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culte il y avait des principes immoraux, antisociaux, il le faudrait proscrire. Il examine ensuite les reproches que l'on fait aux juifs; il trouve que les plus graves sont injustes et que les autres ne sont pas des délits. « L'usure, dit-on, leur est permise. Cette assertion n'est fondée que sur une fausse interprétation d'un principe de bienfaisance et de fraternité qui leur défend de prêter à intérêt entre eux. Après tout, à qui la faute, que les juifs n'étaient pas agriculteurs, industriels, fonctionnaires? On ne leur permettait pas de posséder le sol; on les excluait des corporations et de tout office public; on ne leur laissait que l'argent, que l'on était très heureux de trouver chez eux et on leur faisait un crime de ce qu'ils faisaient valoir cet argent! >>

Voilà le langage d'un homme de 89. Écoutons maintenant un représentant du passé. L'abbé Maury n'ose plus arborer son drapeau ; il n'ose plus répéter avec les papes et avec les conciles que les juifs sont voués à une servitude perpétuelle. Que dis-je? si l'on en croyait ses paroles, on le prendrait pour un partisan de la tolérance. Il ne veut pas qu'on persécute les juifs ne sont-ils pas hommes? ne sont-ils pas nos frères? « Anathème, s'écrie-t-il, à quiconque parlerait d'intolérance! » Voilà les paroles. Voyons les actes. Il faut se défier du langage libéral des catholiques; les protestations ne leur coûtent rien. Ils immolent les hérétiques; n'allez pas croire que ce soit pour leurs opinions. Eux persécuter! quelle calomnie! Les juifs sont leurs frères, ils excluent ces frères de l'héritage commun. Est-ce intolérance? Dieu les en garde ! L'abbé Maury va nous dire, qu'il y a pour cela les meilleures raisons du monde. Les juifs ne sont pas une secte, mais une nation, qui a ses lois particulières, qui les a toujours suivies, qui veut encore les suivre. «< Appeler les juifs des citoyens, ce serait comme si l'on disait que, sans lettres de naturalisation et sans cesser d'être Anglais et Danois, les Anglais et les Danois pourraient devenir Français. » O admirable sophiste! Les Anglais ont une patrie, et tant qu'ils la conservent, il est évident qu'ils ne peuvent pas devenir Français. Mais les juifs! Si l'on vous demandait quelle est leur patrie? où ils exercent leurs droits de citoyen? Vous leur refusez une patrie réelle, parce que vous leur supposez une patrie imaginaire qui n'existe plus depuis dix-huit siècles. Et qui donc a empêché les juifs de devenir Français? Ne seraient-ce point

ceux qui les flétrissaient comme déicides, et qui concluaient de cette stupide accusation que les juifs devaient être à jamais les esclaves des chrétiens? Ainsi les persécuteurs se prévalaient de leur crime contre les persécutés! Les juifs étaient ce qu'une tyrannie séculaire les avait faits. Il faut qu'ils restent tels, disent les tyrans. Soit, mais alors montrez-vous au moins ce que vous êtes, et ne commencez pas par vous dire tolérants, pour aboutir au maintien de la persécution! Non, vous voudriez jouir d'une réputation de tolérance, tout en vous livrant à votre haine théologique.

L'abbé Maury a encore d'autres griefs contre les juifs : « Ils ont traversé dix-sept siècles sans se mêler aux autres nations; ils n'ont jamais fait que le commerce de l'argent; aucun d'eux n'a su ennoblir encore ses mains, en dirigeant le soc et la charrue. >> C'est toujours le même cercle vicieux, il faudrait dire, odieux. Pendant des siècles, et encore en 89, on traitait les juifs comme des bêtes brutes; en entrant dans une ville ils devaient payer les mêmes droits d'octroi que les porcs. Et vous vous étonnez de ce que ces parias ne se sont pas mêlés à vous! Vous les avez exclus de votre sein, et vous leur faites un crime de ce qu'ils sont en dehors de la société ! Ils n'ont pas mis la main à la charrue, dites-vous. Et qui leur a défendu la possession du sol? L'intolérance chrétienne. Il y a aussi tels cantons suisses, où les catholiques ne labouraient point la terré, pour une excellente raison, c'est qu'on ne leur permettait point d'être propriétaires. Si l'on s'emparait de cette exclusion pour en faire un grief contre les catholiques, vous crieriez à l'injustice, et vous auriez mille fois raison. Pourquoi avez-vous une autre justice, quand il s'agit des juifs? C'est qu'il y a une arrière-pensée dans toutes vos accusations, il y a un crime sans nom que vous leur imputez ayez donc le courage de dire que ce sont des déicides!

