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de la vie; et quand un homme manque du nécessaire, il est bien près de se le procurer par des moyens vicieux, c'est à dire nuisibles à la société. Toutes les vertus individuelles, au contraire, tendent à procurer à l'homme une subsistance abondante; et quand il a plus qu'il ne consomme, il lui est bien plus facile de donner aux autres, et de pratiquer les actions utiles à la société. »

Si nous opposons les sentiments de l'humanité moderne à ceux de l'Évangile, et si nous leur donnons la préférence, c'est seulement en ce qu'ils ont de légitime. Il y a une lèpre qui ronge notre société, ce sont les besoins factices, la passion des jouissances matérielles. Les défenseurs du christianisme accusent la philosophie et surtout celle du dix-huitième siècle d'avoir développé ce vice. Volney, formulant à la fin de ce siècle les maximes des philosophes, va nous dire si le reproche qu'on leur fait est fondé : « Le luxe, dit-il, est un vice pour l'individu et la société, à tel point, que l'on peut dire qu'il embrasse avec lui tous les autres; car l'homme qui se donne le besoin de beaucoup de choses, se soumet par cela à tous les moyens justes ou injustes de leur acquisition. A-t-il une jouissance, il lui en faut une autre, et au sein du superflu, il n'est jamais riche. Pour fournir à tant de dépenses, il lui faut beaucoup d'argent; et, pour se le procurer, tout moyen lui devient bon et même nécessaire; il emprunte d'abord, puis il dérobe, pille, vole, fait banqueroute, est en guerre avec tous, ruine et est ruiné. Que si le luxe s'applique à toute une nation, il y produit en grand les mêmes ravages; elle se trouve pauvre avec l'abondance, elle se ruine et tombe dans la dissolution. Tous les citoyens étant avides de jouissances, se mettent dans une lutte violente pour se les procurer; tous se nuisent ou sont prêts à se nuire... Du luxe naît l'avidité; de l'avidité, l'invasion par violence, par mauvaise foi. Du luxe naît l'iniquité du juge, l'improbité de l'époux, la prostitution de la femme, l'avarice du maître, le pillage du serviteur, le brigandage du fonctionnaire... En sorte que c'est avec un sens profond de vérité que les anciens moralistes ont posé la base des vertus sociales sur la simplicité des mœurs, la restriction des besoins, le contentement de peu... >>

Nous avons cité ce long passage du Catéchisme de Volney, pour répondre aux calomnies dont la philosophie est toujours l'objet de la part des catholiques. Si nous avions des prédicateurs de la loi

naturelle, qui prêcheraient toujours et sans cesse contre les besoins factices, ces sermons ne seraient-ils pas plus salutaires que ceux que l'on débite dans nos chaires de vérité, sur l'immaculée conception? Il y a encore un autre reproche que l'on fait aux philosophes, un autre éloge que l'on fait de la morale évangélique : on porte aux nues la pureté de celle-ci, et l'on accuse l'autre de fomenter les passions impures. La vérité est que la morale évangélique est fausse à force d'exagération. On va entendre, si la loi naturelle est une loi d'impureté. Jésus-Christ mourut vierge, et saint Paul dit que le mariage n'est bon que comme remède à la maladie de l'incontinence. Est-ce là l'idéal de l'humanité? C'est l'idéal des moines : « La chasteté absolue n'est utile ni à la société, ni à l'individu, elle est même nuisible à l'un et à l'autre. D'abord elle nuit à la société, en ce qu'elle la prive de la population, qui est un de ses principaux moyens de richesse et de puissance; et de plus, en ce que les célibataires, bornant toutes leurs vues et leurs affections au temps de leur vie, ont en général un égoïsme peu favorable aux intérêts généraux de la société. En second lieu, elle nuit aux individus qui la pratiquent, par cela même qu'elle les dépouille d'une foule d'affections et de relations qui sont la source de la plupart des vertus domestiques et sociales... » Est-ce à dire que la loi naturelle va prêcher la promiscuité, la prostitution et le libertinage? « Elle prescrit la continence, parce que la modération dans la plus vive de nos sensations est non seulement utile, mais indispensable au maintien des forces de la santé... Elle défend le libertinage par les maux nombreux qui en résultent pour l'existence physique et morale... >>

