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titres sur lesquels le christianisme fonde son origine divine et son universalité sont faux; c'est une révélation imaginaire, qui n'a d'autre base que l'ignorance et la crédulité des peuples, et trop souvent la fraude et le mensonge.

La loi naturelle n'a pas besoin de recourir à de faux titres, elle n'a pas besoin de faire appel à l'aveugle crédulité des hommes, car elle n'est point miraculeuse, mais raisonnable. « Ses préceptes, dit Volney, et toute sa doctrine sont conformes à la raison et à l'entendement humain. » C'est, ajoute le Catéchisme du citoyen, un caractère qui distingue la religion naturelle de toutes les religions. << Toutes contrarient la raison et l'entendement de l'homme, et lui imposent avec tyrannie, une croyance aveugle et impraticable. » Quoi de plus opposé à la nature? Dieu n'a-t-il pas donné la raison à l'homme pour qu'il s'en serve librement? Cependant cet usage d'une faculté divine était traité, au moment où Volney écrivait, de folie et de chose monstrueuse par le chef d'une Église qui se prétend le vicaire infaillible de Dieu! Il y avait folie, mais c'est du côté du pape; il y avait quelque chose de monstrueux, c'est la pré tention d'un homme, faible créature, à l'infaillibilité. La source première de ces erreurs est la croyance funeste d'une révélation surnaturelle, dont l'Église a le dépôt. De là l'intolérance, la persécution, les bûchers de l'inquisition, les guerres dites sacrées. Ce qui caractérise, au contraire, la loi naturelle, c'est qu'elle est pacifique et tolérante. Volney dit qu'elle est tolérante parce qu'elle considère tous les hommes comme frères et égaux en droits, et leur conseille en conséquence à tous paix et tolérance, même pour leurs erreurs. En apparence le christianisme tient le même langage. Est-ce que Volney le calomnie donc quand il ajoute que toutes les religions « recherchent la dissension, la discorde, la guerre, et qu'elles divisent les hommes par des prétentions exclusives de vérité et de domination? » Non, l'Évangile ne prêche point la division et la guerre; pourquoi donc le christianisme a-t-il couvert le monde de sang et de ruines? C'est que l'idée d'une révélation miraculeuse a vicié l'Évangile, et servi de piédestal à une Église ambitieuse pour fonder l'empire le plus tyrannique qui ait jamais existé.

Jusqu'ici la religion naturelle a une supériorité incontestable sur les religions positives. Mais les sectateurs du Dieu jaloux des

chrétiens prétendent que la loi naturelle équivaut à l'athéisme. Dans leur zèle aveugle, ils ne réfléchissent point que leur accusation implique une contradiction, pour mieux dire, c'est une calomnie. On ne l'épargne pas à Volney; il y répond d'avance dans son Catéchisme. « Il n'est pas vrai, dit-il, que les sectateurs de la loi naturelle soient athées. Au contraire, ils ont de la Divinité des idées plus fortes et plus nobles que la plupart des autres hommes; car ils nela souillent point du mélange de toutes les faiblesses et de toutes les passions de l'humanité. » Il est vrai que Volney n'enseigne aucun mystère; il ne sait rien des personnes divines, il ne prononce point le mot de trinité. Les chrétiens en savent-ils plus, pour avoir pendant des siècles fatigué leur intelligence à pénétrer la nature d'un être qui est impénétrable, puisque le fini ne parviendra jamais à connaître l'infini? A quoi ont abouti les profondes spéculations de la théologie? A légitimer une superstition nouvelle, celle de l'Homme-Dieu : ce qui, en fait, a conduit à un nouveau paganisme.

