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levèrent les mains, et protestèrent contre le décret. Les évêques et les nobles avaient le projet de quitter l'Assemblée à l'instant du vote, et de se rendre en corps aux Tuileries pour déposer entre les mains du roi une protestation solennelle contre une décision qui anéantissait la religion catholique. Mais les ministres de Louis XVI n'ayant pas osé se prêter à cet éclat, l'on du se contenter d'une protestation écrite : elle fut signée par 297 membres (1). Quels étaient les saints personnages qui montraient tant de zèle pour les intérêts de la religion? Il y avait quelques simples, convaincus; il y avait aussi des prélats concubinaires; il y avait des nobles plus incrédules que les libres penseurs leurs maîtres. Que voulaient-ils, ces champions de l'Église et de la religion? Leur protestation est tout aussi hypocrite que la déclaration de l'Assemblée, avec cette différence que l'Assemblée voulait la liberté, tandis que les contre-révolutionnaires voulaient le régime de Louis XIV. Les Lameth, les Mirabeau avaient tort d'affecter pour le catholicisme un respect qui était loin de leur cœur. Mais que dire des Maury, des Cazalès? L'abbé Maury avait proposé de décréter que la religion catholique était la seule dominante, qu'à elle seule appartenait la solennité du culte public. C'était bien l'intolérance en plein. Cependant dans leur protestation, les nobles et les prêtres proclamaient que le catholicisme était la plus tolérante de toutes les religions! Voilà des tours de force dont les catholiques seuls sont capables. Est-ce que l'abbé Maury, ce foudre d'éloquence, était au moins de bonne foi? On lit dans un journal de l'époque, que le jour où dom Gerles fit son imprudente proposition, « Maury sortit de la séance, ne se sentant point d'aise, et si content de lui-même qu'il ne put s'empêcher de dire sur la terrasse des Tuileries: » Cette fois ils ne peuvent nous échapper. La motion de dom Gerles est une mèche allumée sur un baril de poudre. » On lit dans un autre journal: « Quelle était la politique du clergé? Si le catholicisme était reconnu religion de l'État, ils demandaient le maintien du patrimoine de l'Église. Si la motion était rejetée, ils criaient à l'impiété, au sacrilége et excitaient le fanatisme contre l'Assemblée (2). »

(4) Moniteur du 13 et 14 avril 1790. — Ferrières, Mémoires, liv. vi.

(2) Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française, t. V, pag. 376, 343, 352.

Ainsi un odieux calcul se cachait sous le masque du zèle religieux !

IV

Les catholiques ont toujours un échappatoire. Vous invoquez contre eux les paroles et les actes du clergé gallican; ils vous répondent que le clergé français n'est point l'Église. Non, mais le royaume très chrétien est néanmoins un royaume catholique; et ne dit-on pas aujourd'hui que les nations catholiques ont pris l'initiative de la tolérance? En effet, l'Assemblée nationale proclama la liberté religieuse à une époque où elle n'était reçue, dans cette extension, nulle part en Europe, pas même en Angleterre. Mais est-ce au catholicisme qu'on la doit? Les violentes protestations du clergé que nous venons de mentionner, répondent à notre question. Nous avons une réponse plus péremptoire encore à faire aux chicanes des catholiques modernes. Ils se disent tous ultramontains; qu'ils écoutent donc la voix du pape, vicaire infaillible du Christ, et s'il leur reste quelque pudeur, ils cesseront de parler de l'alliance de la liberté et du catholicisme. L'un des premiers actes de l'Assemblée constituante fut la déclaration des droits de l'homme. Parmi les droits imprescriptibles, elle plaça la liberté de penser, même en matière religieuse. Pie VI nous dira ce qu'en pense la papauté. Dans un bref adressé aux évêques de France, le pape flétrit cette liberté comme un droit monstrueux et insensé qui étouffe la raison (1).

