Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

autels autres que ceux de la patrie, avec des emblèmes religieux autres que les arbres de la liberté? La nature et la raison, voilà mes dieux. Oui, je l'avoue de bonne foi à la Convention, je suis athée. » Hâtons-nous d'ajouter que cette profession d'athéisme fut accueillie avec horreur par l'Assemblée, bien que la moins chrétienne certainement qui ait jamais été réunie dans la patrie de Voltaire. Non, la philosophie du dix-huitième siècle n'était pas l'athéisme et, quoi qu'on en dise, dans les orgies de 93 il y avait autre chose que de l'athéisme. Singuliers athées que ceux qui couraient à la mort pour défendre le sol de la patrie et pour faire triompher la liberté! Nous préférons ces athées-là aux chrétiens fervents que nous avons vus de nos jours applaudir aux coups d'État.

Qu'étaient-ce après tout que les excès de 93? Une violente réaction contre les superstitions catholiques. Par leur nature même, ces mouvements dépassent les limites de ce que la raison peut avouer; mais qui est le vrai coupable? C'est le catholicisme qui pendant des siècles avait abruti les esprits; en brisant ses chaînes, les hommes passèrent fatalement de l'esclavage intellectuel à la licence. Le culte n'était qu'un tas de momeries; on abolit tout culte. Dans les départements comme à Paris, le catholicisme fut banni, insulté, persécuté. On crie à l'intolérance révolutionnaire. Il y avait en effet du fanatisme dans les hommes de 93; mais pour la première fois la persécution eut pour but d'affranchir les esprits. C'étaient les représentants en mission, dit Barante, qui se faisaient professeurs d'athéisme. Non, ils étaient les apôtres de la liberté de penser. Écoutons les rapports des commissaires de la Convention; ils respirent une haine ardente du prêtre, mais il y a aussi la conscience de l'affranchissement.

André Dumont écrit : « Soixante-quatre prêtres insermentés vivaient en commun dans une maison appartenant à la nation; je les ai fait traverser la ville pour aller en prison. Cette nouvelle espèce de monstres qu'on n'avait pas encore exposés à la vue du peuple a produit un excellent effet. Les cris de Vive la République retentissaient à côté de ce troupeau de bêtes. Indiquez-moi la destination que je dois donner à ces cinq douzaines d'animaux que j'ai exposés à la risée publique. J'avais chargé des comédiens de leur servir d'escorte. » Nous ne prendrons pas parti pour la per

sécution mais le représentant conventionnel avait-il tout à fait tort, quand il disait que les prêtres étaient des arlequins vêtus de noir, que leurs singeries n'avaient d'autre but que d'escroquer de l'argent, qu'il fallait faire un auto-da-fé avec les confessionnaux? On avait recommandé à Dumont deux prêtres assermentés comme bons patriotes; il déclara «< qu'on ne pouvait regarder comme tels que les prêtres qui du haut de la chaire, maintenant appelée à juste titre chaire de vérité, reconnaîtraient qu'il n'existe réellement d'autre religion que l'esprit et le cœur. » André Dumont écrit encore qu'il avait fait disparaître les crucifix et les croix. C'était l'abolition violente du christianisme; mais s'il n'y avait eu dans les églises que des crucifix et des croix, et si les prêtres y avaient prêché la religion du crucifié, nous doutons fort que jamais on eût vu les orgies de 93. Écoutons le rapport des commissaires de la Convention dans le département du Gers; ils se félicitent du succès de leur apostolat philosophique : « Le peuple était mûr, et le dernier jour de la troisième décade fut fixé pour célébrer l'abolition totale du fanatisme. Le peuple entier s'est assemblé sur un boulevard champêtre, dans un banquet fraternel. Après ce repas lacédémonien, il a parcouru l'enceinte de la ville en arrachant et foulant aux pieds tous les signes fanatiques. Puis on a fait amener dans un tombereau deux vierges à miracles, les croix et les saints qui naguère recevaient un encens superstitieux. Ces ridicules hochets ont été jetés sur un bûcher couvert de titres féodaux, et le feu a été allumé aux acclamations d'un peuple innombrable. La carmagnole dura toute la nuit autour de ce brasier philosophique, qui consumait à la fois tant d'erreurs (1). »

