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retour au passé, qui était son idéal. Était-ce un retour pur et simple, la répudiation de la tradition? C'eût été le protestantisme; or les constitutionnels étaient de très sincères catholiques; ils n'entendaient pas donner la main à la réforme; ils espéraient au contraire rallier les protestants et les juifs mêmes. Cependant on lit dans les Annales de la religion, que l'Église constitutionnelle avait le dessein d'épurer la morale, et d'agrandir le domaine de la raison (1). Quelle est cette morale qui doit être épurée? Est-ce la morale évangélique? Alors nous sommes en pleine philosophie. En quel sens veut-on agrandir le domaine de la raison? Il ne peut s'agir que de la théologie; or, dès qu'on donne place à la raison dans la théologie, on aboutit nécessairement au rationalisme. Ce serait faire injure au clergé constitutionnel que de le suspecter de tendances philosophiques ou rationalistes. Que voulait-il donc dire? Par cela même qu'il acceptait les libertés politiques de 89, conquête du dix-huitième siècle, il subissait, sans s'en douter, l'influence de la philosophie. Mais ce n'étaient que de vagues aspirations. Il eût été impossible à la nouvelle Église de formuler ses vœux, sans aboutir à la réforme, et à la réforme la plus avancée. Il est probable que, si l'Église constitutionnelle avait été maintenue, non comme Église d'État, mais comme Église libre, elle eût fini par dépasser le calvinisme. A ce point de vue, nous regrettons sa chute, et nos regrets sont d'autant plus amers, quand nous voyons à quoi a conduit la restauration du catholicisme, par Napoléon : à l'ultramontanisme le plus étroit, le plus ignorant, le plus hostile à toutes les idées de 89; ce qui doit amener une lutte furieuse entre le passé incarné dans la religion, et la société civile qui, quoi qu'on fasse, ne reniera pas les principes de 89. L'Église succombera dans cette lutte, mais que deviendra la religion?

Nous revenons à l'Église constitutionnelle. En réalité, elle resta catholique; dans un décret solennel, elle déclara «< professer tous les dogmes reçus par l'Église universelle, et condamner avec elle toutes les erreurs qu'elle avait proscrites (2). » Qu'est-ce qui distinguait donc le clergé constitutionnel du clergé orthodoxe? Ce n'est pas la foi, puisque la foi était la même; c'étaient les prin

(1) Annales de la religion, no 6.

(2) Voyez mon Étude sur l'Église et l'Etat depuis la Révolution, pag. 90.

cipes et les tendances du gallicanisme. Avant la Révolution, toute l'Église de France était gallicane, ce qui veut dire qu'elle était hostile aux prétentions de la cour de Rome; il n'y avait pas jusqu'aux jésuites français qui, pour sauver leur existence, firent une déclaration que Bossuet eût signée. Mais quand vinrent les décrets qui enlevèrent aux évêques le patrimoine des pauvres, quand vint la constitution civile qui donna aux intérêts blessés un prétexte de religion, les hauts prélats se rappelèrent qu'il y avait un pape, et une partie de clergé inférieur, fanatisée par les mandements épiscopaux, se rallia autour du souverain pontife qui avait été un des premiers à protester contre tous les décrets de l'Assemblée nationale. Voilà comment l'ultramontanisme envahit l'Église réfractaire. L'Église constitutionnelle resta gallicane. On lit dans la deuxième Encyclique : « Les évêques réunis reconnaissent la primauté d'honneur et de juridiction de l'évêque de Rome sur l'Église universelle; mais ils protestent en même temps contre les prétentions de la cour de Rome à dominer sur les évêques, à gouverner sans eux, quoique l'épiscopat soit un et divinement institué pour gouverner l'Église. Ils voient dans l'orgueil de la cour de Rome l'origine de presque tous les maux qui ont désolé l'Église (1). »