Les orthodoxes reprochent à la loi naturelle, de ne pas enseigner quel culte il faut rendre à Dieu. Entendons-nous. Oui, la loi naturelle ne sait rien des sacrements, elle ne fait pas accroire aux hommes, que l'enfant en naissant est en proie au démon, et que s'il meurt avant d'avoir été exorcisé par le baptême, il est damné par la seule raison qu'il descend d'Adam. La loi naturelle ne donne pas Dieu à manger et à boire aux hommes. Elle ne leur apprend point qu'en allant à confesse et à communion, ou en léguant leurs biens à quelque couvent, ils se rachèteront des suites de leurs péchés. Elle ne leur dit point qu'ils doivent aller à l'église le dimanche, et s'abstenir de viande le vendredi. Elle ne veut pas qu'avant de mourir, ils se fassent oindre, et elle n'attache aucun bien spirituel à ce que leurs ossements reposent dans une terre bénite. La loi naturelle ignore tout cela. Est-ce à dire qu'elle ne nous enseigne pas comment il faut honorer Dieu? Volney répondra à notre question. Il demande quel culte les sectateurs de la loi naturelle rendent à Dieu : « Un culte tout entier d'action, ditil; la pratique et l'observation de toutes les règles que la suprême sagesse a imposées aux mouvements de chaque être; règles éternelles et inaltérables par lesquelles elle maintient l'ordre et l'harmonie de l'univers, et qui, dans leurs rapports avec l'homme,

composent la loi naturelle. » Cela vaut bien, nous semble-t-il, les œufs et les poissons que les chrétiens romains mangent en carême.

La morale évangélique est le cheval de bataille des défenseurs du christianisme. Nous avons dit ailleurs (1) que les philosophes contribuent à fausser les idées sur la morale chrétienne, en la représentant comme un type, comme un idéal, bien qu'euxmêmes se gardent bien de la pratiquer, par une excellente raison, c'est qu'elle est impraticable, et elle est impraticable, non parce qu'elle est trop sublime, comme disent les orthodoxes, mais parce qu'elle est faussée par un spiritualisme excessif. Il y a un principe vrai dans l'Évangile. Jésus-Christ dit à ses disciples: Soyez parfaits comme votre père dans les cieux. Toutes les sectes religieuses, toutes les écoles philosophiques acceptent cette règle de la vie; mais reste à savoir ce qu'est la perfection: ceci est le point essentiel. Les chrétiens la placèrent à fuir le monde, à déserter la cité, à mépriser la propriété, à dédaigner le mariage. Cette perfection conduit tout droit au monachisme. Est-ce là l'idéal de notre destinée? Ce serait dire que l'idéal de la vie c'est la mort. Écoutons le Catéchisme du citoyen sur cette question; il n'y en a point de plus capitale.

Il y a chez les philosophes du dix-huitième siècle une idée commune à toutes les écoles, c'est que le bonheur est le but de notre destinée. C'est une fausse conception, qui prête aux plus dangereux égarements. Ne pourrait-on pas en conclure avec les matérialistes que le bonheur consiste dans le plaisir? Volney rejette cette doctrine : « Le plaisir, dit-il, n'est pas plus l'objet principal de notre existence que la douleur; le plaisir est un encouragement à vivre. » Volney ne veut pas même, et il a raison, que le bonheur soit considéré comme le but suprême de la destinée de l'homme : « C'est, dit-il, un état accidentel qui n'a lieu que dans le développement des facultés de l'homme et du système social; ce n'est pas le but immédiat et direct de la nature. » Le précepte fondamental et unique de la loi naturelle, en ce qui concerne la destinée humaine, est d'après lui, la conservation de soi-même. Mais qu'entend-il par ce précepte, qui peut aussi être très mal compris? Il veut le complet développement de nos facultés, ce qui

(1) Voyez le t. XII de mes Études sur l'histoire de l'humanité.

le conduit à cette formule: « La perfection et la vertu consistent dans le développement et le bon emploi de nos facultés. »

Le principe du perfectionnement aurait pu être formulé avec plus de précision, mais tel qu'il est expliqué par Volney, il est infiniment supérieur à la loi de renoncement et d'abnégation dans la pratique de laquelle les chrétiens placent la perfection: nous parlons des vrais chrétiens, de ceux qui prennent le spiritualisme évangélique au sérieux, et non de ceux qui cherchent à y échapper par mille subterfuges plus dignes de jésuites que de disciples du Christ. Il faut rester dans la société, et non la fuir; il faut développer nos facultés, et non les ensevelir dans la solitude en tuant le corps et l'intelligence, pour faire notre salut. Toutefois, il y a une lacune dans la loi de Volney. Les chrétiens se préoccupaient exclusivement de la vie future; Volney n'en parle point; il ne la nie pas, mais il n'en tient aucun compte. C'est mutiler l'homme. Comment peut-on comprendre sa destinée, si on ne lui reconnaît ni passé ni avenir?

