opprimée la punition du crime oppresseur ». La morale ne suffit point, dit notre auteur, il faut qu'elle ait une sanction. C'est plus qu'une sanction; car si Dieu n'intervenait que pour punir, le méchant seul devrait avoir un Dieu. Non, la vertu avant tout a besoin de la Divinité, elle ne devient réellement vertu, qu'en s'inspirant de Dieu : « Sans le sentiment de la Divinité, il n'est pas de vertu. » La différence entre le Catéchisme du citoyen, et le Catéchisme de l'an II est capitale. Volney construit une morale, sans aucune idée religieuse, sauf la notion d'un Dieu législateur. Une morale purement philosophique est possible, mais elle ne pourra jamais servir à fonder une religion. Elle mutile l'homme; d'un être fait pour une existence infinie, elle fait un être fini, et le limite à cette terre. Blanchard est bien plus dans le vrai quand il dit que la religion et la morale doivent s'unir. «Quand la religion manque, la morale n'est plus qu'une illusion; et quand la morale se corrompt, la religion s'éteint. » Ce qu'il faut surtout à l'homme, c'est la conviction du lien intime qui l'unit à Dieu; cette croyance manquait aux philosophes du dixhuitième siècle, à ceux-là mêmes qui restèrent religieux, tels que Rousseau. C'était un sentiment vague, parce qu'il manquait de base. Du moment où les hommes éprouvèrent le besoin d'une religion, ils tournèrent leurs regards vers Dieu, et ils comprirent que de lui venait non seulement la loi naturelle, mais aussi l'inspiration qui nous porte à l'observer. Nous trompons-nous? Il nous semble que chez l'obscur écrivain de l'an II, il y a un germe de cette foi qui peut seule fonder une religion. « Les lois humaines, dit-il, ont leur source dans la Divinité; il faut donc sans cesse rappeler les hommes à Dieu, afin qu'ils aient un motif plus puissant de les respecter. » Blanchard est si pénétré de l'idée d'un Dieu, qui s'identifie avec notre existence, qu'il ne comprend pas l'athéisme; il dit que l'athéisme est un monstre tellement éloigné de la nature, qu'il est pour lui aussi incompréhensible que le néant; il est très persuadé qu'il n'y a jamais eu d'athée. Quand on admet la nécessité d'une religion, naît la question de savoir s'il faut un culte. Le dix-huitième siècle était hostile à tout culte; il poursuivait les prêtres d'une haine inextinguible. Platon Blanchard ne veut entendre parler ni d'église, ni de sacerdoce. « Pas de temple, s'écrie-t-il; c'est le sé jour de la superstition et de l'imposture. La nature servira de temple. » Cependant il avoue la nécessité d'un culte, au moins pour le peuple; il unit davantage les hommes les uns aux autres. S'il faut un culte, faut-il aussi des ministres pour le célébrer? Non. Les magistrats serviront de prêtres, ou des citoyens qui seront autorisés à faire des exhortations morales. Il doit donc y avoir une instruction religieuse, mais elle se bornera à cet enseignement: « Il est un Dieu, il aime le juste et il châtie le méchant. » L'auteur veut aussi qu'il y ait des fêtes; elles auront pour objet Dieu et la patrie; elles inspireront au peuple un plus grand amour pour Dieu et pour les hommes. C'est encore le magistrat qui y présidera. En ce point l'orateur se rapproche des idées qui dominaient sous la République. Nous les retrouverons chez Robespierre et dans la religion décadaire. No 3. Bonneville Il manquait quelque chose aux théories de religion naturelle : des croyances positives sur la destinée de l'homme. On était encore trop près de la philosophie du dix-huitième siècle pour y songer. Les libres penseurs avaient fait une guerre à mort à tout ce qui s'appelle dogme, parce que, à leurs yeux, le dogme se confondait avec la révélation; or, en 93 comme avant 89, la révélation était toujours flétrie comme une imposture. C'est l'expression de Platon Blanchard; il y voyait la