La tendance du gallicanisme était de constituer une Église séparée. C'était aussi l'esprit des constitutionnels. On lit dans la seconde Encyclique des évêques, « qu'ils espéraient de voir un jour les catholiques répandus sur toute la terre réorganiser enfin leurs Églises nationales ». Sur cela un zélé orthodoxe les attaqua vivement et s'écria: « Destructeurs fanatiques! Ce n'est donc pas assez des ruines qui nous environnent, il faut encore à votre rage révolutionnaire, de plus vastes décombres (2). » Au point de vue de l'orthodoxie romaine, ces reproches violents étaient mérités. Reste à savoir si le principe de nationalité, qui se réveille avec tant de puissance dans les temps modernes, ne doit pas avoir une influence sur la destinée religieuse des peuples aussi bien que sur leur existence politique. Pour nous la question n'est pas douteuse. Il y a plus. L'unité absolue, sous la forme ultramontaine, est un

(1) Seconde lettre encyclique de plusieurs évêques de France, réunis à Paris, à leur confrères les autres évêques el aux églises veuves.

(2) Réflexions adressées aux soi-disant évêques signataires de la seconde encyclique, Paris 1796, pag. 28, 36.

danger pour les nationalités; à mesure que les peuples ont eu conscience de leur indépendance, ils ont repoussé le joug de la cour de Rome. Que reste-t-il après cela, sinon des Églises nationales? N'est-ce pas la seule planche de salut pour le catholicisme? Il y avait une autre opposition entre le clergé constitutionnel et le clergé réfractaire, qui tient à la même cause. Depuis 89 les nations ont pris la place des rois, et elles sont aussi avides de liberté que d'indépendance. Mais dès les premiers jours de la Révolution, surgit cette redoutable question : le christianisme traditionnel va-t-il s'accommoder au nouvel ordre de choses, ou persistera-t-il dans la guerre passionnée qu'il a faite aux idées de liberté pendant tout le dix-huitième siècle? Le haut clergé n'hésita pas un instant; il se jeta dans la contre-révolution en émigrant avec la noblesse, dont il était issu, et dont il partageait tous les préjugés. Une grande partie du clergé inférieur se laissa entraîner dans ce mouvement. Les constitutionnels, au contraire, se rangèrent du côté de la nation et de la liberté. C'est leur titre de gloire. Ils reprochèrent vivement aux orthodoxes d'être « des contre-révolutionnaires, des ennemis déclarés de leur patrie, qui déchiraient son sein, qui bouleversaient l'État, qui arboraient l'étendard de la rébellion, qui semaient partout l'imposture et la révolte, qui menaçaient la République des plus grands maux (1) ». Pour couvrir leur résistance et la légitimer, les orthodoxes invoquèrent la religion et la liberté de l'Église également frappées par les décrets de l'Assemblée constituante. Mais qui ne voit que la religion n'était qu'un masque, pour le haut clergé du moins? Les constitutionnels ne manquèrent point de le lui arracher; ils accusèrent les évêques « de n'avoir consulté que leur intérêt particulier et leurs passions aigries »; ils dirent que « le zèle qu'ils avaient témoigné pour le maintien de la religion n'avait été qu'une politique lâche, tortueuse et perfide (2) ».

Les orthodoxes cherchèrent à repousser ces reproches. Mais le moyen de nier l'évidence! Comment nier l'émigration des évêques? comment nier les sermons incendiaires des curés contre les acquéreurs de biens ecclésiastiques? comment nier

(1) Annales de la religion, n° 1, pag. 18, ss. n° 2, pag. 35, ss.

(2) Avis aux fidèles sur le schisme dont l'église de France est menacée, pag. 30 et passim.

la Vendée? Un défenseur des prêtres réfractaires osa néanmoins prétendre que la plupart étaient soumis aux lois et à la puissance publique (1). Il est vrai que de guerre lasse ils se soumirent, parce que c'était le seul moyen de regagner quelque influence. Mais qu'importait leur obéissance matérielle, quand de cœur et d'âme, quand d'intérêt et de passion, ils restaient hostiles aux idées de 89? L'opposition était radicale, irremédiable. Le clergé pouvait-il se rallier sincèrement à la Révolution, quand le pape la condamnait dans ses principes les plus essentiels? Les évêques constitutionnels en firent la remarque dans leur deuxième Encyclique « L'Europe connaît, et Dieu jugera dans sa justice les motifs qui ont fait intervenir le pape dans les troubles de l'Église de France, et les procédés que le père commun des fidèles a employés jusqu'ici pour soutenir sa cause personnelle et celle des évêques fugitifs. » A cette grave accusation, le défenseur des orthodoxes répond par des injures (2); mais, comme l'a déjà dit Lucien à Jupiter, celui qui injurie a tort. L'histoire va plus loin que les évêques constitutionnels, elle accuse et elle convainc le pape de duplicité dans ses bulles, il protestait qu'il n'entendait point se mêler des affaires politiques de la Révolution, tandis que ses lettres intimes et ses actes témoignent qu'il était complice des contre-révolutionnaires (3).

