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n'est-ce point une persécution? n'est-ce point pousser ceux qui ne se contentent pas de la vie animale que vous voulez bien leur laisser, à abandonner une religion qui les réduit à l'état de parias, pour embrasser un culte qui leur ouvrira l'accès des fonctions et des honneurs?<« Prétention injuste, s'écrie l'abbé Fauchet, contradiction dans l'État! L'unité serait rompue à sa racine et dans toutes ses branches. » C'est avec ces grands mots que notre abbé libéral se tire d'embarras. Il ne s'aperçoit pas, tant le catholicisme aveugle les esprits, que c'est sa doctrine de prétendue tolérance qui est un tissu de contradictions. Il invoque l'Évangile! Est-ce que l'Évangile connaît une Église d'État? Jésus-Christ n'est-il point venu abolir la religion de César? Il invoque l'unité nationale. S'il la voulait complète, telle que le catholicisme l'entend, il ne devait pas même accorder la tolérance restreinte, dont il voulait faire jouir les non-catholiques. L'Assemblée générale du clergé de France avait protesté contre l'édit de 1787; pourquoi lui, vicaire général, l'accepte-t-il? L'Église a toujours répudié la tolérance; pourquoi lui, abbé, l'admet-il? Il n'est donc pas catholique, et il n'est certes pas philosophe. L'Église le désavoue, et la philosophie ne le reconnaîtra pas pour un des siens. Voilà le sort du libéralisme catholique.

Citons quelques traits pour caractériser la tolérance religieuse des catholiques libéraux. D'abord, pas de culte public, cela va sans dire, un culte privé qui ne s'annoncera au dehors par aucune sorte d'appareil. Fauchet veut que les salles où s'exercera ce culte secret soient peu vastes. Est-ce pour qu'elles ne ressemblent pas à des églises, où est-ce pour que le nombre des dissidents ne devienne point trop considérable? Quelle mesquinerie ! Cela s'appelle la tolérance! la liberté des âmes! On le voit, le libéralisme catholique a toujours brillé par des phrases sonores: est-ce pour se faire illusion à soi-même, ou est-ce pour étourdir les simples, les crédules? Voici encore un trait de tolérance qui a son prix. Les non-catholiques peuvent-ils se marier? Singulière question, dira-t-on! Le mariage n'entre-t-il pas dans l'état civil que l'édit de 1787 assurait aux réformés? Fauchet maintient en effet à ceux qui font partie d'une secte religieuse le droit de se marier, devant les ministres de leur religion. « Mais, dit-il, ceux qui n'ont point de religion du tout, ne doivent pas être admis à contracter l'engage

ment du mariage; ils n'ont aucun garant de leur foi, il n'y a aucun moyen d'y compter; ils sont en contradiction avec toute la nature qui proclame un Dieu, et avec la société universelle du genre humain qui l'invoque. Il faut les tolérer dans l'ordre civil, comme on tolère les monstres dans l'ordre naturel, lorsqu'ils se tiennent en paix; mais les liens de l'union conjugale ne peuvent point tenir à leur âme; ils s'en déclarent eux-mêmes incapables (1). »

C'est avec ce verbiage que l'abbé Fauchet, tout en parlant tolérance, aboutit à une intolérance sauvage. D'après la doctrine de ce libéral catholique, les philosophes, les libres penseurs seraient mis hors la loi commune de l'humanité; et cela parce qu'ils n'ont pas de foi; et ils n'ont pas de foi, parce qu'ils n'ont pas de religion. On ne pourrait pas se fier à la parole d'un Platon, d'un Epictète, d'un Spinoza, d'un Voltaire, d'un Diderot ! Cela est plus qu'absurde, cela est odieux. Finissons par un trait qui est ridicule. Notre abbé libéral prend la défense du carême, comme loi hygiénique d'abord; il lui trouve surtout un prix infini, comme institution de pénitence publique. Libre à lui. Mais croirait-on qu'il veut faire d'une pratique de la religion catholique, une ordonnance générale, obligatoire pour tous les habitants, obligatoire pour les étrangers mêmes! «< Dès que la religion catholique est nationale, il faut qu'on la respecte, à quelque prix que ce soit ; et personne ne doit pouvoir la dédaigner en public avec impunité. » Si l'on objecte la tolérance à Fauchet, il répond « que cette objection est digne de têtes légères qui ne lient jamais deux idées ensemble (2). » Voilà le libéralisme catholique et le respect qu'il a pour la liberté !