Ne pourrait-on pas appliquer au langage de Pie Vl, ce que le saint-père dit de la libre pensée? Quoi de plus insensé que de dire que la liberté de penser, qui est de l'essence de la raison, détruit la raison, et assimile l'homme à l'animal? S'il y a une doctrine qui réduit l'homme à l'état de brute, c'est bien celle qui impose un joug à la raison, et qui prétend la conduire par la force, comme on conduit un cheval par le mors et par le frein. Dira-t-on que le pape ne réprouve que la liberté de penser, ce qui est l'intolérance purement théologique, qu'il ne condamne point la tolérance civile? Pie VI va de nouveau répondre à notre question, et le

(1) Voyez la première partie de cette Étude. (Tome XIII, page 448.)

lecteur jugera si Rousseau a eu tort de traiter de pitoyable cette fameuse distinction entre l'intolérance civile et l'intolérance dogmatique; le lecteur jugera encore ce que l'on doit penser de la bonne foi de nos zélés catholiques. Le pape écrit en 1791 à l'archevêque de Sens que la liberté et l'égalité aboutissent à détruire la religion catholique, que c'est dans ce but que l'Assemblée nationale a refusé de reconnaître le catholicisme comme religion dominante, droit dont il avait toujours joui. Il faut donc, selon Pie VI, que l'Église soit dominante. Que deviennent alors les autres sectes? Lear accordera-t-on au moins la tolérance civile ? Le saint-père ne veut pas entendre parler de tolérance. Tout ce qu'il concède, c'est que l'on ne doit pas employer la contrainte pour convertir les infidèles ou les Juifs à l'Évangile; mais il n'en est pas de même de ceux qui se sont soumis à l'Église en recevant le baptême; ceux-ci doivent être forcés à rentrer dans le sein de l'Église, s'ils la désertent. Ainsi à l'égard des protestants et des libres penseurs, on peut et on doit employer la violence pour les ramener à l'obéissance. C'est, ajoute Pie VI, la doctrine de saint Thomas, qui l'établit par des raisons invincibles, et cette même doctrine, le pape Benoît XIV venait de la professer au dix-huitième siècle dans son ouvrage sur la canonisation (1).

Ainsi quand le monde ancien s'écroulait sous les coups de la Révolution, la papauté en était toujours à la doctrine du moyen âge sur le droit et le devoir de détruire les hérésies par le fer et par le feu! Voilà la tolérance civile que le vicaire infaillible de Jésus-Christ admet pour les réformés et pour les libres penseurs! Le catholicisme se dit immuable et il est certainement incorrigible. La Révolution passa sans rien lui apprendre. Croirait-on que quand Napoléon proposa à la cour de Rome de rétablir le catholicisme en France, l'envoyé pontifical répondit que ses propositions étaient contraires à la foi, et que le saint-père ne les accepterait jamais. Qu'est-ce qu'il y avait de contraire à la foi dans le projet de concordat? On n'en croit point ses yeux, quand on lit les contre-propositions du saint-siége; il demandait que dans le préambule on déclarât le catholicisme religion de l'État en France, que les consuls en fissent profession publique, et que les lois et

(1) Theiner, Documents inédits, t. I, pag. 39,

actes contraires à cette déclaration fussent abrogés (1). Ainsi d'un trait de plume, le pape effaçait la révolution et les lois qu'elle avait portées. Dans quel monde vivent donc les momies de Rome? Le vicaire de Dieu, malgré son infaillibilité, était aveugle au point d'ignorer que la Révolution ne pouvait point se défaire, parce qu'elle était accomplie dans les esprits, avant d'éclater comme la foudre. Il ne se doutait pas que vouloir le retour à l'ancien régime, c'était vouloir ressusciter les morts. De fait, la cour de Rome appartient au monde de morts.