Qu'est-ce à dire? En faut-il conclure que le catholicisme ne peut s'allier avec la liberté? C'est le grand reproche que les révolutionnaires faisaient au christianisme traditionnel; c'est le crime, inexpiable à leurs yeux, de l'Église. Le concile tenu en 1797 par le clergé constitutionnel, protesta vivement contre cette accusation. On lit dans la lettre qu'il adressa au pape Pie VI: « L'impiété a poussé son audace jusqu'à soutenir que le culte catholique est incompatible avec un gouvernement républicain et libre. Cette assertion calomnieuse, nous l'avons combattue avec les armes les plus invincibles, et néanmoins il se trouve encore parmi nous bien des hommes qui, dans la fausse persuasion que les maux qui affligent la société civile ont leur source dans la religion de Jésus

(1) Troisième lettre aux ministres de la ci-devant église constitutionnelle, pag. 50. (2) Deuxième encyclique, pag. 28. — Réflexions adressées aux soi-disant évêques signataires de la deuxième encyclique, pag. 17.

(3) Voyez mon Étude sur l'Eglise et l'État depuis la Révolution.

Christ, paraissent adopter cette horrible calomnie, et demandent à grands cris que le catholicisme, comme le plus terrible ennemi du genre humain, soit arraché, soit entièrement extirpé de l'empire français. >>

Non, ce n'est point la religion du Christ qui est coupable. Il n'y a qu'un reproche que l'on puisse faire au christianisme primitif, c'est le spiritualisme désordonné qui inspira à ses sectateurs une indifférence absolue pour tous les intérêts de ce monde, pour la liberté aussi bien que pour le mariage et pour la propriété. Mais sous la Révolution, il ne s'agissait pas du christianisme de JésusChrist; il était depuis longtemps oublié, et l'on aurait vainement tenté de le remettre en honneur, car les sentiments et les idées du dix-huitième siècle n'étaient plus ceux des contemporains du Christ. La religion que les révolutionnaires repoussaient avec dédain, avec haine, était le catholicisme; ils le répudiaient, et pour ses superstitions et pour son alliance ouverte avec la contre-révolution. Est-il bien vrai que les reproches qu'ils lui adressaient étaient sans fondement? Les dogmes catholiques pouvaient-ils être acceptés par des hommes qui adoraient la raison? Les républicains pouvaient-ils déserter la philosophie qui les avait conduits au seuil de la liberté, pour une religion qui n'avait cessé de combattre les aspirations de l'esprit moderne?

Sans doute, les constitutionnels pouvaient répondre que l'hostilité des prêtres réfractaires contre la République ne devait pas leur être imputée à eux, puisqu'ils s'étaient ralliés franchement au drapeau de la liberté. Cela n'empêcha point, comme nous l'avons dit, les révolutionnaires de détester l'Église constitutionnelle, autant que la vieille Église. Tout était-il préjugé dans cette haine? Quelques années après le concile de 1797, le catholicisme romain fut restauré, et le clergé constitutionnel en masse rentra dans le sein de l'Église orthodoxe; il applaudit, sauf quelques rares exceptions, au concordat, et il glorifia le héros qui l'avait signé. Qu'était devenu l'amour pour la liberté que les constitutionnels opposaient en 1797 aux détracteurs du catholicisme? Vertu de circonstance ou de commande, elle n'avait pas jeté de très profondes racines dans l'esprit du sacerdoce. Il est certain que si l'humanité jouit de la liberté, ce n'est pas au catholicisme et à ses ministres qu'elle la doit.

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