre était admirateur passionné du philosophe de Genève. Quand le flot montant de la Révolution le porta à la tête du gouvernement, il voulut réaliser les idées de son maître. De là le décret de la Convention qui reconnaît l'existence de Dieu; de là la fête de l'Être suprême que Robespierre appelait le plus beau jour de sa vie (1). Ce n'est pas à dire qu'il ait pris sans rime ni raison l'initiative, pour engager la Convention dans une entreprise religieuse qui était loin de répondre aux aspirations des hommes de 93. Le décret fameux que les orthodoxes aiment à ridiculiser, n'était point une affaire de théorie, une question de doctrine philosophique. Robespierre y fut poussé par les circonstances. La réaction contre les superstitions du passé conduisit aux fêtes de la déesse Raison, vraies orgies de l'incrédulité et de l'athéisme. L'irréligion dégénéra en immoralité, et ce n'était plus une immoralité de spéculation, comme chez quelques écrivains excentriques

(1) Mercier, le Nouveau Paris, t. I, pag. 49.

du dix-huitième siècle, c'était l'immoralité en chair et en os, l'immoralité souillant les temples changés en lieux de débauche, l'immoralité s'étalant dans les rues, où l'on promenait, en procession solennelle, des courtisanes représentant la déesse raison. Ce dévergondage envahit la Convention elle-même; il avait pour lui la puissante commune de Paris, qui était en possession de faire les révolutions; s'il avait pris racine dans les mœurs, c'eût été la ruine de la République, la ruine de la France.

Comment mettre un frein à ces passions impures, écume que jetait le torrent de la Révolution? On ne pouvait pas songer à restaurer le catholicisme; il était plus odieux que jamais aux révolutionnaires : ils disaient que la guerre de la Vendée avait fait éclater la sanguinaire hypocrisie des prêtres. Le mot est d'un membre du terrible comité de salut public, de Billaud-Varennes (1). Un orateur populaire proclamait vers le même temps que la République et la religion du Christ étaient incompatibles : « Elles se combattent perpétuellement, s'écriait-il. Bannissons donc pour toujours cette secte liberticide, et ses dangereux partisans (2). » Cependant les âmes avides de foi éprouvaient un dégoût profond à la vue des orgies de la déesse Raison. Les hommes mêmes qui, sans avoir le besoin de la foi, voulaient une morale, comme fondement de la République, désiraient avec ardeur le retour de la Révolution à des idées religieuses. Il y a un témoignage intéressant de ces sentiments dans une adresse que les Jacobins firent à la Convention nationale: <«< On voulait anéantir la Divinité pour anéantir la vertu. La vertu n'était plus qu'un fantôme, l'Être suprême qu'un vain mensonge, la vie à venir qu'une chimère trompeuse, la mort un abîme sans fin. On était parvenu à obscurcir toutes les idées primitives que la nature a placées dans le cœur de l'homme; on commençait à éteindre tous les sentiments bons et généreux; la liberté et la patrie ne semblaient plus que des ombres légères dont la vue abusait les regards (3). »

C'est dans ces circonstances que Robespierre, au nom du comité

(1) Rapport de Billaud-Varennes, à la Convention nationale. (Buchez, Histoire parlemen taire, t. XXXII, pag. 337.)

(2) Discours décadaires, par le citoyen Poultier, député à la Convention na tionale. (L'abbé Gaume, la Révolution, t. II, pag. 191.)

(3) Buchez, Histoire parlementaire, t. XXXII, pag. 384.

de salut public, proposa le décret par lequel la Convention déclare que la France reconnaît l'existence d'un Être suprême. Le discours qu'il prononça mérite que l'on s'y arrête; il ne s'agit pas seulement de l'opinion d'un homme, cet homme était l'organe d'un parti puissant; et même après sa chute, ses doctrines morales et religieuses eurent un long retentissement chez les républicains. Robespierre combat vivement l'athéisme : « Qui donc, s'écrie-t-il, t'a donné la mission d'annoncer au peuple que la Divinité n'existe pas, à toi qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie? Quel avantage trouves-tu à persuader à l'homme qu'une force aveugle préside à ses destinées et frappe au hasard le crime et la vertu? L'idée de son néant lui inspire-t-elle des sentiments plus purs et plus élevés que celle de son immortalité? Lui inspire-t-elle plus de respect pour ses semblables et pour lui-même, plus de dévoûment pour la patrie, plus d'audace à braver la tyrannie, plus de mépris pour la mort ou la volupté?... L'innocence sur l'échafaud fait pâlir le tyran sur son char de triomphe; aurait-elle cet ascendant, si le tombeau égalait l'oppresseur et l'oppressé (1)? »

Robespierre parlait en homme d'État. Déjà dans le club de ses fidèles Jacobins, il s'était élevé avec force contre l'athéisme. Les enragés, comme on appelait les exagérés de 93, voulaient, sous prétexte de détruire la superstition, faire une sorte de religion de l'athéisme. <«< Que les philosophes pensent sur Dieu tout ce qu'ils voudront, dit Robespierre, c'est leur droit, mais l'homme public, mais le législateur serait insensé, s'il adoptait un pareil système. La Convention nationale n'est point un faiseur de livres, un auteur de théories métaphysiques; c'est un corps politique chargé de faire respecter, non seulement les droits, mais le caractère du peuple français. Ce n'est point en vain qu'elle a proclamé la déclaration des droits en présence de l'Etre suprême. » La réaction contre le christianisme était si forte, que Robespierre fut obligé de se défendre contre le reproche d'être un fanatique. Il répondit qu'il parlait comme représentant du peuple, et il lança contre ses adversaires, les matérialistes, l'accusation aussi juste qu'elle était terrible à cette époque, que l'athéisme est aristocratique : « L'idée