Les vierges à miracles et les titres féodaux qu'on brûle sur un même bûcher, expliquent les excès de 93 bien mieux que toutes les déclamations contre l'athéisme du dix-huitième siècle. C'était une vraie guerre contre les erreurs, donc une croisade philosophique. Ces erreurs avaient servi pendant des siècles à enchaîner les peuples. Il y avait eu une alliance sacrilége entre le trône et l'autel, pour maintenir les hommes dans l'esclavage, servitude de la pensée, servitude civile, servitude

(1) De Barante, Histoire de la Convention, t. IV, pag. 36, 37, 39.

politique; en 93 les esclaves rompirent leurs chaînes. Ils ne les rompent jamais sans excès. Loin de maudire l'Assemblée qui présida à cet affranchissement, nous n'avons qu'un regret, c'est que la guerre qu'elle fit aux erreurs n'ait pas fini par une victoire plus complète. Mais l'étude de l'histoire nous apprend à chaque page, que le progrès ne peut point s'accomplir subitement, comme par l'effet d'une baguette magique. La superstition avait mis des siècles à abrutir l'espèce humaine; il faudra une éducation séculaire pour transformer les brutes en hommes. Cela n'empêche point que les révolutions n'aient une mission glorieuse en dépassant le but, elles le marquent et elles lancent l'humanité dans la voie de l'avenir.

IV

La réaction voudrait flétrir le mouvement de 93 en le confondant avec l'athéisme. Mais c'est à peine si l'on peut imputer ces excès à l'incrédulité. Il y avait des hommes qui faisaient profession de sentiments catholiques, exagérés à notre avis; cependant ils s'exprimaient sur le sacerdoce et sur l'Église, avec une violence qu'aujourd'hui nous supporterions avec peine chez un ennemi déclaré du catholicisme. Nous avons entendu Fauchet, le vicaire général de 89; il resta attaché à toutes les croyances du catholicisme gallican; entraîné, par l'amour de la liberté, dans les rangs du clergé constitutionnel, il fut élu évêque du Calvados. Un évêque à cette époque devait avant tout être un bon jacobin. Fauchet fit donc sa profession de foi au club de Caën; nous allons transcrire le serment qu'il y prononça. Certes jamais prêtre n'en prononça un pareil, et toutefois, nous le répétons, Fauchet était un croyant, et il eut le courage de maintenir sa foi sous le régime de la Terreur. « Je jure, dit-il, une haine implacable au trône et au sacerdoce, et je consens, si je viole ce serment, que mille poignards soient plongés dans mon sein parjure; que mes entrailles soient déchirées et brûlées, et que mes cendres, portées aux quatre coins de l'univers, soient un monument de mon infidélité (1). » C'est le mot terrible échappé à Shakespeare, comme une sombre prophétie

(1) Conjuration contre la religion catholique, pag. 44.

de l'avenir: « Unking and unpriest the earth.» Délivrer la terre des rois et des prêtres. L'an II de la République, un écrivain médiocre publia un Catéchisme de la nature ou Religion et morale naturelles. Blanchard soutient avec force l'idée de Dieu et de religion, contre les incrédules et les matérialistes, mais il est aussi dur à l'égard des prêtres que les Chaumette et les Hébert: « Un prêtre, dit-il, s'acquitte de son devoir, comme un portefaix du sien; tous deux font leur métier parce qu'il les fait vivre. Celui du prêtre est le plus vil de tous, c'est un métier d'hypocrite; il n'est appuyé que sur les craintes qu'il a fait naître et qu'il nourrit... Qu'on me pardonne cette sortie contre les prêtres, elle est peu dans mon caractère. Mais quand je me représente les crimes qu'ils ont commis, les malheurs qu'ils ont attirés sur toutes les nations, mon sang bouillonne (1). » Cela explique l'insulte et l'outrage que les disciples des philosophes lançaient aux oints du Seigneur. Un ouvrage publié en 1792 par un panthéiste, les traite de vermine sacerdotale. Bonneville n'était cependant pas hostile à la religion (2).