Volney est un enfant du dix-huitième siècle, il ne faut pas l'oublier; cela fait la supériorité de sa loi naturelle sur la morale chrétienne, mais cela explique aussi ses lacunes; c'est la raison pour laquelle sa doctrine est une loi, et non une religion. L'homme est limité à cette terre; dans ce cercle étroit, le philosophe l'emporte sur les théologiens. Volney ne fait point grand cas des vertus que la théologie place en première ligne. La foi est la vertu par excellence du chrétien orthodoxe; cela est si vrai que les vertus morales ne servent à rien à ceux qui n'ont pas la foi ce sont de splendides péchés, dit saint Augustin. Qu'est-ce donc que la foi? La croyance en des mystères et en des dogmes qui dépassent la raison. Volney a pour cette singulière vertu tout le dédain d'un disciple de Voltaire : « La foi est la vertu des dupes au profit des fripons.» Non, la foi n'est pas nécessairement une duperie; mais quand elle enseigne aux hommes à se payer de mots dont elle fait une condition de salut, quand elle leur ordonne d'abdiquer leur raison pour croire en aveugles, ne devient-elle pas un instrument de domination pour un sacerdoce ambitieux? Il est certain que dans le sein de l'Église romaine, il y a des dupes, ce sont les croyants, et des fripons, ce sont les malins qui exploitent la crédulité des simples.

Volney n'a point pour la morale chrétienne le respect que professait Rousseau. A-t-il tort? Ceux qui admirent la perfection de l'Évangile admirent ce qu'ils ne connaissent point. Il est certain que ces prétendues vertus sont si étrangères à nos mœurs, que nous avons de la peine à les comprendre. La vertu évangélique par excellence, c'est l'humilité; les Pères de l'Église appellent Jésus-Christ docteur d'humilité. Qu'en pense Volney? Ce que nous pensons tous, sauf ceux qui affectent une humilité qui est loin de leur âme : « L'humilité, dit le Catéchisme du citoyen, n'est pas une vertu ; car il est dans le cœur de l'homme de mépriser secrètement tout ce qui lui présente l'idée de la faiblesse ; et l'avilissement de soi encourage dans autrui l'orgueil et l'oppression. >>

L'humilité, telle que l'Évangile la prescrit ou la conseille, est l'abnégation de l'individualité humaine, c'est à dire qu'elle tue l'homme dans son essence. Singulier moyen de le perfectionner! L'homme ne peut faire des progrès dans la vertu qu'en luttant contre les mauvais instincts qui sont dans sa nature. Il lui faut donc toute l'énergie de sa personnalité. Or, l'humilité chrétienne tue la force de l'individu : c'est une vertu de moine, ce n'est pas une vertu de citoyen. Il est vrai que l'individualité ne doit pas. être trop exaltée, il faut que la charité la tempère. Comme dit Volney, il y a une balance à tenir. La loi naturelle ordonne aussi le pardon des injures, mais seulement en tant que ce pardon s'accorde avec la conservation de nous-mêmes. Elle ne donne pas le précepte de tendre l'autre joue quand on a reçu un soufflet. Une telle maxime, prise à la lettre, encourage le méchant à l'injustice. La loi naturelle a été plus sage, en prescrivant « une mesure calculée de courage et de modération, qui fait oublier une première injure de vivacité, mais qui punit tout acte tendant à l'oppres

sion. >>>

Jésus-Christ, dans son humilité, glorifiait les pauvres, et maudissait les riches. Voilà une vertu chrétienne que les peuples ont entièrement oubliée. Qui a raison, l'économie politique ou l'Évangile? Écoutons la loi naturelle : « La pauvreté n'est pas un vice, mais elle est encore moins une vertu; car elle est bien plus près de nuire que d'être utile; elle est même communément le résultat du vice ou son commencement. En effet, tous les vices individuels conduisent à l'indigence, à la privation des besoins

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