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Rien de plus légitime que la sainte colère de Fauchet contre la corruption et l'avilissement de l'Église, sous l'ancien régime. Cette indignation nous explique la haine des philosophes; mais l'abbé révolutionnaire se faisait illusion en croyant que la philosophie n'avait d'autres griefs contre le catholicisme que les abus accidentels qui naquirent de l'alliance de l'Église avec une royauté despotique et corrompue. C'était au dogme même que les libres penseurs du dix-huitième siècle en voulaient; or, Fauchet maintenait le dogme, il ne changeait que la discipline. Le concordat, selon lui, devait être aboli; pour mieux dire, il n'avait pas d'existence légale. Que mettrait-on à sa place? L'élection et le concours du clergé dans le gouvernement de l'Église. C'est le principe de la constitution civile décrétée par l'Assemblée nationale. Preuve, entre mille, que ce n'est pas une pensée hostile au catholicisme qui inspira cette réformation de la discipline ecclésiastique; c'était, au contraire, le seul moyen de sauver la religion du passé, en la conciliant avec le nouvel ordre de choses.

Fauchet voit dans les ministres du culte les représentants du peuple chrétien. Quoi de plus naturel dès lors que de les faire élire librement par toutes les classes des fidèles? Pour prouver sa thèse, l'abbé français remonte aux temps apostoliques. Les premiers pasteurs furent établis par Jésus-Christ; mais il laissa le choix de leurs successeurs à l'Église, c'est à dire à l'assemblée du peuple fidèle. Fauchet propose de rétablir l'élection pour les curés et pour les évêques, en faisant concourir les laïques avec les clercs. Le pape donnera l'institution canonique. S'il la refuse, un des archevêques primats la fera. Notre abbé étend son système électif jusqu'à la nomination des cardinaux (1). Voilà donc le crime que l'on impute à l'Assemblée constituante, partagé par un abbé, vicaire général, prédicateur du roi, que dis-je ? il est plus que complice; il est le premier coupable, car il écrit en 1789, avant la réunion des états généraux, avant qu'il fût question de la constitution civile. Ainsi un prêtre catholique, croyant sincère et grand partisan de la liberté de l'Église, proposé ce que l'Assemblée nationale a décrété; et c'est lui qui aurait demandé que la nation mît la main à l'encensoir! Il voulait, au contraire,

(1) L'abbé Fauchet, la Religion nationale, pag. 24, 29, 112, ss.

et l'Assemblée voulait comme lui, purifier le sanctuaire qui était souillé par un régime où les dignités ecclésiastiques se conféraient par les maîtresses des rois.

Le projet de l'abbé Fauchet accomplissait dans l'Église, une révolution analogue à celle qui allait se faire dans l'État. Rien de plus logique, puisque dans sa pensée le catholicisme devait rester la religion de l'État. La Révolution enleva la souveraineté au roi pour la transporter au peuple, en ce sens que tous les pouvoirs. émanaient de la nation. Il en devait être de même de l'Église. Les évêques ne pourraient faire de lois locales que du consentement des presbytères; les presbytères eux-mêmes ne devaient donner leur assentiment qu'en connaissance du désir et de la volonté des fidèles. Quant aux lois générales, il va sans dire, qu'elles seraient portées par les conciles. La papauté était détrônée de même que la royauté. Fauchet est gallican à outrance; il est presque aussi hostile aux papes, que les hommes de 89 et de 92 l'étaient aux rois. C'est l'esprit d'opposition de Richer qui se réveille. Notre abbé ne reconnaît à la papauté qu'une prééminence de dignité; c'est le centre de l'unité chrétienne; le pape est le saintpère de toute la catholicité. Mais il faut qu'il se contente d'une présidence d'honneur, les gallicans sont bien décidés à ne pas aller plus loin. Tant pis pour la cour de Rome, si elle ne se contente point de la prééminence honorifique qu'on veut bien lui laisser; elle verra s'affaiblir la vénération universelle. Il y a une menace dans les paroles de Fauchet; il dit que le dédain est la solde de l'orgueil; il rappelle aux évêques de Rome que les plaies de l'Église sont imputables aux prétentions exagérées de ceux qui la gouvernent (1). C'est un cri de révolte, qui pourra devenir une révolution.

