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à elle à éclairer l'espèce humaine, et à bannir de la terre les longues erreurs qui l'ont dominée. » On prétend qu'il faut une religion aux hommes, et par là on entend une foi surnaturelle qui leur est communiquée par une voie miraculeuse. Le rapporteur de la Convention répond que les hommes ont payé bien cher les consolations qu'ils ont reçues de la foi : « Sans parler des persécutions religieuses, de la Saint-Barthélemy, de la Vendée, la religion est devenue un instrument d'esclavage. Servile par sa nature, auxiliaire du despotisme par son essence, elle traita partout avec les despotes de la liberté du genre humain, attaquant le pouvoir civil, quand il osait vouloir s'affranchir de ses liens, et lui vendant son influence, toutes les fois qu'elle pouvait espérer de s'agrandir avec lui. Intolérante et dominatrice, elle avait abruti l'espèce. humaine jusqu'au point de lui faire adorer les chaînes dont elle l'accablait. >>

On le voit, c'est toujours la même accusation qui retentit contre l'Église et contre le catholicisme: l'alliance du trône et de l'autel, célébrée pendant le dix-huitième siècle comme une garantie de stabilité et de force pour la royauté et pour la religion. Vainement les catholiques démocrates cherchent-ils aujourd'hui à rompre cette terrible solidarité, la tradition est contre eux, et l'intérêt même du christianisme historique. Pourquoi la papauté a-t-elle condamné Lamennais, le plus illustre organe de l'école qui voudrait réconcilier la religion avec la liberté? Parce que la liberté politique suppose la liberté de penser, et la liberté de penser aboutit fatalement au rationalisme. Ce n'est donc pas sans raison que la papauté veut maintenir l'antique union du catholicisme et de la royauté. Mais les rois s'en vont, et que deviendra alors l'Église?

Il y a plus : l'Église est incompatible avec l'État, qu'il s'appelle roi ou république; car son ambition éternelle, une ambition à laquelle elle ne saurait renoncer, est de constituer un pouvoir, d'être elle-même un État placé en dehors de l'État laïque, et le dominant par la raison qui donne à l'âme la domination sur le corps. L'Église ne renoncera jamais à cette ambition, parce qu'elle devrait renoncer à son passé, elle devrait abdiquer; or les souverains sont détrônés, mais ils n'abdiquent jamais. La Révolution détrôna l'Église; parmi les motifs de sa déchéance, elle n'ou

blia point son inalliabilité avec la souveraineté civile. Écoutons de Boissy d'Anglas, parlant à la Convention : « La puissance l'Église a été longtemps rivale de l'État; vous l'avez rendue étrangère au gouvernement, vous l'avez expulsée à jamais de votre organisation politique. Ce triomphe est de tous ceux que vous avez remportés celui qui consolide le mieux la démocratie que vous avez jurée. »

Boissy d'Anglas a raison. Si sous l'ancien régime la royauté avait consenti à partager le pouvoir avec l'Église, c'est que la religion lui promettait comme compensation, la soumission inaltérable des peuples. La Révolution, qui brisa le despotisme politique, ne pouvait plus avoir pour allié le despotisme religieux. Dès lors, l'Église devenait une ennemie. Elle était contre-révolutionnaire par essence; et la terrible guerre de la Vendée prouva quelle puissance funeste elle exerçait encore sur les esprits. Comment détruire une influence qui avait ses racines dans d'antiques croyances, dans les préjugés et les superstitions que le clergé avait eu soin de nourrir pendant des siècles? C'était la grande préoccupation de la Révolution. Boissy d'Anglas, quoiqu'il se fît illusion sur les hommes et les choses, comme tous les révolutionnaires, constate en frémissant, que le vieux culte a encore des sectaires, que ses dogmes ne sont pas étrangers à la crédulité des esprits. Il en cherche les causes. C'est d'abord la barbarie des idiomes qui maintient l'ignorance dans quelques contrées de la république. C'est ensuite le charme de l'habitude, la force des premières impressions. Mais il y a une cause plus puissante, selon lui, c'est la persécution dirigée sous le régime de la Terreur contre des hommes égarés. La foi se ranime au feu de la persécution. Boissy d'Anglas croit que c'est une vie factice. Disciple du dixhuitième siècle, il ne voit qu'absurdité dans les dogmes chrétiens; dans le langage violent de l'époque, il traite les croyances et les pratiques de l'Église d'atroces. Il est bien convaincu que le catholicisme s'éteint et qu'il succombera sous la raison, quand elle sera secondée et dirigée par le gouvernement. Il ne veut plus de violences contre le culte, il recommande la tolérance et une indépendance parfaites : «Ne donner aucune action à la religion sur l'État; elle en a été bannie, elle n'y rentrera plus. Laisser faire la raison; elle seule pourra triompher de l'erreur. Dans un siècle de

