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il fallait donc tous les jours le rappeler à son devoir, lutter et combattre pour les institutions mosaïques. Depuis le retour de Babylone, les prophéties cessent. Pourquoi? Parce que depuis lors les Juifs observent les préceptes de la loi avec ce zèle, avec cette rigueur que l'on admire en eux jusqu'à nos jours.

Il faut ajouter un caractère à la prophétie, pour en compléter la définition : les voyants parlent sous une influence divine. Spinoza explique ce fait. Il remarque que les Hébreux rapportaient tout à la Divinité, sans s'arrêter aux causes secondes et naturelles. Le prophète est un poète, un prédicateur : lui plus que tout autre devait croire que le cri de la conscience qui le poussait à parler, était la voix de Dieu qui lui donnait mission de rappeler le peuple à l'observation de la loi. Il y a encore un élément des prophéties juives dont Spinoza ne parle pas, c'est la forme de prédiction qu'elles revêtent d'ordinaire. La critique moderne en trouve la raison dans les croyances des Hébreux. Ils ignoraient le dogme d'une vie future, tout en étant profondément convaincus de la justice divine. Cette justice devait donc s'exercer sur la terre, pour les individus et pour les nations. Ils croyaient que « la crainte de l'Éternel prolonge les jours, tandis que ceux des méchants sont abrégés. » Cette croyance était si enracinée, qu'elle devint comme l'essence des sermons prophétiques. Si le peuple de Dieu observe la loi, il prospérera. S'il viole l'alliance qu'il a faite avec son Dieu, il sera puni les Syriens, les Chaldéens, les Égyptiens, fondront sur lui, et exerceront les vengeances du Seigneur. Si les enfants d'Israël se repentent de leurs fautes, Dieu les délivrera de la servitude, et il répandra la loi sur le monde entier. Voilà le germe des prophéties messianiques. Elles s'expliquent par les espérances du peuple élu; ce qui détruit toute idée d'une intervention miraculeuse de Dieu.

Quand on considère l'œuvre des prophètes dans sa réalité historique, elle a une grandeur incomparable: c'est la poésie qui chante la loi morale, qui la prêche, et qui finit par l'inculquer dans les âmes. Le dix-huitième siècle ne pouvait pas rendre justice aux prophètes; il ne comprenait point le passé, il se contentait de le maudire. Mais à qui faut-il s'en prendre? Ce n'est pas aux libres penseurs. Quand on venait, au nom d'une prétendue révélation, leur imposer des croyances absurdes, quand on pré

tendait prouver la vérité de la révélation par des prédictions également absurdes, n'avaient-ils pas raison de traiter les prophètes de charlatans? « L'art de prophétiser, dit le baron d'Holbach, fut un vrai métier, ou si l'on veut, une branche de commerce fort lucrative. Les grands profits qui résultaient de ce trafic d'impostures, mirent de la division entre les prophètes juifs : chacun traitait son rival de faux prophète. Il y eut toujours des querelles entre les imposteurs, pour savoir à qui demeurerait le privilége de tromper les hommes (1). >>

Le grand reproche que les libres penseurs font aux prophètes, c'est leur langage obscur. Nous laissons la parole à l'auteur des Lettres à Eugénie; on les attribue à d'Holbach, mais elles valent mieux que les écrits ampoulés et les divagations sans fin du baron allemand. <«< Quiconque examinera sans préventions les prophéties, ces prétendus oracles divins, n'y trouvera jamais qu'un jargon ambigu, inintelligible, absurde, entièrement indigne d'un Dieu qui aurait le dessein d'instruire son peuple de l'avenir. Il n'existe pas, dans toute l'Écriture sainte, une seule prophétie assez précise pour être littéralement appliquée à Jésus-Christ. Pour vous convaincre de cette vérité, demandez aux plus savants de nos docteurs quelles sont ces prohéties formelles dans lesquelles ils ont le bonheur de découvrir le Messie, vous verrez que ce n'est qu'à l'aide d'explications forcées, de figures, de sens mystiques qu'ils viennent à bout d'y trouver quelque chose de sensé et de les appliquer au Dieu fait homme qu'ils nous font adorer (2). » Inutile d'ajouter que tel était aussi l'avis de Voltaire. Il avait un grand respect pour Pascal; mais les Pensées sur les prophéties le mettaient hors des gonds. « En vérité, s'écrie-t-il, les prophéties qu'il cite ressemblent à Jésus-Christ comme au grand Thomas; et cependant à la faveur de la vaine apparence d'un sens forcé, un génie tel que lui prend toutes ces vessies pour des lanternes! Voilà à quel point de faiblesse les plus grands esprits peuvent arriver, quand la superstition a corrompu leur jugement (3). »

