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verains, par l'auteur du Voile levé; on y lit : « Jamais l'Église de Jésus-Christ n'a eu tant d'ennemis à combattre à la fois. Il semble que l'enfer tout entier soit déchaîné pour opérer sa ruine. » Tout en constatant ces furieuses attaques, l'auteur s'efforce de prouver qu'elles seront vaines: « C'est une entreprise plus folle, dit-il, que celle des Titans contre le ciel, et au dessus des forces réunies de tous les assaillants. » C'étaient bien des Titans qui assaillaient le christianisme traditionnel. Est-il vrai que le Jupiter catholique les foudroya et les anéantit? Hélas! les foudres du souverain pontife furent encore plus vaines que celles de Jupiter; ses bulles servirent d'amusement aux gamins de Paris. L'auteur du Voile levé n'est pas heureux dans ses prophéties. Il s'en prend aux philosophes de la violence des passions antichrétiennes, et il n'a point tort: « Ils rugissent, dit-il, contre les livres saints, sans pouvoir enlever à l'Église ce dépôt sacré. Qu'est-il résulté de ce travail? Rien autre chose, sinon qu'ils ont mis en évidence leur haine contre la religion chrétienne et l'impuissance de leurs efforts. » Pendant que l'écrivain catholique chantait victoire, les législateurs révolutionnaires démolissaient la révélation. On a essayé de relever les ruines. Mais ceux-là mêmes qui tentent cette œuvre impossible, n'osent point reconstituer le passé ; que dis-je? ils le répudient, tant il est vrai qu'il est mort et bien mort. Ne seraient-ce point les Titans de 92 qui lui ont donné le coup de grâce?

Si l'auteur du Voile levé avait été aussi rassuré qu'il le dit sur l'issue de la lutte, aurait-il jeté un cri d'alarme et appelé . tous les souverains en aide au catholicisme? Une chose est certaine, c'est qu'il voyait bien le danger; il appréciait mieux les tendances de la Révolution, que le font les historiens modernes « Les philosophes, dit-il, veulent abolir la religion chrẻtienne, non seulement en France, mais dans l'Europe entière, dans l'univers. » Rien de plus vrai, et rien de plus logique. L'auteur a encore raison quand il ajoute «< que c'est à la religion chrétienne seule que les révolutionnaires en veulent, que c'est pour la détruire qu'ils bouleversent la France. » Ce n'est point qu'ils se fussent contentés de ces ruines. S'ils faisaient une guerre à mort au christianisme, c'était un moyen plutôt qu'un but. Notre zélé catholique le constate lui-même. Le grand reproche que les phi

losophes et les révolutionnaires faisaient à la religion chrétienne, <«< c'est qu'elle ne pouvait s'accorder avec la constitution »; voilà pourquoi « le nom de Jésus-Christ leur était aussi odieux que celui de roi. » Ils avaient tort certainement de s'en prendre à Jésus-Christ. Mais à qui la faute, sinon à ceux qui avaient défiguré, altéré la religion du Christ au point de la rendre méconnaissable? Il y avait d'ailleurs dans ces vives aspirations de l'avenir, dans cette réprobation passionnée du passé un sentiment très juste. La religion de l'avenir ne peut être celle d'il y a dix-huit siècles; si elle doit guider l'humanité, elle doit aussi sortir de ses entrailles. Les philosophes et les révolutionnaires n'avaient donc point tort de vouloir, comme dit notre auteur, « que le peuple français concentrât en ses mains la souveraineté des rois et l'autorité des pontifes. » Il y a dans la conscience générale une force qui est sans cesse en activité; c'est d'elle que, sous l'inspiration de Dieu, procèdent les religions. Voilà la seule conspiration qui existât au dix-huitième siècle et pendant la Révolution; on avait beau la dénoncer aux souverains, elle était insaisissable, elle faisait son chemin, en dépit de la police et malgré la résistance des partisans du passé. Rien de plus ridicule du reste et de plus mesquin que les accusations des catholiques contre les hommes du dix-huitième siècle et de la Révolution, qu'ils appelaient des francs-maçons les cinq volumes que l'abbé Barruel (1) écrivit pour dévoiler leur conjuration contre le trône et l'autel suffiraient pour prouver la profonde déchéance du christianisme traditionnel.