Il y avait même un germe de révolution religieuse dans le projet de réforme ecclésiastique. Une fois la nation déclarée souveraine et prenant part au gouvernement ainsi qu'à la législation, il devait arriver dans l'ordre religieux ce qui arriva dans l'ordre politique les idées se seraient transformées aussi bien que les formes. L'abbé Fauchet n'allait pas si loin. Pour mieux dire, il ne se rendait pas compte de ce que lui-même voulait. Il dit que le

(1) L'abbé Fauchet, de la Religion nationale, pag. 74, 73.

catholicisme est la profession de l'Évangile dans l'unité de l'Église, ce qui semble indiquer le vœu d'un retour au christianisme évangélique. C'était mettre l'Église catholique dans la voie du protestantisme. Or, la réforme, tout en croyant revenir au christianisme primitif, le dépassa, au point qu'aujourd'hui elle donne la main à la philosophie. Le catholicisme évangélique de Fauchet n'aurait-il pas eu la même destinée? L'abbé révolutionnaire était loin de le croire et de le vouloir. Il maintient tout le christianisme traditionnel, il maintient même la constitution extérieure de l'Église; elle conservera son patrimoine, sa juridiction, elle sera infaillible. La contradiction est évidente. Y avait-il du temps des apôtres une Église d'État? Y avait-il un patrimoine, dit des pauvres, qui valait le patrimoine des rois? Savait-on ce que c'était que l'infaillibilité de l'Église? Il y avait une Église du temps de Jésus-Christ, mais ce n'était pas celle des disciples du Christ; ils n'avaient pas encore de nom qui les distinguât des Juifs, ils n'avaient pas même de croyance particulière. L'Église de JésusChrist et celle des apôtres était le Temple. S'il fallait revenir aux temps primitifs l'on aurait dû détruire toute Église. Cela était impossible. Il était tout aussi impossible de ramener l'humanité aux idées et aux sentiments des contemporains de Jésus-Christ. C'est dire qu'il ne se fait point de réforme ni de révolution, en restaurant un passé imaginaire : l'esprit révolutionnaire s'élance dans l'avenir, il ne retourne point au passé.

§ 2 L'Église constitutionnelle

L'Église constitutionnelle n'est au fond que le gallicanisme tel que les hommes imbus de l'esprit de liberté, les Richer, les Fauchet le comprenaient. Considéré au point de vue des principes, le gallicanisme est un tissu de contradictions. Il a le même point de départ que le catholicisme ultramontain; il reconnaît à l'Église un pouvoir spirituel, il veut l'unité de ce pouvoir, mais il se refuse à admettre les conséquences de la doctrine romaine. Logiquement la puissance spirituelle doit dominer sur la puissance temporelle, de même que l'âme domine sur le corps. Les gallicans ne voulaient pas de cette domination, et ils avaient raison; ils préféraient être inconséquents que de professer une doctrine