Il est vrai que la religion chrétienne a des vertus et des pratiques que la loi naturelle ignore. L'Église catholique a tout un système de pénitences: les prières, les vœux, les offrandes à Dieu, les jeûnes, les mortifications. Sa législation pénitentiaire peut être utile pour des peuples barbares, mais il est certain qu'elle ne développe point la vraie moralité. Comme réparation du mal fait par le pécheur, il est évident que toutes ces bonnes œuvres sont inutiles. Elles manquent donc le but de la justice. En tant que le prêtre fait rémission des péchés à celui qui se soumet à ces pénitences, « elles sont un contrat pervers par lequel un homme vend à un autre un bien qui ne lui appartient pas. » Il

faut dire plus «< elles sont une véritable dépravation de la morale, en ce qu'elles enhardissent à consommer tous les crimes par l'espoir de les expier. »>

Il est presque inutile de parler de l'abstinence, cette vertu par excellence des moines, quand ils prennent la perfection monastique au sérieux. Elle conduit à la folie de saint Bernard, partagée par Pascal; la santé devient un mal, et la maladie l'état naturel du chrétien. Volney dit que l'abstinence est une excellente chose, lorsque l'on a trop mangé; à ce titre, elle devait être une vertu très nécessaire dans les couvents, si l'on en croit la chronique scandaleuse; mais dans la vie réelle, refuser les aliments au corps, quand il en a besoin, le laisser souffrir de faim ou de froid, « c'est un délire et un véritable péché contre la loi naturelle. »

La loi naturelle de Volney est intitulée Catéchisme du citoyen. C'est une loi pour la vie civile; tous ses préceptes se rapportent à l'homme social, et avec raison, parce que l'homme n'existe que dans l'état de société. Qu'est-ce que le bien selon cette morale? « C'est tout ce qui tend à conserver et à perfectionner l'homme. >> Qu'est-ce que le mal? « C'est tout ce qui tend à le détruire et à le détériorer. » Qu'est-ce qu'un péché, selon la loi naturelle? « C'est tout ce qui tend à troubler l'ordre établi par la nature, pour la conservation et la perfection de l'homme et de la société. >> Qu'est-ce que la vertu et le vice? « La vertu est la pratique des actions utiles à l'individu et à la société. Le vice est la pratique des actions nuisibles à l'individu et à la société. » C'est la morale que nous dicte la conscience. Ajoutons que c'est notre religion à tous. Nous parlons même de la masse des chrétiens. Il y a encore par-ci par-là des parfaits à la façon des moines, des candidats à la sainteté. C'est une perfection de l'autre monde. Malheureusement ces gens si parfaits pour le septième ciel, ne le sont guère pour notre misérable terre. Nous préférerions les voir moins parfaits et remplissant les devoirs que la société leur impose, tandis que trop souvent des élus de Dieu violent les devoirs sociaux; pour le salut de leur âme, cela va sans dire, mais aussi au profit de leur Église. C'est la caricature de la religion du Christ, religion de l'autre monde, il est vrai, mais qui tend du moins à sanctifier l'homme intérieur.

