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reux descendants du peuple élu à une servitude qui ne doit cesser que quand les juifs se convertiront à l'Evangile! Que sont devenues ces prédictions barbares? Le progrès des sentiments et des idées les a emportées, et en a démontré l'inanité. Il en est de même des prophéties messianiques, qui s'y lient étroitement.

Les prophéties messianiques n'ont aucun rapport avec JésusChrist. Ce point est hors de doute, et ici les juifs triomphent sur les chrétiens. Est-ce à dire que les juifs soient en droit d'invoquer les prophéties pour justifier l'attente où ils sont d'un Messie? Ici les apologistes chrétiens reprennent leur avantage. Bossuet n'a pas de peine à démontrer que les prophéties, si on les prend dans leur sens littéral, comme annonçant un Messie temporel, sont fausses, par l'excellente raison que le Messie aurait dû venir depuis des siècles, quel que soit le calcul que l'on adopte (1). Il est inutile de nous arrêter sur ce point; les juifs ont fini par abandonner eux-mêmes les prophéties qui leur étaient si chères. Nous arrivons à cette conclusion sur les prédictions messianiques, la preuve par excellence de la révélation chrétienne. Les juifs démontrent jusqu'à l'évidence qu'elles ne s'appliquent pas à JésusChrist, que partant le Messie n'est pas venu. De leur côté, les chrétiens démontrent tout aussi clairement que, entendues dans le sens des juifs, elles ne peuvent plus se réaliser. Elles sont donc fausses. En effet, considérées comme prédictions de l'avenir, inspirées par Dieu, les prophéties ne sont que des chimères. C'est ce que les libres penseurs vont établir contre les juifs et les chrétiens.

No 2. Les libres penseurs et les apologistes.

I

C'est un libre penseur, sorti du judaïsme qui a ruiné dans ses fondements l'autorité des prophéties bibliques. Spinoza eut un précurseur dans le célèbre philosophe connu sous le nom de Maïmonide (2). Chose remarquable! le même peuple qui produisit

(1) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle.

(2) Le Guide des égarés, par Moïse Ben-Maimoun, dit Maimonide, traduit par Munk, 2 v. Paris, 1856-1861.

les prophètes, donna aussi le jour à ces esprits libres qui ont détruit le prestige des prophètes. Maïmonide écrivait au moyen âge, époque où l'intolérance était générale, chez les opprimés aussi bien que chez les oppresseurs. Il lui fallut bien des ménagements pour ne pas s'exposer tout ensemble à la haine des juifs et des chrétiens. Le philosophe juif procède comme les philosophes italiens; il affecte un profond respect pour la révélation de Moïse; puis, quand son orthodoxie est bien établie, il se met à l'aise et il démolit les bases sur lesquelles repose le mosaïsme, considéré comme révélation miraculeuse. Il est bien entendu que ce qu'il dit des prophètes ne s'applique pas à Moïse, sauf au lecteur intelligent à faire cette application.

On peut dire en un mot que Maïmonide rationalise la prophétie. Dans le sens orthodoxe, le prophète est un envoyé de Dieu; ce n'est pas lui qui parle, c'est Dieu qui parle par sa bouche : l'homme n'est qu'un instrument dans les mains du Saint-Esprit. Mettons en regard de la conception vulgaire, l'idée de Maimonide: « Sache, dit-il, que la prophétie est une émanation de Dieu qui se répand par l'intermédiaire de l'intelligence active sur la faculté imaginative; c'est le terme de la perfection à laquelle l'homme peut atteindre (1). » Dieu ne figure dans cette définition que comme principe et source de nos sentiments; c'est l'homme qui joue le rôle principal la prophétie devient un fait naturel. Maimonide admet des degrés dans l'inspiration prophétique; le degré suprême, il l'appelle vision, mais ce n'est pas la vision de Dieu, telle que les croyants l'imaginent. En effet, le philosophe juif se demande, non sans une certaine ironie, si le prophète peut atteindre à ce degré d'imagination, qu'il soit convaincu que Dieu même lui parle. Non, répond-il, la force de l'imagination ne peut pas aller jusque-là (2). Cependant, à entendre les prophètes, c'est toujours Dieu qui parle et qui agit. Comment Maïmonide explique-t-il ce fait? C'est l'imagination qui y joue le rôle principal; il ne faut point croire à une action directe de la Divinité. Ainsi le psalmiste s'écrie : « Dieu parle, et il fait lever un vent de tempête qui élève les vagues. »> Est-ce à dire que les vents ne soufflent et que la tempête ne

(1) Le Guide des égarés, 2 partie, pag. 281.