Laissons là ces niaiseries, et revenons aux témoignages qui constatent l'état de l'opinion publique, en ce qui concerne le catholicisme. La haine s'adressait à tout ce qui tenait de près ou de loin aux préjugés du passé. Une partie du clergé se rallia à la Révolution. L'Église constitutionnelle aurait dû, semble-t-il, réconcilier les révolutionnaires avec le christianisme. Loin de là. Les élèves de Voltaire et de Rousseau étaient si convaincus que la religion chrétienne est inalliable avec la liberté, qu'ils ne crurent pas à la bonne foi des prêtres constitutionnels; ils les détestèrent plus encore pour leur hypocrisie que les opposants, qui étaient

(1) Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, 5 vol.

ouvertement contre-révolutionnaires. Un mot rapporté par un contemporain caractérise bien cette incurable antipathie : « Quand on disait d'un côté que l'abbé Maury était un franc coquin, on disait aussi de l'autre que c'était un coquin franc (1). » On n'avait pas peur de ceux qui se montraient à visage découvert ennemis des idées nouvelles, mais on craignait que les prêtres constitutionnels ne ruinassent la révolution, tout en ayant l'air d'y être attachés. Écoutons un journaliste qui reflétait avec une rare fidélité les sentiments de l'opinion publique. On lit dans les Révolutions de Paris (2): « Le plus grand nombre de prêtres, appelés constitutionnels, a fait plus de mal à la Révolution que les insermentaires. Ceux-ci n'avaient que des idées liberticides; mais on ne peut leur refuser une sorte de mérite, la franchise du crime; ils ne pouvaient tromper personne, et l'impudence de leurs prétentions suffisait pour les couvrir d'opprobre, et pour attirer sur leur tête la haine publique. Mais parmi les prêtres ci-devant constitutionnels, il en est qui, au fond dévorés d'aristocratie, n'ont pris le masque du patriotisme, que pour garder leurs places. Il en est d'autres qui, encroutés de préjugés puisés dans les séminaires, ont bien pu faire entrer dans leur tête quelques idées patriotiques. Mais pour nous servir de leurs expressions, le bon grain a été étouffé par l'ivraie; les principes civiques n'ont pu se développer dans ces cerveaux étroits; et tout en se disant patriotes, tout en approuvant la révolution en général, ils condamnent tout ce qu'ils ne trouvent pas dans leur catéchisme ou leur absurde théologie. »

No 2. L'Assemblée législative

La haine contre le catholicisme éclata avec violence dans la première Assemblée législative. Elle était le produit de l'élection populaire. Il n'y avait plus d'ordres : la noblesse avait émigré, le haut clergé avait suivi les nobles. Quant au clergé inférieur, fanatique par son éducation et excité par les évêques, il se jeta à corps perdu dans la contre-révolution. Les révolutionnaires virent dans cette con

(1) Mercier, le Nouveau Paris, t. V, pag. 41.

(2) Les Révolutions de Paris, no 213, du 7 brumaire an II, pag. 241.

duite des ministres de Dieu la confirmation éclatante de leurs antipathies. Ils reprochaient au clergé « ses pieuses fraudes, par lesquelles il avait dévoré le patrimoine des familles, et une grande partie des revenus du royaume. » Ils lui reprochaient surtout son alliance avec le despotisme. Un historien contemporain du grand mouvement qu'il décrit, imbu lui-même des passions régnantes, commence son Histoire de la Révolution par un acte d'accusation contre l'Église : « Le fanatisme du prêtre et l'ignorance des peuples avait érigé en articles de foi, et naturalisé dans presque toute l'Europe les maximes de la tyrannie (1). » Il y avait quelques prêtres, amis sincères de la liberté; l'abbé Grégoire, tout en déplorant la haine qui animait les hommes de la Révolution contre le christianisme, avoue que « les incrédules du dix-huitième siècle eussent été moins acharnés contre la religion, si des pontifes n'avaient pas fait cause commune avec des despotes pour river les fers des nations (2). >>