Il y a un trait qui caractérise admirablement la fureur des passions anticatholiques de la Révolution. Nous avons dit que Voltaire passait pour un cagot dans le beau monde, parce qu'il croyait en Dieu. Qui se douterait que Robespierre eut le même sort en 93? Disciple de Rousseau, il éprouvait un vrai dégoût pour le brutal matérialisme de Chaumette et de Hébert; il fit décréter par la Convention l'existence de Dieu, et le culte de l'Etre suprême. Aujourd'hui les catholiques se moquent de ce culte quand ils ne l'insultent pas. Eh bien, en 94, on lui fit un crime de sa foi, bien plus encore que de son humeur sanguinaire : « Ce maudit Robespierre, dit un révolutionnaire pur sang, nous a reculés de dix ans avec son Être suprême; personne n'y pensait plus. Nous allions bien, c'est lui qui a tout gâté. » Quand Robespierre passait pour un modéré, quelle devait être la haine des exaltés pour tout ce qui rappelait la vieille superstition?

Voilà pourquoi le mépris et la haine du catholicisme survécurent à la Terreur; on pourrait dire que l'aversion alla en aug

(1) Blanchard, Catéchisme, pag. 156, 160.
(2) Bonneville, l'Esprit des religions, pag. 31.

mentant. Il y eut encore de terribles luttes au sein de la Convention après le 9 thermidor; mais sur le terrain de la religion, tous les partis étaient d'accord. Cambon fit décréter que la République ne paierait plus les dépenses d'aucun culte. Dans son rapport, il s'excuse de parler encore des prêtres, lorsque la nation avait si fortement manifesté son opinion contre tous les préjugés religieux; il dit que « les églises avaient été partout fermées, grâce aux progrès de la raison, et dépouillées de chapes, chasubles, croix, bénitiers et autres ustensiles. » C'étaient les sentiments de tous les révolutionnaires. Les uns disaient : « A la paix il faudra déporter les ministres de tous les cultes, et ne jamais souffrir qu'aucun s'introduise dans la République. » Écrasons l'infâme, disaient les autres, en répétant le mot fameux de Voltaire. Les plus modérés disaient : « Que chacun ait son fétiche chez soi, à la bonne heure, mais plus de cérémonies publiques, ni de rassemblements religieux. » Ils espéraient qu'en laissant mourir les prêtres d'inanition, le combat finirait faute de combattants. Écoutons un de ces modérés (1).

Boissy d'Anglas fit en l'an IV un rapport sur la liberté des cultes. Un partisan de la vieille religion dit avec raison, que c'est un acte d'accusation contre l'Église et contre le catholicisme. Jamais l'incompatibilité entre le christianisme traditionnel et le régime de libre pensée ne fut proclamée avec plus de dureté. Notez que c'est un rapport officiel, et, comme le remarque l'apologiste catholique, pas un murmure ne vengea la religion de ces froides et insultantes attaques (2). Boissy d'Anglas appelle les croyances religieuses des illusions, des opinions fausses, des chimères. Elles ont été trop longtemps maîtresses du monde. OEuvres de l'erreur, leur destinée ne peut pas être de dominer toujours sur les hommes. Le rapporteur demande que les lois et la philosophie se donnent la main pour guérir les hommes de leurs préjugés (3). « Le législateur, dit-il, doit chercher à calmer cette exaltation de l'esprit, à modifier les croyances religieuses, à les éteindre même, ou à les fondre dans des sentiments plus doux. » Boissy d'Anglas attache encore plus d'importance à l'influence de la philosophie : « C'est

(1) De Barante, Histoire de la Convention, t. V, pag. 374, 375.

(2) Apologie de la religion, pag. 4-6.

(3) Nous avons sous les yeux, le rapport imprimé par ordre de la Convention.

« ZurückWeiter »