Si Maury avait dit dans le sein de l'Assemblée constituante ce qu'avaient dit les papes et les conciles, on l'aurait hué. Voilà pourquoi il mit le masque de la tolérance et de la charité. Oui de la charité les juifs ne sont-ils pas ses frères? « Les juifs, dit notre abbé, possèdent en Alsace douze millions d'hypothèques sur les terres. Dans un mois, il seraient propriétaires de la moitié de cette province; dans dix ans, ils l'auraient entièrement conquise, elle

ne serait plus qu'une colonie juive. Les peuples ont pour les juifs une haine que cet agrandissement ne manquerait pas de faire éclater. Pour leur salut, il ne doit pas y avoir lieu à délibérer. Que les juifs soient protégés comme individus, et non comme Français, puisqu'ils ne peuvent être citoyens. » On ne sait ce qu'il faut le plus admirer dans ces raisonnements du grand orateur catholique, la perfidie ou la bêtise. La bêtise est palpable. Est-ce que l'exclusion des droits politiques empêchait les juifs de se livrer au commerce d'argent? Elle les y poussait au contraire, puisque toute autre carrière leur était fermée. Pouvaient-ils moins conquérir l'Alsace, par leurs usures, s'ils n'étaient pas électeurs que s'ils étaient électeurs? La bêtise était cependant un excellent calcul. Maury réveillait les préjugés populaires contre les juifs, et telle était leur puissance, que personne ne lui demanda d'où venaient ces préjugés? qui avait appris aux masses à détester les juifs? qui les avait signalés à leur haine, en les traitant de déicides?

Nous nous trompons, il se trouva un seul député qui osa placer la question sur son vrai terrain. Robespierre nous inspire peu de sympathie; toutefois il faut lui rendre une justice, c'est qu'il était toujours sur la brèche, quand il s'agissait de défendre la liberté. Le Moniteur ne donne qu'une courte analyse de son discours; en 89 son nom était encore obscur; nous citerons les quelques paroles qui s'y trouvent, elles répondent à tous les sophismes de l'abbé Maury: «< On vous a dit sur les juifs des choses infiniment exagérées et souvent contraires à l'histoire. Les vices des juifs naissent de l'avilissement dans lequel vous les avez plongés; ils seront bons, quand ils trouveront quelque avantage à l'être (1). » Robespierre n'avait pas tort de crier à l'exagération. Rien de plus ridicule que les prédictions de l'abbé Maury. Il y a près d'un siècle que les juifs sont citoyens en France, et l'Alsace n'est pas encore une colonie juive; les conquérants se sont faits industriels, commerçants, avocats, ils sont devenus Français. Ils l'auraient été depuis des siècles, sans l'intolérance catholique.

Cependant la motion de Clermont-Tonnerre menaçait d'être rejetée elle comprenait les protestants, les comédiens et les juifs. Le catholicisme avait si bien égaré les esprits, que même

(1) Moniteur du 23, 24 et 25 décembre 1789.

l'Assemblée constituante n'osa pas ouvertement braver la superstition. Un des députés avancés, Rewbell, représentant de l'Alsace, dit qu'il ne répondait point de la tranquillité de sa province, si la proposition était adoptée. Heureux de trouver un auxiliaire dans les passions du peuple, le clergé voulut que l'on divisât la proposition, qu'on l'accueillît pour les protestants, qu'on la rejetât pour les comédiens et les juifs. Mirabeau, voyant que le fanatisme allait l'emporter sur la raison et sur la justice, demanda l'ajournement. C'était donner gain de cause au droit, car il était impossible qu'une révolution faite au nom de l'égalité consacrât l'ilotisme d'une partie de la nation. Au mois de mai 1791, les juifs domiciliés à Paris s'adressèrent à la municipalité, pour obtenir sa protection auprès de l'assemblée. Cet appui pouvait-il leur manquer, alors que Bailly était maire? La pétition de 1791 a un tout autre caractère que celle de 89: deux années de liberté avaient suffi pour changer les esclaves en hommes.