Si quelque prophétie, dit d'Holbach, se trouve vérifiée pour les chrétiens, c'est celle d'Isaïe : « En écoutant, vous entendrez, mais

(1) Le Christianisme dévoilé, pag. 79.

(2) Lettres à Eugénie, dans les OEuvres de Fréret, t. I, pag. 89, s.

(3) Voltaire, Lettre du 26 juillet 1733, à M. de Formont. (OEuvres, t. XLVI, pag. 317.)

vous ne comprendrez point. » Alors à quoi bon parler? Les apologistes ne peuvent pas nier l'obscurité des prophéties, mais comme c'est Dieu qui parle ce langage inintelligible, il faut qu'il ait eu des raisons pour cela. Nous allons entendre pourquoi il parle en énigmes. Huet, le savant évêque d'Avranches, avoue que si on lit les prophéties une à une, elles laissent bien des doutes, à cause de leur obscurité; il faut les réunir et les juger par leur ensemble, alors elles deviennent claires. Ainsi, en ajoutant l'ombre à l'ombre, les ténèbres aux ténèbres, vous aurez la lumière! Voilà un miracle, en fait d'interprétation, qui confirme singulièrement les prophéties. Ce miracle ne nous dit pas encore pourquoi Dieu a trouvé bon de faire des prédictions inintelligibles. Les prophéties, répond Huet, doivent être inintelligibles; sinon où serait le mérite de la foi (1)? Il faut donc la foi pour croire aux prophéties, il faut la foi pour les comprendre, et les prophéties sont aussi les preuves. de la foi! Voilà le non-sens dont se paient les apologistes: faut-il s'étonner s'ils n'ont pas fait fortune auprès des libres penseurs?

Cependant de grands esprits s'en sont mêlés. Pascal pose comme un axiome que les prophéties doivent avoir deux sens; c'est l'idéal de l'obscurité. Il y a mieux. L'obscurité est préméditée. Non pas, pour augmenter le mérite de la foi, ainsi que le croyait Huet, comme s'il s'était agi d'éclairer les Juifs! Dieu voulait au contraire les aveugler, et pour ce louable dessein, les ténèbres valaient naturellement mieux que la lumière (2). L'explication de Pascal nous laisse un scrupule. S'il était question d'un tyran cruel, acharné au mal, mieux encore, s'il était question de l'esprit malin qui a pour mission de perdre les hommes, nous comprendrions qu'il n'aurait pas pu s'y prendre mieux. Mais c'est Dieu qui inspire les prophètes, et il les envoie à son peuple élu. Pour le coup notre raison se confond, et notre conscience se trouble, car le Dieu de Pascal est bien le tyran, le Satan que nous venons de supposer. Et cette horrible invention du penseur chrétien tend à prouver que Dieu a envoyé son Fils aux hommes pour les sauver! Pour sauver les chrétiens, il damne les Juifs! Quelle conception de Dieu, de sa justice et de sa charité!

(1) Huet, Demonstratio evangelica, pag. 737, n° 2; pag. 742, no 6.

(2) Pascal, Pensées, XVI, 9; XVIII, 4.

Les déistes anglais font une autre objection contre le double sens des prophéties. On comprend le sens littéral, mais comment comprendre le sens caché? Chacun pourra faire dire aux prophéties ce qu'il veut. Non, répondent les apologistes que le chevalier Boyle suscita, en fondant des prix pour la défense de la révélation. Un docteur Berriman va nous dire pour qui et pourquoi les prédictions sont obscures. « La signification des types est obscure parce qu'elle doit l'être pour les esprits présomptueux; elle ne l'est pas assez pour être inutile aux simples fidèles (1) ». En vérité, le chevalier Boyle aurait pu mieux employer sa fortune! Les esprits présomptueux sont les philosophes; les fidèles sont les simples d'esprit auxquels Jésus-Christ promet le royaume des cieux. Ainsi la foi crédule comprend mieux les prophéties que la science qui doute. Mais qui apprend aux simples que les prophéties messianiques s'appliquent au Sauveur, alors qu'il n'y est pas question de sauveur? Ne serait-ce pas le catéchisme? Voici donc à quoi se réduit l'invincible démonstration des prophéties: croyez à la révélation, parce que le curé l'a dit.