Quand les révolutionnaires virent les évêques dans le camp des émigrés, et les prêtres ameutant la crédule ignorance des fidèles. contre la liberté, ils ne gardèrent plus aucune mesure. Un des grands orateurs de la France, Vergniaud, rédigea un projet d'adresse destinée à éclairer le peuple sur les menées des ministres de Dieu; il y a un abîme entre son langage et celui de la Constituante: « Les prêtres séditieux préparent un soulèvement contre la constitution; d'audacieux satellites du despotisme demandent à tous les trônes de l'or et des soldats, pour reconquérir le sceptre de la France. Voilà des vérités qu'on ne saurait trop souvent répéter au peuple. Oui, ce sont les prêtres réfractaires; oui, ce sont les ci-devant nobles qui causent tous les malheurs de la patrie. Les uns s'agitent pour reprendre des biens qui sont devenus le domaine de la nation et le gage des créanciers de l'État; les autres conspirent pour rétablir l'ancienne féodalité, pour faire à jamais disparaître les lois de la sainte égalité (3). »

Quand Vergniaud accuse le clergé de s'être jeté dans la contrerévolution par cupidité, il est l'organe de l'opinion unanime des contemporains. Nous citerons comme témoignage le journal qui

(1) Histoire de la révolution par deux amis de la liberté, t. I, pag. 2, 3.

(2) L'abbé Grégoire, Histoire des sectes religieuses. t. 1, pag. 21.

(3) Les Révolutions de Paris, n° 130, 31 décembre 1791, pag. 2.

est l'écho le plus fidèle de la Révolution. Les évêques trouvèrent un heureux prétexte pour légitimer leur résistance, dans les décrets sur la constitution civile du clergé. Voici la réponse foudroyante que les Révolutions de Paris font à ces misérables sophismes «< N'est-il pas étrange que les évêques chicanent aujourd'hui l'Assemblée nationale sur ses opérations par rapport au régime extérieur du culte, eux qui ont souffert si patiemment que les parlements les dépouillassent successivement de la plupart de leurs prérogatives jurisdictionnelles. Les appels comme d'abus sous l'ancien régime avaient porté un coup mortel aux prétentions épiscopales; et cependant les prélats supportaient en silence la réforme de leurs ordonnances de la part des cours souveraines. Tant qu'on ne les forçait pas à une résidence incommode, tant qu'on les a laissés jouir tranquillement des usurpations scandaleuses de leurs prédécesseurs, ils toléraient les entreprises les plus hardies; leur ferveur ne s'est ranimée qu'au moment où on a voulu les rappeler à une vie un peu plus conforme à l'esprit de l'Évangile. Laissez aux prêtres leurs richesses, ils seront traitables sur les matières du dogme et de la morale. Attaquez-vous à ce qu'il leur plaît d'appeler leurs propriétés, ils crieront à la profanation, au sacrilége. Voilà l'esprit de l'Église (1). »

Le reproche est dur, mais il est mérité. Nous avons accumulé les preuves dans notre Étude sur l'Église et l'État. Pour laver l'Église de cette terrible accusation, ses défenseurs n'ont trouvé qu'un moyen, c'est d'altérer les faits. On va voir comment les catholiques écrivent l'histoire. A les entendre, et nous citons un des plus modérés, « le clergé ne résista à aucune des innovations qui atteignirent son existence comme ordre ou qui frappèrent ses biens. » Ils osent écrire que «< c'est un fait incontestable qu'il prêta même un concours à peu près général au grand changement qui s'opéra dans la constitution politique du pays (2). » Pour savoir la vérité, il faut prendre précisément le contre-pied de cette histoire imaginaire.

Nous rapporterons d'abord les paroles d'un contemporain qui fut témoin des menées contre-révolutionnaires du haut clergé :

(1) Les Révolutions de Paris, n° 73, 27 novembre 1790, pag. 393.
(2) De Carné, l'Église et l'État, dans le Correspondant, t. X, pag. 518.

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