No 2. Platon Blanchard

Camille Desmoulins, témoin des orgies de 93, dit que l'athéisme est un mauvais moyen de guérir les âmes de la superstition. Citons ses paroles: « Clootz et Chaumette croient pousser à la roue de la raison, tandis que c'est à celle de la contre-révolution; et bientôt, au lieu de laisser mourir en France, de vieillesse et d'inanition, le papisme prêt à rendre le dernier soupir, par la persécution et l'intolérance contre ceux qui voudraient messer et être messés, je vous promets de faire passer force recrues à Lescure et à la Roche-Jacquelin (1). » Rien de plus vrai. De là la réaction catholique qui se fit à la suite de la Révolution. La religion n'était pas morte, comme le pensaient ceux qui voyaient les prêtres se déprêtriser, et les fidèles célébrer le culte de la raison. Camille Desmoulins lui-même constate, dans son Vieux Cordelier, la puissance que conservaient des croyances qu'il était loin de partager. Il s'inquiète, dit-il, de ne pas s'apercevoir assez des progrès de la raison autour de lui : « Il faut à l'esprit humain malade, pour le bercer, le lit, plein de songes, de la superstition; et à voir les processions, les fêtes que l'on institue, il me semble qu'on ne fait que changer de lit le malade, seulement on lui retire l'oreiller de l'espérance d'une autre vie. Comment le savant Clootz a-t-il pu ignorer qu'il faut que la raison et la philosophie soient devenues plus communes encore, plus populaires qu'elles ne le sont dans les départements, pour que les malheureux, les vieillards, les femmes puissent renoncer à leurs vieux autels et à l'espérance qui les y attache? Comment peut-il ignorer que la politique a besoin de ce ressort? que Trajan n'eut tant de peine à subjuguer les Daces, que parce que à l'intrépidité des barbares ils joignaient une persuasion plus intime de l'existence du palais d'Odin, où ils recevraient à table le prix de leur valeur? Comment peut-il ignorer que la liberté elle-même ne saurait se passer de cette idée d'un Dieu rémunérateur, et qu'aux Thermopyles, le célèbre Léonidas exhortait ses trois cents Spartiates, en leur promettant le brouet noir, la salade et le fromage chez Pluton? >>

(1) Le Vieux Cordelier, n° II. (Collection de Baudouin, t. XLVII, pag. 44.)

Ne dirait-on point qu'il y a au fond de cette ironie un regret, et comme une dernière espérance d'une autre vie? Les horreurs de 93, l'échafaud toujours dressé, les révolutionnaires eux-mêmes y montant tour à tour, ce spectacle incessant de la mort ne devait-il pas réveiller des croyances qui n'étaient pas entièrement éteintes, même chez les incrédules de profession? Il est certain qu'il y eut une réaction en faveur des idées religieuses. On le voit par un Catéchisme de la Nature publié à Paris, l'an II de la République, par Platon Blanchard, citoyen de la section de la Réunion. L'auteur est sans notoriété et sans talent; il exprime d'autant mieux les sentiments généraux. Le titre seul est significatif; après les mots Catéchisme de la Nature, se trouvent ceux-ci : ou Religion et morale naturelles. Dans son Catéchisme du citoyen, Volney ne prononce pas le nom de religion; Dieu n'y figure que comme législateur, rien n'indique que l'auteur ait cru à une vie future. Pour Blanchard, la loi naturelle devient une religion. C'est un immense progrès, quelles que soient du reste les croyances du citoyen de Paris. Nous allons l'entendre. Il a assisté aux orgies de 93. Quelle impression en a-t-il conservée ? En apparence, il avait suffi d'un instant pour transformer les adorateurs du Christ en adorateurs de la Raison. Des observateurs superficiels s'y laissèrent tromper. Le citoyen Blanchard aime aussi la raison, mais il est d'avis qu'en fait de religion on ne passe pas en vingt-quatre heures de la superstition à une croyance rationnelle. Il veut que l'on édifie, à mesure que l'on détruit, c'est à dire que l'on inculque la vérité dans l'esprit des hommes, à mesure que l'on en déracine l'erreur. Blanchard n'est pas très enthousiaste des fêtes de la déesse Raison; il ne voit point quel bien elles ont fait à la raison. Elles n'ont certes pas éclairé le peuple. Dans son humble jugement, au lieu de promener une belle femme par les rues, mieux eût valu faire un discours moral, simple et plein de sentiments.

C'est le bon sens de l'homme du peuple, mais c'est aussi un besoin religieux qui se révèle. Nous laissons de côté la morale de Platon Blanchard, elle n'a rien de remarquable; essayons plutôt de saisir les éclairs de religion qui s'y mêlent. Nous venons de dire que le Dieu de Volney est simplement législateur; le Dieu de Blanchard est de plus l'essence de la justice : « Il doit à l'innocence

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