(2) Ibid., 2 partie, pag. 333 et suiv.

mugit que sur une parole de Dieu? C'est un phénomène naturel, répond la raison, et Maïmonide est de cet avis. Il prend soin de ramener les métaphores du langage prophétique à leur sens raisonnable, et qu'en résulte-t-il? C'est que les prodiges s'évanouissent. Quand il s'agit du miracle de Jonas, qui est aussi une prophétie, l'écrivain sacré dit : « Et l'Éternel parla au poisson. » Faut-il croire qu'il y eut une conversation entre Dieu et le poisson? Tel est, à la vérité, le langage du prophète; en réalité, les choses se passèrent plus humainement: ce n'est pas Dieu, dit Maïmonide, qui détermina la baleine à avaler Jonas, c'est la faim. La Bible, ajoute-t-il, ne veut pas dire que le poisson ait entendu la parole de Dieu, ni que Dieu ait rendu le poisson prophète et se soit révélé à lui (1)..

Maïmonide a encore un grand respect pour les prophètes, puisqu'il croit que chez eux l'intelligence et l'imagination s'unissent pour produire la perfection humaine. Si l'intelligence seule dominait chez les prophètes, dit-il, à quelque hauteur qu'elle s'élevât, nous aurions un philosophe et non un voyant. Si, au contraire, l'imagination régnait en souveraine, nous aurions un de ces rêveurs dupes d'eux-mêmes et artisans de pieux mensonges, qu'on appelle devins, augures, magiciens. Eh bien, voici Spinoza qui nous apprend que les prophètes sont des hommes d'imagination, il les dépouille de l'intelligence que Maïmonide avait bien voulu leur reconnaître. Les orthodoxes placent les prophètes au dessus de l'humanité; tandis que Spinoza leur refuse presque la raison. Et il a pour lui l'Écriture sainte. Ne dit-elle pas que Salomon excellait par sa sagesse? Et elle ne dit point qu'il eût le don de prophétie. Par contre des hommes grossiers, sans lettres, même des femmes esclaves, Hagar, la servante d'Abraham, furent prophètes. A en croire les orthodoxes, les prophètes auraient révélé des vérités auxquelles notre raison ne serait jamais parvenue par ses seules forces. S'il en est ainsi, il faut avouer que les prophètes étaient de pures machines, qu'ils n'avaient point conscience de ce qu'ils révélaient. Spinoza cite les prophéties de Zacharie qui étaient tellement obscures, qu'il ne put les comprendre sans une explication. Ce fut encore pis chez Daniel; le grand prophète fut

(1) Le Guide des égarés. t. II, pag. 365.

incapable de comprendre ses prophéties, même avec une explication (1).