source de toutes les extravagances et de toutes les superstitions. Il ne réfléchissait pas que lui-même proposait des articles de foi. Il les réduisait à trois. « Il y a un être suprême. L'être suprême est tout-puissant, bon et juste. L'âme est immortelle. » Il est évident que s'il y a trois dogmes, il peut y en avoir un plus grand nombre. Il est tout aussi évident qu'il manque un article essentiel à cette théologie. Ce qui intéresse surtout l'homme, c'est sa destinée. Nous osons affirmer que, s'il tient à l'idée de Dieu, c'est qu'il y trouve une réponse quelconque au problème qui le tourmente dès qu'il commence à penser, et qui ne cesse de le tourmenter jusqu'à ce qu'il ait trouvé une solution qui donne satisfaction à sa raison et à son cœur. La philosophie, pour mieux dire, la conscience progressive de l'humanité lui a enseigné qu'il n'y a point d'enfer, et que le ciel est aussi chimérique que le royaume de Satan. Nous sommes d'accord. Mais il reste un vide; la vague croyance que l'âme est immortelle ne suffit point. L'homme veut savoir d'où il vient et où il va. Il faut une réponse à ces questions, car de là dépend la conception de la vie présente. C'est parce que l'idée de la vie future des chrétiens est fausse, que leur conception de ce monde l'est aussi. Il faut remplacer l'erreur par la vérité. Les philosophes répondent que nous l'ignorons, et que nous ne la saurons jamais. Sans doute, cette croyance ne se démontre point mathématiquement. Mais n'en est-il pas de même de toute croyance? Où les philosophes puisent-ils la conviction qu'il y a un Dieu ? que l'âme est immortelle? Voilà aussi des vérités dont la démonstration rigoureuse est impossible. Pourquoi donc les admettent-ils? Parce que la conscience générale les proclame comme articles de foi. Eh bien, la conscience générale s'est aussi toujours et partout formé une idée quelconque, mais positive, sur la vie future et sur le lien qui unit l'existence actuelle à celle qui nous attend. Consultez-la; elle vous répondra. Ajoutons qu'il faut de toute nécessité des dogmes formulés en articles de foi. Il le faut pour qu'il puisse y avoir une éducation religieuse. Et s'il n'y a point d'éducation religieuse, comment y aurait-il une religion, un culte, une vie religieuse? Que l'on y prenne garde! C'est précisément parce que les catéchismes de religion naturelle ne donnaient point de réponse à cette question, que l'humanité les a laissés là, pour retourner au catéchisme catholique. En 1792, un écrivain presque aussi inconnu que Blanchard, publia à Paris un ouvrage intitulé de l'Esprit des religions. Ce qui préoccupe surtout Bonneville, c'est la grande question de la destinée de l'homme; il déclare ouvertement que « tout ce qui n'a pas pour objet de comprendre la vie lui est indifférent. » Il se pose cet éternel problème, et la manière dont il le pose, indique déjà la solution qu'il lui donnera : « Je suis, parce que j'ai été, je serai, parce que je suis. Quel sera mon partage sur la terre, quand le moi, qui ne peut mourir, y reprendra une peau nouvelle (1)? » C'est l'idée d'une vie continue, infinie; elle est destinée à remplacer la croyance chrétienne du ciel et de l'enfer. (1) Bonneville, de l'Esprit des religions, pag. 3. Chose remarquable! L'idée d'une vie continue est la première solution que l'esprit humain ait donnée au redoutable problème qui sera toujours l'objet de ses préoccupations. Mais la forme que prit cette croyance était fausse, c'était celle d'une transmigration des âmes à travers tous les objets animés ou inanimés du monde physique. Ainsi formulée la doctrine de l'immortalité ne répond pas aux aspirations de l'homme. Son individualité même n'est point respectée, puisqu'il peut cesser de penser et de sentir. Puis cette doctrine n'apprend pas aux hommes quel est le terme final de leurs