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moins de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ; ils sont donc appelés à témoigner pour la divinité du Christ, pour la révélation. Mais, pour qu'ils soient témoins, il faut qu'ils portent toujours le sceau de l'horrible crime de leurs ancêtres déicides. Il leur est permis de se perpétuer, à condition de rester frappés de malédiction errants, sans patrie, sans domicile, sans droit, esclaves des chrétiens, telle est leur destinée jusqu'à la consommation des siècles. Voilà ce qu'ont dit les Pères de l'Église, voilà ce qu'ont décrété les papes et les conciles, voilà ce qu'ont répété encore Pascal et Bossuet. C'est déjà une réunion d'imposantes autorités, mais ce n'est pas tout; ceux qui condamnent les juifs à une servitude éternelle invoquent l'Écriture sainte. Ainsi Dieu même aurait voué les juifs à une existence ignominieuse, pour les punir tout ensemble et pour qu'ils servent de témoins à son Fils. Enfin il y a des prophéties qui viennent confirmer cette sentence. Eh bien, prophéties, Écriture sainte, conciles, papes et Pères de l'Église, toutes ces autorités, et il n'y en a point de plus sacrées, toutes se sont trompées. La servitude perpétuelle a cessé; la Révolution y a mis fin pour toujours. Elle a mis fin aussi à la révélation; la révélation s'en va avec les témoins qui l'attestent, elle s'en va avec les prophéties et les livres saints, convaincus d'erreur. Voilà ce qu'a fait l'Assemblée nationale, en émancipant les juifs du joug de l'intolérance chrétienne. Ce n'est pas dans de vaines prophéties, ni dans de vaines Écritures que se trouve la parole de Dieu; la voix de l'humanité, la voix des peuples, telle est la voix de Dieu.

CHAPITRE II

SÉCULARISATION DE LA RELIGION

§ 1. La Révolution et la Religion

No 1. L'Assemblée constituante.

La liberté religieuse implique la séparation de la religion et de l'État, en ce sens qu'il n'y a plus de religion dominante. Mais, de ce que tous les cultes sont libres, il ne suit pas nécessairement que l'État ne puisse se mêler d'aucune religion, qu'il doive rester étranger à tout culte. On réclame aujourd'hui la séparation complète de la religion et de l'État; les partisans de la démocratie prétendent que la Convention inaugura ce système, et que la constitution de l'an III le consacra. I importe de rétablir la réalité des faits. Il est très vrai que le principe de la liberté religieuse, proclamé par l'Assemblée nationale, ne nous donne pas le dernier mot de la Révolution. Pour comprendre les diverses phases de l'ère révolutionnaire dans ses rapports avec la religion, il ne faut point perdre de vue que la Révolution procède de la philosophie du dix-huitième siècle, et que la philosophie fut hostile, non seulement au catholicisme, mais au christianisme et à toute religion révélée. Les historiens de cette époque mémorable n'ont point fait ressortir ses tendances religieuses; quand on les lit, on croirait que la Révolution fut exclusivement politique, et que les débats religieux ne furent qu'un accident provoqué imprudemment par le décret sur la constitution civile du clergé. C'est donner de la Révolution une idée fausse, parce qu'elle est incomplète. Il

eût fallu un miracle, pour que la Révolution française restât étrangère à la religion. La philosophie, dont elle s'inspira, était un mouvement religieux bien plus que politique. Et l'on veut que les disciples de Voltaire et de Rousseau soient restés indifférents à des questions qui avaient tant préoccupé leurs maîtres!

L'opposition du dix-huitième siècle contre le catholicisme était une véritable haine. Voltaire s'était donné pour mission d'écraser l'infâme; nous avons dit ailleurs que l'hostilité des libres penseurs devint de plus en plus passionnée, à mesure que l'on approcha de 89 (1). On ne voulait rien moins que la destruction du christianisme, et l'on croyait que le temps approchait où cette œuvre serait chose facile. Les philosophes se faisaient illusion : la décadence des vieilles religions était évidente, mais, de là à leur fin prochaine, il y avait loin. Ils se trompèrent surtout sur le caractère de la révolution qui devait consommer la ruine du christianisme. Comme les peuples restaient attachés à leurs croyances superstitieuses, les philosophes s'adressèrent aux princes; ils ne voyaient pas que le pouvoir des rois s'en allait aussi bien que celui des prêtres, et qu'au besoin la royauté s'allierait avec le sacerdoce pour sauver l'édifice du passé. La Révolution se fit par le peuple et non par les rois. Cela bouleversa toutes les prévisions, et cela n'allait-il pas déranger tous les calculs? Un écrivain, catholique tout ensemble et révolutionnaire, disait en 89 que la France était catholique jusqu'à la moelle des os (2). Est-ce qu'une nation catholique pouvait démolir le catholicisme?

Que les couches inférieures de la société fussent catholiques, surtout dans les campagnes, nous le croyons volontiers. Mais ce n'est pas de là que partit la Révolution. Ce furent les trois ordres qui élurent les députés des états généraux. Nous laissons le clergé de côté; tout déchu, tout incrédule qu'on le suppose, il ne pouvait pas se suicider; l'incrédulité d'ailleurs ne gagna que les hauts prélats, les vrais travailleurs restèrent croyants. Les nobles étaient profondément imbus des doctrines philosophiques de leur siècle; mais, pour des motifs politiques que chacun sait,

(1) Voyez le t. XII de mes Etudes sur l'histoire de l'humanité.