qui rendait la religion incompatible avec la souveraineté civile. Ils ne voyaient pas, pour mieux dire, ils ne voulaient pas voir que si la conséquence du principe catholique était fausse, cela prouvait que le principe lui-même était faux; ils ne pouvaient pas aller jusque-là, car ils auraient cessé d'être catholiques. Il en est de même de l'unité extérieure de l'Église; comme catholiques, ils devaient l'admettre, mais ils ne voulaient pas reconnaître les droits sans lesquels la prééminence de la papauté n'est qu'une vaine dignité. C'est que ces droits auraient fait du pape le souverain absolu non seulement de l'Église, mais encore de l'État. Il suffit du dogme de l'infaillibilité pour ruiner toute liberté, toute indépendance, dans l'ordre civil comme dans l'ordre religieux. L'inconséquence des gallicans était évidente; mais du moins le catholicisme, tel qu'ils le comprenaient pouvait s'allier avec la souveraineté de l'État. En ce sens, les gallicans disaient, et non sans raison, qu'ils avaient sauvé la religion catholique (1). C'est un avertissement pour nos modernes orthodoxes. Ils croient trouver la force dans l'unité absolue de l'Église romaine. Cette unité, si elle se réalise, sera leur ruine, car les nations ne consentiront jamais. à abdiquer leur souveraineté et leur liberté au pied d'un prêtre. Le principe de liberté qui envahit le gallicanisme en 89, y ajouta une nouvelle contradiction. Il s'agissait d'organiser l'Église sur les bases de la souveraineté du peuple, afin de l'harmoniser avec le nouvel ordre politique. Les prêtres démocrates s'imaginèrent que la constitution primitive de l'Église ayant été démocratique, rien ne serait plus naturel et plus légitime que de la rétablir. Ils espéraient que les élections feraient renaître les beaux jours du christianisme évangélique. Telle fut l'illusion des auteurs de la constition civile. Les hommes religieux qui siégeaient dans l'Assemblée nationale voulaient revenir à la tradition des premiers siècles; or, l'on ne peut nier que les évêques étaient élus par le peuple de commun accord avec le clergé de la province, de manière. qu'ils étaient les organes de toute la communauté. Saint Cyprien nous apprend que cela se faisait ainsi par tradition divine, d'après un usage que les apôtres eux-mêmes avaient établi. Ce mode de nomination fut suivi dans l'Occident jusqu'au

(1) Voyez mon Étude sur l'Église et l'État, 2o édit. t. II.

onzième siècle. Les papes étaient élus comme tous les évêques. Se fondant sur les usages des plus beaux temps de l'Église, Treilhard disait, comme organe du comité ecclésiastique: «< Vos décrets ramèneront la religion à sa pureté primitive, et vous serez vraiment les chrétiens de l'Évangile (1). »

Telles étaient aussi les illusions de l'Église constitutionnelle. En 1797 un concile se réunit à Paris. Cinq années s'étaient écoulées depuis la réorganisation de l'Église, des années de malheur et par conséquent pleines d'enseignements. Le clergé avait eu le temps de s'apercevoir que l'ère révolutionnaire dans laquelle le monde était entré en 89, ne ressemblait guère à celle que JésusChrist avait inaugurée. Cependant ses espérances étaient toujours celles que Treilhard exprima si naïvement au sein de l'Assemblée nationale. Le président du concile, Le Coz, un des évêques constitutionnels qui furent maintenus après le concordat, dit dans son allocution à ses frères que « le concile avait pour objet de rétablir la morale chrétienne et la discipline chrétienne dans leur pureté primitive (2). » Dans les Annales de la Religion, journal publié par le clergé constitutionnel, sous la direction de Le Coz, on lit : « La persécution était une crise violente, mais qui ne pouvait être que très salutaire. Nous allons voir l'Église rappelée à sa première splendeur et les chrétiens à leurs premières vertus. Il ne nous reste plus qu'à entonner des actions de grâces, et à faire retentir le ciel de nos bénédictions. Nous sommes replacés pour ainsi dire à l'origine de l'Église (3). >>

Nous disons que ces espérances étaient des illusions. Il est vrai que l'Église constitutionnelle ne vécut pas assez longtemps pour que les faits témoignent contre elle; les rares partisans qu'elle conserve peuvent dire que la main de fer de Napoléon arrêta le mouvement de la réforme, et que l'huile sainte qui avait commencé à couler, se figea de nouveau sous un régime qui mit fin à la liberté religieuse aussi bien qu'à la liberté politique. Ils ne s'aperçoivent pas que l'illusion, disons mieux, que l'impossibilité des aspirations de l'Église constitutionnelle se trouve dans le

(1) Voyez mon Étude sur l'Église et l'État depuis la révolution, pag. 95. (2) L'abbé Guettée, Histoire de l'Eglise de France, t. XII, pag. 342.

(3) Annales de la religion, n° 6, pag. 123, 135.

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