souffrances et de leurs travaux. Est-ce un cercle fatal des mêmes erreurs et des mêmes expiations comme chez les bouddhistes? Il manquait un élément aux anciens pour concevoir la destinée humaine, la notion du progrès. C'est seulement quand la vie infinie est une existence progressive, qu'elle donne satisfaction à notre désir d'immortalité. Bonneville transforme la croyance des anciens; il dit qu'ils l'ont appelée à tort transmigration, c'est plutôt un développement des êtres organisés vers une vie meilleure : « Si l'espèce humaine se perfectionne sur la terre, je dois marcher avec elle, et je reviendrai, après chaque heure de travail, et quelques heures de sommeil, recommencer avec elle un nouveau travail, et marcher vers la perfection. » Bonneville croit donc que l'homme renaît sur cette terre. Toutefois il n'affirme rien d'une manière absolue; il ajoute : << Mon esprit, germe éternel, peut acquérir une telle activité, qu'il s'élance dans une autre sphère où il trouvera à se mieux organiser (1). » Nous applaudissons à cette réserve et à cette mesure. Quand on veut trop préciser les détails de la vie future, on tombe dans la fiction, dans le domaine de la poésie. Il faut abandonner ces accidents à la foi individuelle; chacun se créera un ciel à sa guise. Il n'y a point grand mal à cela, pourvu que tous aient une conviction ferme de la persistance de leur individualité. C'est sur ce point que nous aurions des critiques à adresser à Bonneville, si nous pouvions nous arrêter à discuter sa doctrine. Il tend à absorber l'individualité dans le grand être. C'est une tendance funeste, car elle vicie la croyance de l'immortalité dans son essence, elle la détruit même. Si la vie est continue et progres (1) Bonneville, de l'Esprit des religions, pag. 61, 62. sive, elle doit être individuelle. Ce n'est que dans cette existence individuelle que l'homme trouve sa satisfaction. Les catholiques qui ont le privilége de posséder la vérité absolue, aiment à se moquer du dogme d'une vie continue, infinie et progressive. A les entendre, c'est une mauvaise réminiscence de Pythagore; c'est une erreur du panthéisme, que deux ou trois philosophes de notre temps ont trouvé bon de réchauffer. Nous répondrons ailleurs aux objections sérieuses que l'on fait contre cette conception de la vie. Pour le moment, nous nous bornons à remarquer comment les dogmes naissent dans la conscience générale. Les vieilles religions ont toutes des prétentions à une origine divine, à une révélation miraculeuse de la vérité. Il y a une révélation plus certaine, qui se fait, sous l'inspiration de Dieu, dans le sein de l'humanité. Le dogme d'une vie continue nous en offre plus d'un témoignage. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, cette croyance se trouve chez des écrivains, les uns hommes de génie, les autres obscurs et inconnus, elle se trouve dans des pays divers, sans que l'on puisse saisir aucun lien de filiation entre ceux qui l'enseignent. Le seul lien qui les reliait, c'est Dieu. Il inspire les hommes et il les guide; ainsi agit cette révélation permanente qui prépare sans cesse de nouvelles destinées à l'humanité il n'y a point de dernier mot de Dieu. § 2. La Religion civile No 1. Le culte de l'Etre suprême Les hommes de la Révolution n'acceptaient le christianisme que comme une nécessité politique; disciples de la philosophie, ils étaient, en immense majorité, ennemis de toute religion révélée. Mais il y a dans la philosophie du dix-huitième siècle deux mouvements bien distincts: l'un prêche plus ou moins ouvertement le matérialisme, et n'admet d'autre loi pour les hommes que la morale, une morale purement civile qui implique la négation de la religion l'autre maintient l'idée de religion, tout en répudiant le christianisme traditionnel. Rousseau était l'apôtre de cette ten |