III

Nous avons insisté sur le libéralisme catholique de 89, pcur mettre dans tout son jour l'impuissance où se trouve le catholicisme d'arriver jamais à la tolérance, même la plus restreinte. Des hommes qui avaient des sentiments libéraux, comme l'abbé Fauchet, ne donnaient néanmoins aux non croyants que ce qu'ils

(1) L'abbé Fauchet, de la Religion nationale, pag. 181, 187, 188, 192.

(2) Idem, ibid., pag. 282-284.

ne pouvaient leur refuser, et ils leur ôtaient tout ce qu'il était possible de leur enlever. C'était cependant en 89, époque heureuse, où toutes les âmes étaient ouvertes à des espérances illimitées! Les états généraux se réunissent. On sait que, s'il y eut une assemblée nationale, ce ne fut point la faute du haut clergé. Il fut contre - révolutionnaire déjà avant que la Révolution fût commencée. Pendant que l'on discutait sur l'abolition des ordres religieux, l'évêque de Nancy proposa de décréter que la religion catholique était celle de l'État. C'était l'idée de l'abbé Fauchet, c'était le vœu de tout le clergé. Le haut prélat ne donna d'autre raison que la volonté énoncée dans les cahiers. Ses pieuses oreilles étaient blessées par les discours qu'il était obligé d'entendre sur les ordres monastiques; il aurait voulu fermer la bouche à ces importuns orateurs : « Lorsqu'il est question de la religion de nos pères, souffrirez-vous que des idées philosophiques fermentent dans cette assemblée et fassent éclipser cette religion (1)? » Admirons le talent oratoire et la belle diction de ceux auxquels le Saint-Esprit ouvre la bouche! Le langage est digne de la proposition. C'était demander le maintien du catholicisme qui avait dicté à Louis XIV la révocation de l'édit de Nantes. Cela n'empêcha point les évêques de prétendre que le catholicisme était la plus tolérante des religions!

La proposition de l'évêque de Nancy fut rejetée. Ce qui étonne, au premier abord, c'est la faiblesse des raisons avec lesquelles on la combattit. Dupont prétendit que la déclaration était inutile, parce qu'il n'y avait personne dans l'assemblée qui ne fût convaincu que la religion catholique était la religion nationale : «< Ce serait offenser la religion, dit-il, ce serait porter atteinte aux sentiments qui animent l'assemblée, que de douter de cette vérité. » Roederer ajouta que l'évêque de Nancy, en interrompant la délibération, pourrait faire croire que la religion catholique périclitait dans l'assemblée, et que les députés hésitaient dans leur respect pour elle : « C'est qualifier sans rigueur cette motion, dit-il, que de l'appeler injurieuse. » Charles Lameth s'attacha à dévoiler l'intention secrète qui avait inspiré l'évêque de Nancy. On discutait sur la suppression des ordres religieux. « Est-ce pour

(1) Moniteur du 14 février 1790.

sauver l'opulence des couvents, opulence si contraire à l'esprit de l'Évangile, qu'on appelle l'inquiétude des peuples sur nos sentiments religieux? Cette motion incidente est donc très insidieuse; elle tend à attaquer la confiance si légitimement due à cette assemblée. On a le projet absurde et criminel d'armer le fanatisme pour défendre les abus. Si jamais cette intention a pu être conçue, je la dénonce à la patrie. On veut détruire par le fanatisme l'ouvrage de la raison et de la justice; ces efforts coupables seront inutiles... La religion catholique ne court aucun danger. Ce n'est pas au moment où nous avons décrété des actions de grâces à l'Etre suprême, qu'on peut élever des doutes sur nos sentiments. Demain l'assemblée nationale, en se rendant au pied des autels, donnera à la France et à l'Europe entière une preuve frappante de son amour et de son respect pour la religion que l'on prétend être en péril. »