(2) L'abbé Fauchet, la Religion nationale, pag. 11 : « Depuis quinze siècles, la religion catholique est nationale en France. Il ne serait pas aussi facile que quelques-uns aiment à le penser d'amener la nation française à un grand changement légal sur la religion. »

ils firent cause commune avec le clergé. Restait le tiers. Il n'était pas tout entier voltairien; le jansénisme eut des représentants convaincus dans l'Assemblée nationale. Les incrédules proprement dits se trouvaient donc en minorité. Cela explique les ménagements que les libres penseurs mirent dans l'expression de leur pensée; cela explique encore les demi-mesures, les hésitations, les transactions de cette illustre assemblée. Le bon Dieu n'était pas mûr, comme le disait Camille Desmoulins; il fallait compter avec lui.

Est-ce à dire que l'Assemblée constituante fut religieuse, ou du moins favorable au christianisme? Un écrivain démocrate le dit; mais il faut se défier des démocrates presque autant que des catholiques; ils écrivent l'histoire avec un prisme qui change la réalité et la transforme au gré de leurs désirs. Ce n'est que par cette illusion que nous pouvons nous expliquer ce que dit M. Quinet de l'Assemblée nationale. A l'entendre, elle était trop croyante pour traiter légèrement la foi du passé; il prétend que l'enthousiasme donnait à Mirabeau l'accent religieux, puis il s'écrie avec l'illustre orateur : « La France apprendra aux nations que l'Évangile et la liberté sont la base inséparable de la vraie législation et le fondement éternel de l'état le plus parfait du genre humain. » Il ajoute « que, depuis le serment du Jeu de paume, la philosophie devint avant tout religieuse (1). » Nous allons mettre les faits à la place de cette histoire de fantaisie.

Écoutons les contemporains, ceux auxquels la religion du passé tenait à cœur. Un orthodoxe de vieille roche prit en main la défense du catholicisme traditionnel contre le clergé qui s'était rallié à la Révolution, et il défendit sa cause avec talent. On lit dans la quatrième lettre aux ministres de la ci-devant Église constitutionnelle « On sait que les meneurs de la première assemblée, les .Mirabeau, les Dupont, les Chapelier, les Barnave, étaient des incrédules qui avaient contre la religion une haine bien profonde. Le parti fut donc pris d'abolir la religion en France. De là les décrets qui dépouillent le clergé de ses biens, qui anéantissent les corps religieux, les monastères, les chapitres et qui enlèvent à l'Église son titre de religion nationale, sous le prétexte bêtement

(1) Quinet, le Christianisme et la Révolution française, pag. 335, 336.

hypocrite, que c'est par respect pour la religion. » Le mot est dur, mais il est vrai. Quand Mirabeau affectait un respect profond pour la religion du peuple, il ne disait pas sa pensée. On lui attribue un mot qui rappelle celui de Voltaire : il fallait, disait-il, décatholiciser la France. Qu'il ait prononcé ou non ces paroles, elles expriment certes les intentions de tous ceux qui se rattachaient au dix-huitième siècle; et qui donc n'en avait subi l'influence?

I importe avant tout de constater quelle était l'opinion publique, c'est à dire l'opinion des classes qui firent la Révolution. Nous n'aurions point de témoignages, que nous pourrions affirmer qu'elles étaient hostiles au catholicisme, parce qu'il n'en pouvait être autrement à la fin d'un siècle dont Voltaire était le dieu. Mais les témoignages abondent, et nous ne choisissons pas ceux qui émanent des ennemis de la religion chrétienne. On lit dans l'Essai sur l'état des religieux (1), qu'on ne montrait pas seulement de l'indifférence pour la religion, mais du dédain et pis encore : « On porte, dit-il, une véritable haine contre la religion catholique que l'on travestit en religion tyrannique et ambitieuse. Tout lui est préférable, selon nos prétendus sages, même les extravagances de l'idolâtrie, les rêveries du mahométisme, parce qu'on s'imagine que tout cela se concilierait mieux avec la liberté dont on fait son idole. » Est-il bien vrai que l'on travestissait le catholicisme en le disant hostile à la Révolution? Au moment même où l'écrivain français se plaignait de l'injustice de cette opposition passionnée contre la religion catholique, le pape tenait un consistoire, où il parla longuement des maux qui affligeaient la France que dit-il des principes de 89? Il dit aux cardinaux « que les Français se sont laissé séduire par une vaine apparence de liberté, pour se faire les esclaves d'une assemblée de philosophes, oubliant que les peuples les plus heureux sont ceux qui obéissent à leurs rois. >> Qu'est-ce que la Révolution dans son essence? La liberté de penser. Et qu'est-ce que le vicaire infaillible de Dieu dit de cette liberté? Que c'est un droit monstrueux et insensé (2).

Faut-il s'étonner si la haine alla croissant? En 1792 parut un écrit intitulé Conjuration contre la religion catholique et les sou

(1) Publié en 1790, pag. 7,

(2) Theiner, Documents inédits sur les affaires religieuses de France, t. I, pag. 2 et 37.

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