Que l'on ne croie pas que les ultramontains seuls étaient frappés de cet incurable aveuglement. Nous avons sous les yeux un ouvrage publié en 1796 par un catholique qui, à en juger par son langage, était un partisan sincère de la liberté (2). L'auteur du Culte public voulait réconcilier la Révolution avec le catholicisme. Il défend sa religion contre les accusations des révolutionnaires. Le grand reproche qu'on lui adressait, c'est que c'était une religion de despotisme et d'esclavage. Notre apologiste répond que le catholicisme inspire l'enthousiasme de la liberté et de l'égalité (3). Comment osait-on imprimer ces contre-vérités à la fin d'une révolution que l'Église avait combattue par le fanatisme poussé jusqu'à la guerre civile? Nous avons dit ailleurs quel était l'enthousiasme du pape pour la liberté et l'égalité. Pour le moment il est question de la liberté religieuse. Qu'en pense notre catholique? Il en est toujours aux vieux préjugés de son Église sur l'alliance de la religion et de l'État. Il ne conçoit point que l'unité politique se puisse concilier avec la diversité de religion; il prédit que la diversité de cultes admise aux États-Unis conduira à la ruine de la république. Que veut-il donc? L'unité religieuse. Tout ce qu'il concède aux idées nouvelles, c'est la liberté de conscience (4). Et qu'entend-il par là? Ce n'est point la liberté religieuse. Il dit que permettre à toute personne de prêcher ce qu'elle veut, ou de ne pas professer de religion, est une chose monstrueuse. Son idéal est l'unité du culte public. Le gouverne

(1) Thiers, Histoire du consulat, liv. XII.

(2) Le Culte public, 1796, précédé d'un Discours de la religion à l'Assemblée nationale, publié en 1790.

(3) Ibid., t. I. pag. 64.

(4) Ibid., t. I, pag. 123, ss. 127, s.

ment doit faire tous ses efforts pour y atteindre. L'auteur conseille les moyens de protection et de faveur (1). Il oublie que c'est par ces moyens que Louis XIV commença et qu'il finit par les dragonnades. Il y a mieux. Persécution pour persécution, nous préférerions celle qui s'exerce ouvertement par les bûchers, à celle qui se fait par les voies honteuses de la corruption.

La persécution par le fer et par le feu est au fond la pensée de tous les catholiques, de ceux-là mêmes qui parlent de liberté de conscience. Écoutons ce que notre catholique libéral pense de la Réforme << Là où l'unité de religion existe, le plus grand crime est de la troubler. » Puisque les réformateurs étaient des criminels, pires que les voleurs et les assassins, n'était-il pas juste de les punir? L'auteur du Culte public, si enthousiaste de liberté, regrette que l'on n'ait point puni celui qui osa le premier prêcher la Réforme en France. Ignorait-il que les bûchers furent dressés à Paris? Les idées n'ont jamais été arrêtées par les bourreaux. Ce qui n'empêche point notre catholique libéral de vouloir que l'athéisme soit puni comme le plus grand des crimes (2). On sait ce que l'athéisme veut dire dans la bouche des orthodoxes. C'est la libre pensée. Ainsi la Réforme est un crime et la philosophie est un crime. Voilà ce que dit un écrivain catholique rallié aux idées politiques de la Révolution. Pie VI ne disait pas autre chose. Tous ceux qui s'appellent catholiques, révolutionnaires ou contrerévolutionnaires, sont donc d'accord: l'unité de religion, pas de liberté religieuse, pas même de tolérance civile pour les hérétiques et les libres penseurs : la persécution de tous ceux qui ne pensent pas comme le pape!

§ 2. A qui devons-nous la liberté religieuse ?

I

Hâtons-nous de quitter cette atmosphère d'oppression où la pensée étouffe. On ne dira plus que c'est à l'Église que nous devons la tolérance civile, bien moins encore la liberté de penser.

(1) Le Culte public, t. I, pag. 160-162.

(2) Ibid., pag. 171, 178, s.

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