Il est facile de voir que les membres avancés de l'Assemblée étaient mal à leur aise; ils n'osaient point dire ce qu'ils pensaient, ils affectaient du respect pour le catholicisme qu'ils dédaignaient. C'est un autre enseignement que nous donne l'histoire, et la leçon est à l'adresse de notre temps. Le catholicisme entrave la libre pensée, même chez les libres penseurs; c'est l'effet le plus funeste qu'on lui puisse reprocher : il ne se borne point à aveugler les esprits qui se nourrissent de ses erreurs, il abaisse les intelligences qui le repoussent, en leur imposant le joug de l'hypocrisie. Grâce à la domination exclusive de la religion catholique en France, la nation était plongée dans une honteuse superstition, et les préjugés avaient tant de force que les Dupont et les Lameth n'osaient pas les braver, que dis-je, la pression était telle qu'une Assemblée où les libres penseurs se trouvaient en majorité assistait à des processions et à des Te Deum!

La proposition de déclarer le catholicisme religion d'État, fut reprise quelques mois plus tard, à l'occasion du débat sur la vente des biens ecclésiastiques. Ce fut le chartreux dom Gerles, révolutionnaire de bonne foi, qui la renouvela, pour donner satisfaction aux sentiments catholiques de la nation française au moment où l'Assemblée était accusée de porter sa main sur la religion. Lameth lui opposa de nouveau une fin de non-recevoir : « A Dieu ne plaise, s'écria-t-il, que je vienne combattre une opinion.

et un sentiment qui est dans le cœur de tous les membres de cette Assemblée ! » Il essaya de prouver que l'intérêt même du catholicisme s'opposait à ce qu'on le déclarât dominant. C'était tourner la difficulté, au lieu de l'aborder franchement. Mirabeau même ne traita point le fond de la question, mais il lança une vive parole qui révélait la vraie pensée de toute l'Assemblée, les contre-révolutionnaires exceptés : « Noubliez pas, dit-il, que d'ici, de cette tribune où je vous parle, on aperçoit la fenêtre d'où la main d'un monarque français, armée contre ses sujets par d'exécrables' factieux qui mêlaient des intérêts temporels aux intérêts sacrés de la religion, tira l'arquebuse qui fut le signal de la Saint-Barthélemy. »

La proposition de maintenir le catholicisme comme religion d'État, tendait à perpétuer le vieux régime qui reposait sur l'alliance du trône et de l'autel. Voilà pourquoi les hommes du passé, les évêques et les nobles mirent tant d'insistance pour la faire adopter. La grande majorité de l'Assemblée était élève de Voltaire et de Rousseau; ils se contentèrent d'une déclaration qui était une fin de non-recevoir conçue dans les termes les plus respectueux. On y disait que l'Assemblée n'avait aucun pouvoir sur les consciences; que la majesté de la religion et le respect qui lui était dû ne permettaient pas qu'elle devînt l'objet d'une délibération; que l'attachement de l'Assemblée au culte catholique ne saurait être mis en doute, au moment où ce culte seul allait être mis par elle au premier rang des dépenses publiques. Ces formules respectueuses exaspérèrent les ennemis de la Révolution : « On se prévaut du respect dû à la religion, s'écria l'abbé Maury, pour nous refuser à lui rendre hommage.» « Lorsque les Juifs crucifièrent Jésus-Christ, ajouta d'Esprémenil, ils lui disaient : Nous vous saluons, roi des Juifs. >>

Oui, il y avait de l'hypocrisie dans la déclaration de l'assemblée. Mais à qui faut-il l'imputer? A l'Église qui avait si bien fanatisé le peuple, que ses représentants n'osaient plus dire leur pensée. Le respect même que l'on affectait pour le catholicisme, sans l'éprouver, était un témoignage contre l'intolérance catholique. Si au moins cette intolérance avait été accompagnée d'une foi ardente, crédule, aveugle! Les emportements auxquels la minorité de l'Assemblée se livra, étaient une pure comédie. Quand la déclaration fut votée, les membres de la droite, d'un mouvement unanime,

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