Qu'importe, disent les orthodoxes, que les prophètes n'aient pas compris leurs révélations? Cela même prouve qu'ils parlent sous l'inspiration du Saint-Esprit. Oui, mais à une condition, c'est que l'on trouve dans leurs écrits des notions sur Dieu, sur le monde, qui par leur sublimité ne peuvent être rapportées qu'à la Sagesse éternelle. En est-il ainsi? Spinoza passa sa vie à méditer sur Dieu, et voici ce qu'il écrit, dans l'intimité de l'amitié, sur les révélations prophétiques : « Les spéculations de la philosophie n'ont rien à voir avec l'Écriture. Je déclare pour ma part que je n'y ai jamais appris un seul des attributs éternels de Dieu (2). » Il est vrai que l'Écriture n'est pas un cours de philosophie; mais du moins quand Dieu parle aux hommes par l'intermédiaire des prophètes, ne leur doit-il pas donner de fausses idées. Or, consultons le plus grand des prophètes juifs. Moïse demande à voir Dieu; il croyait donc que Dieu est visible, c'est à dire qu'il n'y a rien dans sa nature qui l'empêche de l'être. Pour confirmer cette grossière notion de la Divinité, il met cette réponse dans la bouche de son Dieu : << Nul mortel ne peut vivre après m'avoir vu. » Ce qui implique encore que Dieu est visible, et que si nous ne pouvons le voir, c'est uniquement à raison de notre faiblesse. Voilà une belle révélation de l'Être suprême! Autre révélation digne de la première. On croyait que Dieu habitait dans les cieux; quand il voulait parler aux hommes, il devait donc descendre de sa demeure céleste. C'est aussi la croyance de Moïse; Dieu descend sur la montagne pour lui dicter ses commandements, et le prophète y monte pour parler à Dieu. Ainsi le plus grand des prophètes ne sait pas même que Dieu est en tous lieux (3)!

II

Il ne vaut presque pas la peine de mentionner les réfutations que les apologistes chrétiens ont faites de la doctrine de Spinoza.

(1) Spinoza, Tractatus theologico-politicus, c. n.

(2) Idem, Epist. XXXIV, ad Blyenbergh.
(3) Idem, Tractatus theologico-politicus, c. I.

Ils s'emportent en injures, en gros mots, puis ils s'imaginent, les pygmées, qu'ils ont terrassé le géant. Nous parlons des plus autorisés. Abbadie, le ministre réformé qui jouissait de tant de crédit au dix-septième siècle, dit que les critiques de Spinoza ne sont qu'un composé de mauvaise foi, d'ignorance et de manque de jugement (1). L'infatuation des défenseurs du christianisme est vraiment incroyable! La révélation leur paraît si évidente, qu'ils croient qu'il faut être ou ignorant ou de mauvaise foi, pour oser l'attaquer. A leur présomption il nous suffira d'opposer les travaux de la science moderne, pour montrer que l'excès de zèle se tourne contre la révélation.

Spinoza ruine les prophéties dans leur fondement, en remarquant qu'elles ne sont pas un fait particulier au peuple hébreu, que toutes les nations ont eu leurs prophètes. Les livres sacrés et profanes sont remplis de récits prophétiques. La science moderne a mis ces traditions à profit pour faire une étude sérieuse de la prophétie juive (2). Et à quels résultats est-elle arrivée? Précisément à ceux que Spinoza a établis dès le dix-septième siècle. Il représente les prophètes comme des hommes d'une imagination exaltée; cela est admis aujourd'hui comme une vérité incontestable la prophétie est inséparable de la poésie, aussi bien chez les païens que chez les Hébreux. Le poète hébreu est un prophète et le prophète est un poète. Chose singulière! Les apologistes qui taxent Spinoza d'ignorance, partagent l'erreur générale sur le caractère des prophètes; ils s'imaginent que les écrivains sacrés n'avaient d'autre mission que de prédire l'avenir. Or, il se trouve que le mot qui les désigne dans la langue hébraïque, nabi, n'indique nullement l'idée de prédiction. Aujourd'hui les orthodoxes mêmes, au moins chez les protestants, l'avouent. Qu'est-ce que le nabi? Un orateur qui expose et défend la loi de Moïse, un poète qui en célèbre les bienfaits et en recommande la pratique. Telle est la mission des prophètes hébreux. Quand fleurirent-ils? Depuis Moïse jusqu'au retour de la captivité de Babylone. Pourquoi? Parce ce que le peuple violait sans cesse les prescriptions de la loi, parce qu'il était infidèle à l'alliance que Dieu avait contractée avec Israël;

(1) Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, t. I. pag. 213-302.

(2) Michel Nicolas, la Science biblique en Allemagne. (Revue germanique, t. X, pag. 500.)

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