lumières, ce n'est qu'en éclairant les hommes, que l'on peut les ramener aux vrais principes du bonheur et de la vertu.»

L'opinion publique était moins tolérante que le législateur. Quand en vertu de la loi du 3 ventôse an III, dont Boissy d'Anglas fut le rapporteur, plusieurs églises furent rendues au culte, la Décade philosophique annonça le fait, à l'article spectacles, en ces termes « Le 18 et le 25 de ce mois, on a donné dans plusieurs endroits de Paris une comédie, dont le personnage principal, revêtu d'habillements grotesques, exécute plusieurs extravagances devant les spectateurs qui n'en rient point. N'étant pas dans l'usage de parler des pièces remises au théâtre, lorsqu'elles n'offrent rien d'utile ou d'intéressant à connaître, nous ne dirons rien de celle-là. « Quelle profondeur de haine dans ce dédain!

V

Cet esprit d'hostilité se maintint pendant toute la durée de la Révolution. Le règne du Directoire fut une lutte continuelle entre les tendances révolutionnaires du gouvernement et le mouvement de réaction qui se faisait dans le sein de la société. A quoi tendait cette réaction? A la restauration de la royauté et de l'Église. Tous les partisans du passé se donnaient la main pour miner la Révolution. Les révolutionnaires de leur côté continuèrent la guerre à outrance contre les prêtres et contre leur religion. Plus la république périclitait, plus la haine devenait ardente. Un contemporain engagé dans ces combats, Thibaudeau dit qu'il y avait des représentants qui, au seul nom de prêtre, avaient des crispations de nerfs (1). A Montpellier, un orateur populaire déclamait contre les monstres appelés prêtres (2). On lit dans un discours décadaire prononcé à Paris, dans la section de Guillaume Tell: « Éloignez surtout de l'instruction publique ces monopoleurs du ciel, cẹs prêtres, ou fripons ou imbéciles qui, tour à tour hypocrites ou audacieux, soufflent le froid ou le chaud suivant le thermomètre de leur intérêt (3). »

(1) Thibaudeau, Mémoires, t. II, pag. 108.

(2) Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 210.

(3) Collection de discours décadaires prononcés dans la section de Guillaume Tell t. III, pag. 45.

:

L'on essaya de remplacer la religion chrétienne par une espèce de religion civile. Tous ceux qui avaient une goutte de sang révolutionnaire dans les veines, travaillèrent avec une ardeur fiévreuse à la destruction du christianisme; ils ne craignirent point de traiter publiquement, dans des rapports officiels, d'imbéciles tous ceux qui croyaient à la divinité de Jésus-Christ et à sa résurrection. Le Directoire s'associa à ces violences dans une proclamation du 19 ventôse an VI sur les élections, il dit qu'il fallait écarter les malheureux fanatiques que la crédulité aveugle et qui voudraient encore s'agenouiller devant des prêtres. Grégoire, ce chrétien sincère qui resta toujours fidèle à la liberté et à l'Évangile, s'indigne de ces outrages. Il demande si Milton, si Newton, si Locke étaient des imbéciles? Bossuet et Fénelon étaient-ils des imbéciles (1)? L'évêque de Blois avait un christianisme à lui, de même que les illustres Anglais qu'il cite. Il dut abandonner son évêché à un catholique romain; le pape le traita de schismatique, et Napoléon le repoussa pour son amour de la liberté. Lui-même est donc une preuve vivante.de l'incompatibilité radicale qui existe entre le catholicisme et les croyances politiques des temps modernes.