(1) Moniteur du 19 floréal an II.

d'un grand Être, qui veille sur l'innocence opprimée et qui punit le crime triomphant, est toute populaire. » Ces paroles furent accueillies par de vifs applaudissements. Robespierre reprit : «< Le peuple, les malheureux m'applaudissent; si je trouvais des censeurs, ce serait parmi les riches et parmi les coupables. J'ai été, dès le collége, un assez mauvais catholique; je n'ai jamais été, ni un ami froid, ni un défenseur infidèle de l'humanité. Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer (1). » Le reproche que Robespierre faisait à l'athéisme d'être aristocratique, conduisit les chefs des enragés sur l'échafaud, et l'on peut affirmer qu'il convertit plus d'un athée. Couthon, l'homme sentimental de la Terreur, saisit l'idée de son ami, et la développa au sein de la Convention: << Oh! qu'ils savaient bien, les monstres qui ont prêché l'athéisme et le matérialisme, qu'ils savaient bien que le moyen le plus sûr de tuer la Révolution était d'enlever aux hommes toute idée d'une vie future, et de les désespérer par celle du néant. Ils voulaient faire du peuple français un peuple de brigands, pour qu'il devînt ensuite un peuple d'esclaves. Et ce devait être l'effet naturel de l'athéisme qui dessèche le cœur, énerve toutes les facultés de l'âme, étouffe dans les hommes tout sentiment de générosité, de justice, de probité, de vertu et d'énergie (2). »

Ce qui attache surtout Robespierre à la croyance de la Divinité, c'est l'idée de providence et de justice : « Ce sentiment, dit-il aux Jacobins, anima dans tous les temps les plus magnanimes défenseurs de la liberté. Aussi longtemps qu'il existera des tyrans, il sera une consolation douce au cœur des opprimés; et si jamais la tyrannie pouvait renaître parmi nous, quelle est l'âme énergique et vertueuse qui n'appellerait point en secret, de son triomphe sacrilége, à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l'arrêt de mort de tous les tyrans! Il me semble du moins que le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux, en se reposant sur cette idée consolatrice. » Robespierre porta ces mêmes pensées à la tribune de la Convention nationale : « L'idée de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme est un rappel continuel à la justice: elle est donc

(1) Buchez, Histoire parlementaire, t. XXX, pag. 277. (2) Idem, ibid., t. XXXII, pag. 387.

sociale et républicaine... Aussi je ne sache pas que jamais aucun législateur se soit avisé de nationaliser l'athéisme. » Robespierre dit que les législateurs ont cherché plutôt à fortifier les idées religieuses, en y mêlant des fictions empruntées aux croyances populaires «Soyez heureux, ajoute-t-il, de vivre dans un siècle et dans un pays dont les lumières ne vous laissent d'autre tâche à remplir que de rappeler les hommes à la nature et à la vérité. » Robespierre et à sa suite la Convention, en décrétant l'existence d'un Être suprême et l'immortalité de l'âme, rompaient décidément avec les tendances matérialistes qui avaient entraîné une partie du dix-huitième siècle. C'est une réponse victorieuse aux accusations que l'ignorance et la mauvaise foi s'obstinent à lancer contre la Révolution. Non, elle ne procède pas du matérialisme et de l'athéisme. Elle fut incrédule, en ce sens qu'elle n'était plus catholique ni même chrétienne, mais elle avait une foi c'était la foi de Voltaire, Dieu et la liberté, et la foi plus intime encore de Rousseau. Quant aux encyclopédistes, la Révolution les répudia par l'organe de Robespierre: « Cette secte, dit-il, en matière de politique, resta toujours au dessous des droits du peuple; en matière de morale, elle alla beaucoup au delà de la destruction des préjugés religieux. Ses coryphées déclamaient quelquefois contre le despotisme, et ils étaient pensionnés par les despotes... Cette secte propagea avec zèle l'opinion du matérialisme, qui prévalut parmi les grands et parmi les beaux esprits. On lui doit en partie cette espèce de philosophie pratique, qui, réduisant l'égoïsme en système, regarde la société humaine comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste et de l'injuste, la probité comme une affaire de goût et de bienséance, le monde comme le patrimoine des égoïstes adroits. »

Robespierre oppose avec orgueil à ces prédicateurs de l'égoïsme son maître chéri, Rousseau : « Par l'élévation de son âme et la grandeur de son caractère, il se montra digne du ministère de précepteur du genre humain. Il attaqua la tyrannie avec franchise; il parla avec enthousiasme de la Divinité; son éloquence mâle et probe peignit en traits de flamme les charmes de la vertu; elle défendit ces dogmes consolateurs que la raison donne pour appui au cœur humain... Ah! s'il avait été témoin de cette Révolution dont il fut le précurseur et qui le porta au Panthéon, qui peut

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