« L'esclavage religieux des juifs vient de cesser, disent les pétitionnaires, mais leur esclavage civil dure encore, et cependant s'ils ont reçu de la loi le droit d'élever des synagogues, peuvent-ils ne pas recevoir d'elle aussi le titre et les droits de citoyen? Peuvent-ils être citoyens dans leurs synagogues seulement, et hors de là étrangers ou esclaves? C'est parce qu'ils pratiquaient un culte proscrit par une religion dominante, qu'ils étaient proscrits eux-mêmes, et réduits à un état de nullité et d'abjection. Mais leur culte est élevé à la hauteur des autres par le système universel, non de tolérance, mais de justice qui doit régner chez un peuple libre et éclairé. Où pourrait donc être maintenant la raison de séparer leur état civil de celui des autres citoyens? Il ne doit y avoir de différence entre les hommes de différentes religions que dans l'exercice de leur culte; hors de là, on ne voit et l'on ne doit voir que des citoyens. S'il est un culte que la nation ait voulu payer, parce qu'il tient à la croyance du plus grand nombre, dit M. Talleyrand, il n'en est aucun hors duquel elle ait voulu, elle ait pu déclarer qu'on ne serait pas citoyen et, par conséquent, habile à toutes les fonctions. S'il en était autrement, ce seraient les religions qui donneraient les droits civils; et ce n'est que la naissance ou le domicile qui peuvent les donner. Il s'ensuivrait aussi que, s'il y avait une religion dans laquelle on ne

pourrait pas être citoyen, tandis qu'on le serait dans toutes les autres, celles-ci seraient des religions dominantes, et aucune ne peut en dominer une autre, toutes ont des droits égaux... Si on refusait aux juifs l'état civil, parce qu'ils sont juifs, on les punirait donc d'être nés dans leur religion; et dès lors la liberté des religions et des cultes n'existerait vraiment pas, puisque la nullité ou la perte de l'état civil serait attachée à l'exercice de cette liberté. Ah! certes, en élevant les hommes à la liberté religieuse, on a entendu les élever tous aussi à la liberté civile; il ne peut point y avoir de demi-liberté, comme il n'y a point de demi-justice (1). »

Il n'y avait rien à répondre à ces raisons. Le corps municipal de Paris décida qu'il mettrait sous les yeux de l'Assemblée la requête des juifs et le vœu de la municipalité tendant à ce que la loi étendît aux juifs les principes bienfaisants que le législateur avait consacrés sur la liberté des opinions religieuses. Au mois de septembre de 1791, dans une des dernières séances de la Constituante, Dupont renouvela la proposition faite en 89 par ClermontTonnerre. « Je crois, dit-il, que la liberté des cultes ne permet plus qu'aucune distinction soit mise entre les citoyens à raison de leur croyance. La question de l'existence politique des juifs a été ajournée; cependant les Turcs, les musulmans, les hommes de toutes les sectes, sont admis à jouir en France des droits politiques. Je demande que l'ajournement soit révoqué, et qu'il soit décrété que les juifs jouiront en France des droits de citoyen actif. >> La motion fut accueillie par des applaudissements. Quand Rewbell demanda à la combattre, Regnault s'écria qu'il fallait rappeler à l'ordre tous ceux qui parleraient contre la proposition, parce que c'était la constitution elle-même qu'ils combattaient. La proposition fut adoptée sans débat (2).

Nous nous sommes arrêté longuement sur un décret qui aujourd'hui est si bien entré dans nos mœurs que nous n'en comprenons même plus la gravité. L'Assemblée nationale n'en a point rendu de plus important. On invoque toujours dans les sermons, dans les ouvrages de polémique religieuse, les juifs comme té

(4) Moniteur du 16 juin 1791. (2) Ibid. du 29 septembre 1791.

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