L'Église constitutionnelle ne ramena pas à la foi les générations imbues de l'esprit révolutionnaire. Tous ceux à qui la liberté était chère continuèrent à faire une guerre à mort au christianisme. C'est de cette époque que date un ouvrage où toutes les religions sont représentées comme identiques, toutes étant une spéculation sacerdotale, fondée sur des emprunts faits à l'astronomie. On ne lit plus guère les énormes in-quarto de Dupuis; ce qui nous a frappé le plus en le parcourant, c'est la haine qu'il respire contre les prêtres : « Tromper et tromper toujours, voilà leur devise dans tous les pays. » Et pourquoi trompent-ils le monde? Pour l'exploiter. Dupuis flétrit énergiquement leur cupidité : « Quand la nation revendiqua les biens qui avaient été extorqués par supercherie, les prêtres alarmèrent les âmes faibles sur les dangers prétendus que courait la religion; ils embrasèrent leur patrie du feu des guerres civiles, portant partout les torches des furies, sous le nom de flambeaux de la religion; ils ébranlèrent tout l'empire, l'uni

(1) Grégoire, Histoire des Sectes religieuses, t. I, pag. 197, 312.

vers même, au risque d'être ensevelis sous ses ruines. Tant est terrible la vengeance d'un prêtre avide à qui l'on ravit le fruit de plusieurs siècles d'impostures! » Il va sans dire que Dupuis ne veut plus de sacerdoce : « Que chacun, dit-il, soit à soi-même son prêtre (1)! >>

Dans la première année du dix-neuvième siècle, un écrivain dont le nom est mal famé, Sylvain Maréchal publia un ouvrage sur la Bible; il le dédia aux ministres de tous les cultes. L'épître est plus remarquable que le livre. A la veille de la restauration des cultes, l'auteur se montre encore très convaincu que la religion est morte «< Hâtez-vous, dit-il aux ministres de tous les cultes, hâtez-vous d'abjurer une profession que vous ne pouvez plus exercer sans exciter le rire, et sans en rire vous-mêmes derrière vos autels. Un jour, le rôle que vous jouez deviendra un problème historique. Les Saumaise futurs auront de la peine à rendre vraisemblable votre existence actuelle. On ne voudra pas les croire; on ne voudra pas croire qu'il fut un temps, un très long temps, pendant lequel, sous les yeux de la philosophie, des hommes sans vergogne offraient aux adorations de toute la terre un Dieu fait pain entre leurs doigts bénits... Redoutez l'avenir!... Encore un peu de temps, et le réparateur de chaussures se croira déshonoré en touchant la main d'un prêtre (2). »

Nous ne nous associons pas aux injures. Mais dussions-nous encourir la malédiction de tout ce qui s'appelle prêtre, nous dirons avec Sylvain Maréchal qu'un jour viendra où les hommes auront peine à comprendre l'ignorante crédulité de leurs ancêtres. Le règne de l'ignorance aura une fin. Le soleil de la vérité dissipera les ténèbres de l'erreur. Nous dirons avec l'écrivain français : « Redoutez l'avenir! Vous usez et vous abusez de la bêtise humaine; mais la bêtise même aura son terme, parce que ceux qui l'exploitent ne mettent aucune mesure à leur ambition et à leur cupidité. Nous sommes en pleine réaction catholique. Voit-on le sentiment religieux s'épurer et se fortifier? On voit ressusciter d'ignobles superstitions, et ces abominables farces servir à la fraude, à la captation, au brigandage sacré. La réaction, dite reli

(1) Dupuis, Origine de tous les cultes, t. I, pag. 433, t. II, 2a partie, pag. 155.

(2) Sylvain Maréchal, Pour et Contre a Bible, pag. vii et XIII.

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