Ce qui excuse ces bons apologistes, c'est que réellement la démonstration était au dessus des forces de l'homme : comment démontrer ce qui est indémontrable? Le père de Laubrusselle soutint que tout le mal venait des abus de la critique. D'après cela, le remède serait de laisser là la critique, pour s'en tenir à la foi du charbonnier. Fort bien! Mais que deviennent alors les prophéties, leur obscurité et leur double sens? Ecoutons la réponse du docte père : « Si Dieu a enveloppé d'obscurités certaines prophéties, ce sont de légers nuages, qu'il n'a semblé lever que pour les dissiper, et y répandre un plus grand jour (2) ». Qu'est-ce à dire? Si ces paroles ont un sens, c'est que Dieu a fait les prophéties obscures pour qu'elles soient claires. Nous voilà en plein galimatias. Il ne manque plus que la niaiserie. L'abbé Bergier, le seul défenseur que la révélation aux abois ait trouvé au dix-huitième siècle, va nous dire pourquoi les prophéties sont obscures avant leur accomplissement : « Si elles étaient claires, les hommes pourraient être tentés de s'y opposer, lorsque l'événement dépend

(1) La Nécessité d'une révélation. (Recueil Boylien, t. VI, pag. 364.) (2) De Laubrusselle, des Abus de la critique, t. I, pag. 325.

de leur volonté libre (1) ». L'abbé oublie son catéchisme. Dieu n'est-il pas tout-puissant? et les hommes ne sont-ils pas des instruments dans sa main? Bergier compromet la prescience de Dieu aussi bien que sa toute-puissance. Est-ce que Dieu, quand il annonce l'avenir par la bouche des prophètes, ne prévoit pas les libres actions des hommes?

Tous les apologistes, sans excepter le plus grand de tous, Pascal, s'évertuent à trouver des raisons pour expliquer l'obscurité des prophéties: ils ne voient pas que les prophéties «< sont plus claires que le soleil. » C'est Bossuet qui l'affirme de son air de majesté, dans le plus majestueux de ses ouvrages, et il en conclut « qu'à moins de s'aveugler, il n'y a plus moyen de méconnaître Jésus-Christ (2). » Ainsi les mêmes prophéties que Pascal déclarait obscures, et d'une obscurité nécessaire, providentielle, Bossuet les trouve plus claires que la lumière du soleil. A qui faut-il croire ? Il faut dire que les prophéties sont tout ensemble obscures et claires; elles forment un clair-obscur, qui est on ne peut plus favorable aux défenseurs du christianisme. Seulement, il y a une condition requise dans les lecteurs ou les auditeurs, c'est qu'ils croient sur parole. Quand la foi s'est évanouie, vainement tenterait-on de la ranimer à l'aide des prophéties : le remède ne ferait qu'augmenter le mal.

C'est ce qui arriva au dix-huitième siècle. Lorsque Voltaire compara les prophéties aux choses qu'elles étaient venues annoncer, il fut pris d'un fou rire : « Vous ne savez peut-être pas, dit-il, que la naissance, la vie et la mort de Jésus-Christ ont été prédites par tous les prophètes juifs. Par exemple, nous voyons clair comme le jour, lorsqu'un Isaïe dit sept ou quatorze cents ans avant la naissance de notre Dieu, une fille ou femme va faire un enfant qui mangera du beurre et du miel, et il s'appellera Emmanuel; cela veut dire que Jésus sera Dieu. Il est dit dans une de nos histoires que Juda serait comme un jeune lion qui s'étendrait sur sa proie, et que la Vierge ne sortirait point des cuisses de Juda, jusqu'à ce que Shilo parût. Tout l'univers avouera que chacune de ces paroles prouve que Jésus est Dieu, Ces autres paroles remar

(1) Bergier, Traité de la vraie religion, t. V, pag. 137.

(2) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. (OEuvres, t. IX, pag. 164-166.)

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